Chapitre 7-3 : Cérémonie

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  D'un mouvement bien trop souple pour un homme resté un genou à terre pendant plus d'une heure, le futur souverain se leva. Ric sentit son pouls accéléré. Alors que le dauphin accédait enfin au chœur, l'ensemble des religieux se levèrent et se déployèrent en arc de cercle devant l'autel. Éleuthère et le Père Suprême se retrouvèrent au milieu d'eux. Sous le regard de Lumen, toutes les pièces d’or qui les couvraient étincelaient, les nimbant d’une aura éclatante, céleste. Le grand-prêtre de Lumen étendit les mains ; le futur souverain reposa aussitôt un genou à terre.

  –Prince Éleuthère Guldegriffritter von Wiegerwäld, premier fils légitime de feu Sa Majesté Melchior IV Guldegriffritter von Wiegerwäld et de Sa Majesté Emerantiana Diocca di Nasconda, par la volonté des dieux, vous êtes appelé aujourd'hui à accomplir la destinée qui est la vôtre, comme chacun de vos ancêtres l'ont accompli avant vous. Acceptez-vous de vous engager sur cette voie que les dieux ont tracé pour vous et de prêter serment ?

  –J'accepte, déclara l'intéressé d'une voix vibrante de détermination et de puissante en dépit de sa position soumise.

  –Jurez-vous de gouverner avec droiture sur le royaume du Wiegerwäld, comme votre père et ses ancêtres avant lui ?

  –J'en fais le serment.

  –Jurez-vous de faire exécuter les lois et la justice de ce pays avec humanité ? De faire tout ce qui sera en votre pouvoir pour assurer le bonheur de votre peuple ?

  –J'en fais le serment.

  –Et jurez-vous par-dessus tout d'être à l'écoute des dieux ? De respecter leur volonté et de la faire respecter ? De les honorer comme il se doit ? De ne jamais abuser du pouvoir et de l'autorité qu'ils s'apprêtent à remettre entre vos mains ?

  –En mon nom, celui de mon père et de tous mes ancêtres, j'en fais le serment. Je jure fidélité suprême aux divinités. Qu'ils s'expriment et j'agirai. Je serai l'instrument et le défenseur de leur volonté.

  Le Père Suprême inclina la tête, puis se tourna vers l'assemblée.

  –Augustes représentants du Wiegerwäld, vous qui venez d'entendre ce serment, acceptez-vous ce prince de sang, qui, aujourd'hui, se tient à genoux devant tous, comme souverain légitime ?

  –Nous le reconnaissons, murmura Ric alors que le reste des invités le tonnait d’une seule voix.

  –Alors au nom de l'humanité, je vous remets ce sceptre, déclara l'officiant, symbole de leur reconnaissance.

  Il lui tendit le sceptre en question.

  –Et vous, bienheureux représentants divins, enchaîna-t-il en faisant face à ses pairs, vous qui venez d'entendre ce serment et le désir du peuple, acceptez-vous ce prince de sang qui s'en remet aujourd'hui à votre jugement, comme exécuteur et défenseur de votre parole ?

  La Mère Entière s'avança.

  –Au nom de Zirka, déesse de la mort, de l'Outre-monde, des lunes et de la nuit, je vous accepte en tant que roi et vous offre sa bénédiction en signe de son soutien.

  Elle plaça ses mains au-dessus de sa tête, prononça silencieusement la bénédiction de sa divinité avant de regagner sa place auprès de ses pairs. Son voisin s'avança à son tour, répéta peu ou prou les mêmes mots, les mêmes gestes et il en fut ainsi pour l'ensemble des représentants du clergé.

  –Et au nom de Lumen, conclut le Père Suprême, Dieu des dieux, de la vie, du soleil et du jour, je vous reconnais en tant que roi. Que son essence coule en vous en signe de son soutien.

  Il s'empara de la coupelle de l'enfant de chœur, y plongea le pouce, puis oignit le front d'Éleuthère de l'huile doré reproduisant l'ichor, le sang des dieux. Dès qu'il eut reposé le récipient sacré, il écarta les bras et leva les mains à la hauteur de sa tête.

