Les loups !
Pendant ma grave dépression, je me suis souvenue que, petite, j'avais l'impression que des loups vivaient près de moi, et que, si je les appelais, ils viendraient à mon secours. J'en étais persuadée, allez savoir pourquoi ! Pendant cette période de déprime, shootée aux médocs, j'ai écrit cette histoire que j'ai retrouvée récemment. C'est une histoire un peu fantastique !
« Les loups, venez ! » Cette phrase depuis toute petite, je me la répète dans ma tête. Comme si elle était un appel au secours, une façon d'être sauvée. C'est toujours ce que j'ai cru. Et pourtant je ne les ai jamais appelés.
Couchée au fond de mon lit, la peur au ventre qu'il soit encore caché sous celui-ci et qu'il attende que je m'endorme pour sortir. Il est sadique. Je le déteste depuis la première fois où il m'a violée. Si j'avais réussi à cette époque à dire : « Les loups, venez ! », que se serait-il passé ? Je me réveille tout angoissée. Ces cauchemars reviennent. Ça me saoule. Toujours à la même période. Comme si tout cela voulait dire quelque chose. Mais enfin, QUOI ?
Je me lève, je me prépare et pars travailler. Au bureau, mon chef, ou plutôt mon harceleur, car il est à l'image de mon frère, ce connard qui a bousillé mon enfance et mon adolescence. Je le sens à son regard, à sa façon de passer derrière moi. Il y a deux mois, il a essayé de me toucher. Depuis, je suis effrayée et ces mots d'appel au secours reviennent sans cesse. Assise à mon bureau, mon téléphone sonne :
— Salut, ma puce ! Le vieux est mort. L'enterrement est dans quatre jours. On se retrouve à la maison la veille. Il vaut mieux pour toi que tu sois là !
La communication est coupée. Mon cœur s'arrête de battre. C'était lui ! J'ai rêvé de lui cette nuit, et il m'appelle aujourd'hui. Mon père est mort. Suis-je triste ? Non. Il ne valait pas mieux que son fils. Tous des salauds…
J'arrive à la maison de mes parents. Parents ? Plutôt bourreaux ! Une mère dépressive, gavée d'anxiolytiques pour ne pas voir ce qui se passe chez elle et qui se suicidera l'année de mes dix-neuf ans. Un père incestueux ! Tout le monde se regarde en chiens de faïence. Chacun essaie de montrer à l'autre qu'il a réussi. Qu'ai-je à montrer moi ? Que je survis depuis qu'ils m'ont détruite ? Non, je dois relever la tête, être forte.
Une discussion que j'ai eue avec ma psychologue m'a beaucoup aidée. Elle m'a conseillé de ne pas oublier mes mots de secours : « Les loups, venez ! ». Venant d'elle, c'est à la fois surprenant et pas du tout. Parfois, j'ai l'impression qu'elle pourrait ne pas être humaine.
C'est moi qui prépare le repas, comme si rien n'avait changé ! D'ailleurs, personne ne me l'a demandé. Un vieux réflexe sans doute. Le repas terminé, la plupart s'en vont. Pour ne pas rester avec eux, je me précipite dans mon ancienne chambre. J'ai une angoisse irrépressible en y rentrant. Et s'il s'était caché ? Par réflexe, je regarde sous mon lit. Ouf !! Personne. « Enfin, ma belle, du calme, tu n'as plus dix ans ! » Je secoue la tête, puis m'allonge. Épuisée, je m'endors immédiatement.
Le matin arrive. Je suis fatiguée, mes cauchemars sont toujours là. Je me lève et rejoins ceux qui ont dormi là. Je suis pressée que l'enterrement soit fini, que je puisse rentrer chez moi. Mais j'ai encore une nuit à faire ici. Pas le choix.
Quelle hypocrisie ! Tous ces gens qui viennent présenter leurs condoléances, nous rappelant quel bon père il était. « C'était un monstre, un violeur ! », j'ai envie de le leur crier, mais non, je ne dis rien, comme à mon habitude. Le maître de CM1-CM2 avait dit à mes parents que j'étais une carpe : « On ne l'entend jamais ! » C'est vrai, je ne dis jamais rien. J'encaisse, c'est tout ! Devant sa tombe, je me suis imaginée cracher dessus. D'ailleurs, hier soir, je suis allée dans sa chambre. J'ai craché sur ce lit où j'avais pleuré et crié. Cet homme, en qui j'avais toute confiance, m'a violée. La psychologue voulait que je fasse un acte symbolique pour montrer ma colère, ma haine envers cet homme. Surtout que, pour se défendre, il avait osé me dire qu'il m'avait confondu avec sa femme. La bonne blague !
