Chapitre 8 : Le choix de la mesure
Katrina
16 mai 5775
L’Empereur a fait tenir un conseil exceptionnel au vu des évènements. Heureusement, la colère passée, il fut en état d’entendre les arguments de ses ministres et de ses proches et, notamment, ceux de mon père. Mené par le prince Vlad et le duc de Marav, un de ces seigneurs ayant été récompensé de sa loyauté envers l’Empire par le titre de son ancien suzerain entré en rébellion, le parti de la guerre arguait qu’il ne fallait pas parlementer avec les traîtres et se ruer à l’assaut de ce nouveau continent. « Il manque une guerre à notre peuple et cela pourrait sortir bien des vampires de la torpeur dans laquelle ces décennies d’oisiveté les ont plongés. D’autant plus que la perspective de nouvelles terres et donc de nouveaux titres créera en eux une fidélité renouvelée envers vous, Sire. » avait avancé le duc.
Les partisans de la diplomatie dont les principaux représentants étaient mon père et le duc de Lopioumar, qui s’était mis en tête de marier sa petite fille avec le prince Konstantin, s’opposèrent à cette option. Une issue belliqueuse ruinerait donc ses chances de rentrer dans la famille Impériale et c’est donc davantage par intérêt que par conviction qu’il appuya les arguments allant dans le sens d’une résolution pacifique du conflit. « Sire, vous ne pouvez pas entrer en guerre contre votre fils comme avec n’importe quel duc ! Il est encore jeune et n’a jamais ouvertement contesté votre autorité. Peut-être n’agissait-il que fort maladroitement et non avec quelques mauvaises intentions. Peut-être attendait-il simplement une occasion unique pour annoncer sa découverte. Le connaissant je ne m’étonnerais pas qu’il eût projeté d’offrir ce continent avec toutes ses richesses à sa future femme lors de son mariage. Il n’est jamais trop extravagant avec les dames alors imaginez avec celle qui deviendrait sa légitimé épouse ! ». Mon père n’était pas persuadé que ces arguments suffiraient à convaincre l’Empereur mais en jouant la carte du mariage à venir il tenait avant tout à consolider son entente avec le duc de Lopioumar afin que leur camp ne se fissure pas sous les assauts verbaux et vindicatifs des belliqueux seigneurs leur faisant face.
Finalement un compromis fut trouvé : Etant donné que la quasi-entièreté de la flotte était aux mains de mon oncle, la production de navire sera relancée afin de créer une armada capable de terrasser celle du prince rebelle. Le temps que les chantiers se mettent en marche et que la production décolle des ambassades seront envoyées afin de faire entendre raison au prince.
De façon surprenant ces tractations ne semblent pas avoir ébranlé la complicité entre Vlad et mon père. Ils semblent même rire de leur désaccord, conscients que la divergence de leur avis n’entame en rien leur fraternité tant spirituelle que biologique. Seul l’Empereur semblait véritablement tiraillé par cette situation ; lui qui avait bâti son pouvoir sur la famille, que ce soit par la distribution de titre à ses enfants ou par les mariages qu’il a sans cesse faits contracter entre ses descendants et les plus puissantes familles de ce monde. Que son système soigneusement façonné et renforcé à chaque rébellion qui, loin de l’affaiblir, ne faisait que le renforcer, soit mis en péril par son propre fils le troublait au plus haut point. Ce n’étaient pas quelques tourments du cœur qui l’accablaient, bien incapable qu’il est de ressentir autre chose qu’une légère sympathie envers qui que ce soit à son âge, mais sa fierté blessée qui le tourmentait. Se faire trahir par son propre fils est une honte aux yeux de beaucoup, tant pour l’enfant que pour le père bien que ce dernier soit indubitablement la victime. C’est d’ailleurs pour cette unique raison qu’il a accepté de tenter de parlementer mais si ces tentatives venaient à échouer nul doute que toutes les forces de l’Empire seraient déchainées sans ménagement contre le prince déchu.