  –Le peuple et les dieux ont parlé et leur décision est sans appel ! Son Altesse n'est plus ! À partir de ce jour, vous ne répondrez plus au nom de prince Éleuthère Guldegriffritter von Wiegerwäld, hériter du trône, mais à celui de Sa Majesté Éleuthère II Guldegriffritter von Wiegerwäld, roi du Wiegerwäld.

  Et il déposa la lourde couronne sur la chevelure sombre d'Éleuthère, scellant par ce geste la fin de son intronisation et de son sacre. Alors que le cœur de Ric se gonflait de joie, un tonnerre d'applaudissements éclata, couvrant le morceau entonné par l'orchestre.

  –Longue vie au roi ! Longue vie au roi !

  Éleuthère se releva et se tourna vers l'assemblée, l'air plus grand et impérial que jamais. Cette ovation dura tout le temps du morceau et se serait poursuivi encore longtemps si le nouveau souverain n'avait pas levé la main pour demander le silence.

  –Pères, mères, gentes dames, seigneurs et dignes représentants du Wiegerwäld, je vous remercie de la foi que vous avez en moi et vous promets une fois encore de tout faire pour l'honorer. Cependant, sous cette couronne, ces symboles et ces autours royaux, je ne suis qu'un homme. Une moitié de l'humanité. Malgré toute ma volonté, je ne saurais régner avec justesse et droiture si je conservais tout le pouvoir que vous m'avez octroyé. L'autre moitié de l'humanité, celle qui, depuis la nuit des temps nous porte en son sein et nous donne la vie, se doit de siéger à mes côtés.

  Tous les visages se tournèrent vers la stalle où siégeait Rajani. La princesse, aidé par son aîné, se redressa et rejoignit son mari et les religieux. Avec difficulté, elle s'agenouilla devant Éleuthère.

  –Mon épouse, vous qui n'êtes que la troisième de votre fratrie n'étiez pas destinez à hériter de la lourde responsabilité de porter la couronne. Pourtant, dix-neuf ans plus tôt, dans cette même église, vous avez accepté d'unir votre destin au mien en sachant qu'un jour, ce moment arriverait. Vous rappelez-vous la promesse que vous m'avez faite alors ?

  –« Mon prince, je ne vous accepte pas simplement en tant qu'époux, mais également en tant qu'héritier du trône. S'il me chagrine de penser à la future disparition de votre père, je sais qu'un jour, vous lui succéderez. Quand le moment viendra, vous ne serez pas seul. Sur les alliances qui nous lient désormais, je vous en fait le serment : quand le moment viendra, vous n'aurez qu'à vous tourner pour me trouver à vos côtés, car si roi vous devenez, en reine je vous suivrais. »

  La voix de Rajani vibrait d'émotion et Éleuthère ne put contenir un sourire. Alors qu'il n'avait sûrement qu'une envie : la libérer de cette position inconfortable pour une femme dans son état et l'enlacer, il s'effaça au profit de la Mère Entière qui officia le couronnement de la princesse. À l'instar de son mari, il lui fut demandé de prêter serment, puis son sacre fut soumis à l'acceptation de l'assemblée et des religieux. De nouveaux vivats s’élevèrent de la foule dès que la Mère Entière eût oint d'huile doré et couronné la nouvelle reine.

  –Longue vie à la reine ! Longue vie au roi ! Longue vie aux Guldegriffritter !

  Au lieu de ramener tout de suite son attention sur l'assemblée, Éleuthère s’empressa d’aider sa femme à se relever, puis lui caressa tendrement la joue. Le cœur de Ric se serra. Alors qu'il aurait aimé se sentir heureux pour eux, cette vision venait de raviver le visage sombre qui hantait ses pensées et lui rappelait qu'un tel bonheur lui était interdit. À l'image de leur position actuelle – eux, au centre du chœur ; lui, en retrait dans le trifurium – ils baignaient dans la lumière et la multitude tandis que lui était condamné à l'ombre et la solitude.

  Avec une pointe de regret, pourtant, il se détourna.

  –Tu mets déjà les voiles ? La journée ne fait pourtant que commencer.


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