Ma mère, après m'avoir rejetée, s'est suicidée. Elle s'est libérée de l'ours mal léché qu'elle avait épousé. « Et moi, maman, tu y as pensé, à moi ? Tu m'as laissée avec eux ! » … J'essuie mes larmes et je retourne à ma voiture. Nous rentrons à la maison prendre une collation. Tout le monde raconte des anecdotes, et des souvenirs tout aussi idiots, sur cet homme qui n'était plus mon père depuis longtemps. J'ai un peu bu. Je ne me sens pas bien, et, sans doute, un peu groggy par l'alcool. Mon connard de frère m'a servi plusieurs fois. Tout le monde finit par partir. Évidemment, ils n'habitent pas loin. Je range, pour ne pas changer les bonnes habitudes. Il reste un peu de vin rouge, et pour me donner du courage pour dormir sans cauchemarder, je le finis d'un coup. Je vais me coucher. Ma tête tourne un peu une fois allongée, mais ça va. Soudain, je réalise que je n'ai pas regardé sous le lit. Trop fatiguée, j'éteins et je m'endors.
Soudain, j’entends un frottement qui me terrifie et me paralyse. Persuadée d'être dans mon cauchemar, je n'y fais pas attention. Je me retourne et essaie de me rendormir. Puis c'est un rire qui arrive à mes oreilles. Et là, je sais que ce n'est pas normal. Ce rire, je le connais. Il est terrifiant, il est bestial, il est à Lui !
— Alors, ma puce, on a oublié de regarder sous son lit ? Hahaha ! Comme avant ma salope ! J'ouvre les yeux, mais je ne vois rien. Je ne fais que l'entendre. La tête lourde, je retrouve mes peurs. J'ai du mal à respirer. « Non ! », j'arrive à dire quand ses mains se posent sur moi. « Non, je ne veux pas. » Mais, comme avant, je ne fais que murmurer. Impossible de bouger. Puis tout se mélange dans ma tête. J'entends ma psychologue me parler. « Et si !! … » Brusquement, il est là, positionné sur moi, entre mes jambes, il va encore me violer. Non, non, je vous en prie… pas ça… Mais fais quelque chose !! Et si !!
— Les loups, venez !!
— La ferme, putain ! Et laisse-toi faire ! Je respire à fond, il faut qu'ils m'entendent.
— Les Loups Venez !! Il s'arrête et me gifle. J'ai l'impression de retrouver un peu d'énergie. J'essaie de le repousser. Allez plus fort, ma belle !
— LES LOUPS, VENEZ !! Et là, d'un coup je ne le sens plus sur moi. Un bruit sourd me fait comprendre qu'il vient de se prendre le mur. J'allume et, après avoir réussi à ouvrir les yeux, je reste bouche bée. Devant moi, des loups énormes, des loups-garous. Je vois l'homme que je déteste être tiré et sorti de ma chambre.
Un des loups, me regarde, sourit et me tend la main. Je ne dis rien, et glisse mes doigts dans les siens. Que dire ? Je les ai appelés après tout ! Je fais deux pas, puis c'est le trou noir. Je me réveille dans un grand lit. Je m'assois en me demandant ce que je fais là. La soirée et la nuit me reviennent. Les loups ! Ai-je rêvé ? La porte s'ouvre sur un homme. Wouah hou ! Il est magnifique. Puis je réfléchis et me souviens de ce que je suis. Pas la peine de fantasmer ma belle. Il s'approche avec un plateau. Oh mon petit déjeuner !
— Bonjour, ma douce Léa !
— Euh, mais…
— Chut, ne dis rien ! Ce serait trop long à t'expliquer ! Juste que tu es chez toi ici. Tu m'appartiens depuis très longtemps. Depuis ce jour où, petite fille, tu as essayé de m'appeler. Malheureusement, tu n'as pas insisté. Je t'ai attendue toutes ces années. Et voilà, tu es là ma douce aimée. Je ne te laisserais jamais partir. Acceptes-tu de rester près de moi, ma princesse ? Que voulez-vous que je dise à ça ?
— Oui, oui, oui !! Mais, vous existez vraiment ? Mon frère ?
— Chuttt !! N'y pense plus. C'est fini et c'est tout !
Et voilà, je suis mariée à un loup-garou ! Imagination, rêve, réalité ? Choisissez celui qui vous plaît ! Je vis un bonheur infini. Chaque nuit avec lui est jouissance, plaisir et parfois petites douleurs. Mais que c'est bon ! Chaque moment partagé me libère de mon passé. J'ai l'impression que les mauvais souvenirs s'estompent, et qu'il ne reste dans ma mémoire que le meilleur. Un soir, allongé dans ses bras, il me dit :
— Si tu m'avais appelé quand tu étais petite, je serais venu. Je t'aurai sauvée de ce que tu as vécu par la suite. Je suis en colère de savoir par où tu es passée. Alors que tout aurait pu être différent… — Non, mon bien-aimé. Si tu étais venu avant, je ne serais pas la femme que je suis aujourd'hui, capable de comprendre la valeur d'une vie…
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