Le duc de Lopioumar en personne s’en va mener cette mission, accompagné de celle qu’il espère toujours voir devenir la femme du « marin ». Je ne suis pas certaine que Konstantin soit sensible à cet argument mais j’espère que, comme l’avançait père, il ne s’agit là que d’une extravagance de mon oncle et que tout rentrera dans l’ordre. Pour l’instant nul à part Stanislas et ses poches n’est au courant de la situation. L’activité des chantiers sera justifiée par les pertes du prince en mer et par un accroissement du nombre d’expéditions à venir tandis que l’armée sera rassemblée sous prétexte de quelques grands exercices visant à décrasser les vampires ramollis par ces temps de paix.
Tout dépend désormais de Konstantin. Puisse-t-il écouter la voix de la prudence, de la sagesse, de la piété filiale ou n’importe laquelle lui intimant de prêter allégeance à son père et de ne pas risquer une guerre. Ainsi ces grandes manœuvres pourraient finalement devenir ce qui est prétendu et tout cela pourrait se transformer en une occasion nouvelle et inespérée de recroiser Pavel sans crainte de le voir mourir sous peu. Finalement j’aurai joué un bien faible rôle dans cette affaire, et encore, je pense là surestimer mon implication.
Hugues
Le temps s’écoulait sans que rien de notable ne se passât. Cette ville était semblable à tant d’autres à travers l’Empire si ce n’était une activité militaire un peu plus soutenue qu’ailleurs. Cette dernière serait d’ailleurs plus liée à la tradition qu’à quelques velléité belliqueuse si j’en crois mes camarades de caserne. « Sartov était jadis le bras armé d’Orania à l’époque des royaumes, la proclamation de l’Empire ne change rien à notre ambition de puissance et vous, humains, à votre échelle, participez à ce noble objectif. Soyez-en honoré ». Heureusement que j’avais quelques notions d’histoire pour comprendre ce à quoi le seigneur Egor, commandant de la milice de la ville, faisait référence. La plupart de mes pairs n’en avaient pas la moindre idée et acquiesçaient par habitude, presque par reflexe.
Ainsi la milice, en plus de maintenir l’ordre, servait occasionnellement de troupe d’apparat au-devant de laquelle les vampires se plaisaient à défiler. A cette exception près qui m’imposait d’apprendre à marcher au pas cadencé sur quelques musiques plus ou moins entrainante, l’existence ici ne différait en rien de celles que j’avais pu vivre lors de mes précédentes missions de ce genre.
J’en étais à me demander la raison de ma présence ici sans pour autant me plaindre de cette tranquillité tant ma proximité avec Geneviève égaillait le moindre de mes instants. Naturellement notre maîtresse avait d’autres projets et ce n’est qu’hier que j’en appris davantage. Un mot avait été glissé sous ma porte durant la nuit. Sans doute par un des messagers parcourant le pays et transmettant les ordres de notre Dame.
« Hugus, Geneviève,
Je suis ravie de savoir que votre arrivée et votre implantation à Sartov se sont bien déroulées. Les événements risquent de quelques peu s’accélérer dans les mois à venir. Des manœuvres seront organisées et un contingent du duché de Sartov sera exigé. Faites-en sorte de ne pas en faire partie. Au lieu de cela je vous prie de me tenir informée quant à l’attitude du duc et de sa cour quant à la politique impériale. Enfin transmettez-moi les raisons de cette opinion ainsi que ce qui pourrait la faire changer en bien ou en mal.
En vous souhaitant tout le succès possible dans votre entreprise.
Votre Dame. »
Le travail que Geneviève avait trouvé dans la taverne du sang qui bout n’allait pas être inutile et elle allait même probablement se rendre plus indispensable que moi dans notre tâche. Malgré tout je ne peux m’empêcher de penser que notre maîtresse a d’autres idées en tête. Nous envoyer pour simplement se tenir informée de l’opinion d’une cour parmi tant d’autres ne fait pas beaucoup sens. Sans doute n’est-ce là que le préambule à notre véritable objectif qui nous sera dévoilé plus tard. En attendant tâchons de ne pas chômer. Je devrai moi aussi, en tant que garde, essayer de récolter un maximum d’informations. Faisons-en sorte d’envoyer le rapport le plus exhaustif possible et peut-être que Geneviève et moi aurons l’occasion de repartir en mission ensemble si nous satisfaisons pleinement les attentes qui ont été placées en nous.
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