Les frères aînés
Le père partait tôt et revenait tard, dans la nuit. La mère était épuisée par ses cinq enfants à élever seule toute la journée, avec une santé fragile, surtout psychologiquement. Et puis arriva la dépression, sévère. Les médecins décidèrent de l'interner. À l'époque, on ne posait pas de questions : on internait, on shootait, et on voyait après.
Les grands-parents paternels acceptèrent de s'occuper de leur petite fille, mais les garçons sont allés à l'assistance publique. Personne de leurs familles ne s’est proposé pour prendre leurs neveux. Ils ont été placés en famille d'accueil, les deux premiers dans une famille, les deux suivants dans une autre. Il n'y a pas de famille d'accueil parfaite et ces deux derniers ont eu droit au pire. Ces quatre mois ont été douloureux pour ces quatre enfants de 8 ans, 7 ans, 5 ans et 4 ans.
À leur retour, le climat était difficile. Les garçons étaient en colère et, malheureusement, cette rancœur a été retournée contre leur sœur. Oui, la jalousie était là, ce sentiment qu'elle avait tout alors qu’eux n’avaient rien. Fut-ce pour cela qu'elle s'est offerte à aider tout le monde ? Voulait-elle réparer cette injustice ? Être acceptée dans un autre rôle que le sien ? Se sentir utile et importante ?
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Étienne était l’aîné de la fratrie, mais selon ses dires, il était fils unique. La bonne blague ! Il avait neuf frères et sœurs derrière lui, qu’il a toujours considérés comme ses larbins. Il ordonnait, et tous obéissaient. Ce fut pareil pour sa sœur, plus jeune de six ans.
Depuis toute petite, elle s'occupait de la maison, et aussi de la chambre de son frère. Son grand frère était son pilier. Il fut celui qui a institué les futures violences qu'elle allait subir. Plusieurs fois, petite, avant ses six ans, il a eu des attouchements sur sa sœur. Il ne l'a pas violé, mais ses gestes seront ressentis par sa sœur comme un viol. Ses frères ont-ils assisté à ces scènes ? Personne ne le sait. Pourtant il y a bien fallu un début, ou un élément déclencheur pour que ces relations incestueuses se mettent en place.
Un jour, quand elle était au collège, comme elle avait loupé son car, Étienne l'avait emmené en moto. Elle avait adoré. Puis il est parti, emménageant avec sa copine. Quand ils se sont séparés, il lui fallait quelqu'un pour le ménage de son appartement. Quel beau rôle pour sa sœur ! Il venait la chercher chez elle, l'emmenait chez lui, pour faire le nettoyage. Elle ne voyait pas le mal. Elle était avec lui et cela semblait super. De temps en temps, elle était récompensée, il l'emmenait en boîte de nuit. Quel cadeau !
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Il n’y a pas que son frère aîné à avoir abusé d’elle sexuellement. Les deux suivants, Fabrice et Gabriel, ont eu le même comportement envers elle, depuis ses six ans, ou peut-être même avant, jusqu’à ses dix-neuf ans. Même si les agressions se sont espacées, car ils avaient quitté le domicile familial, elle faisait en sorte de ne pas se retrouver dans la même pièce qu’eux quand ils venaient à la maison. Elle essayait en tout cas, car souvent ils savaient quand elle était seule. Alors là, il n’y avait pas d'échappatoire possible.
Pour elle, Fabrice a toujours été présent. Pourtant, il a fait partie de ses agresseurs. Elle se souvient de ses mains sur elle, de son pénis en elle, qui était très gros et qui lui faisait mal. Pour elle, cette relation d’inceste était en fait presque normale. Elle ne sait plus quand cela a commencé. Très jeune, certainement. C’étaient souvent des jeux de rôle. Il était le médecin, le kiné… Mais la fin était toujours la même.
Cette petite fille ne l’a pas vécu comme une agression, car son frère prenait soin d’elle, à sa façon. Jamais elle n’aurait mis à l’époque le mot inceste sur ces gestes. C’était normal. Il lui est même arrivé, plus grande, d’aller vers lui, car elle en avait besoin. Pour elle, ce n’était pas du sexe, plus un besoin d’affection qu’elle ne savait pas gérer. Elle apprendra plus tard, que ce deuxième frère a été violé par leur oncle, celui qui avait également agressé leur mère quand elle était jeune.
En regardant en arrière, elle penserait que c’était une relation d’adulte : deux personnes qui s’aimaient, dans des corps d’adolescents. Est-ce mal ? Est-ce condamnable ? À l’époque, elle aurait dit non, car elle le vivait ainsi. Elle ne pensait pas que c’était interdit. On ne lui avait pas appris. Puis, c’était devenu un rituel, une façon détournée d’être aimée par au moins un de ses frères.
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Le troisième frère, Gabriel, fut également un de ses agresseurs, mais ce fut différent. Ses actes étaient méticuleux et vicieux. Il ne lui laissait pas le choix. S’il avait envie, elle devait se soumettre, et surtout se taire. Il s’autorisait à la toucher quand il le voulait. Il est celui qui lui a fait le plus de mal parce qu’elle avait l’impression de n’être qu’un objet. Il n’y avait pas de sentiment, seulement un moment de sexe. Pour lui en tout cas.
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Son quatrième frère, Lucien, était le plus proche, celui qui a toujours été là quand elle était petite.
Les souvenirs que sa mère lui narrait le décrivaient dans le parc de sa sœur, la prenant dans ses bras, la serrant fort, lui rappelant par des petits mots qu’il l’aimait. À quel moment ses sentiments ont-ils changé ? Est-ce, comme pour les autres, après avoir été placé ?
Elle le voyait toujours décider de tout pour elle. Chaque choix se faisait selon sa décision à lui, sans jamais lui laisser la possibilité de décider pour elle. Elle n’en avait pas le droit, ou elle n’en avait pas le besoin, car il était toujours là, guettant ses moindres mouvements, pour la recadrer, essayant de la modeler à sa façon. Il décidait et, même si elle n’était pas d’accord, elle n’avait jamais le choix. Lucien fut celui qui lui a fait le plus de mal, avec une douleur morale et psychologique.
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