Chapitre 13 : La traversée
Natasha
Le voyage jusqu’au continent se fit avec belle mer et bon vent. Nous croisâmes sur le chemin un navire voguant en sens inverse et passablement abimé par les intempéries qu’il avait dû traverser. Mal lui en prit car, sur ordre de Konstantin, nous nous servîmes de sa coque comme cible d’entrainement pour nos artilleurs. Nos balistes criblèrent de traits ses flancs tandis que, mal armé qu’il était, ce triste bâtiment était incapable de riposter. Lorsqu’il se rendit nous l’abordâmes, exécutâmes tous les gens présents, hommes et vampires de tout sexe compris, et pûmes ainsi rajouter ce triste bateau au rang de notre armada ainsi que ses réserves de nourriture aux nôtres.
Mon roi m’expliqua le soir venu que nous venions de tuer le duc de Lopioumar, sa fille et sa suite. Il s’agissait d’un imbécile qui s’était mis en tête d’intégrer la famille impériale en mariant son ainée à Konstantin. Les maigres remords que j’aurai pu avoir à attaquer sans sommation et exécuter ainsi des vampires s’évaporèrent aussitôt. La diplomatie du continent n’a de toute façon pas cours sur le domaine du roi des mers !
Le reste du trajet se passa encore mieux que la première partie. Malgré notre départ précipité nous n’eûmes finalement qu’à instaurer un maigre rationnement pour tenir les deux mois et demi que prit notre traversée. Nous fûmes sans cesse poussés par un vent arrière des plus soutenus comme si l’océan lui-même nous enjoignait à mener cette guerre. Les réserves qu’avait pu accumuler notre roi avant le grand départ, enrichies de la prise que nous fîmes au milieu du trajet, nous permirent de nous passer de la moindre exécution et d’ainsi conserver la main d’œuvre humaine formée aux choses de la mer. Nous en profitâmes pour les faire ramer autant que possible afin d’encore hâter notre arrivée.
La terre fut en vue le vingt-trois août alors qu’il nous restait encore plusieurs journées de vivres. C’est alors que le roi des mers fit rassembler ses capitaines. Tous réunis sur le Léviathan nous écoutâmes ce qu’il avait à nous dire :
« Mes seigneurs, l’Empire est devant nous prêt à subir nos coups ! Notre premier objectif est de détruire la flotte ennemie avant qu’elle ait pu être achevée ! Nous nous séparerons en trois escadres qui attaquerons de façon coordonnée chacun des principaux arsenaux. Natasha, vous guiderez la première et vous frapperez Aîschmar, Leonid vous vous chargerez de Mourminsk quant à moi je m’occuperai d’Erhiv ! Depuis que la paix règne les ports sont extrêmement mal défendus du côté de la mer. Engouffrez-vous aussi vite que possible, brûlez les coques en construction et toutes les installations que vous verrez. Une fois ceci accompli vous repartirez et naviguerez en direction du détroit d’Ishka. Sans flotte pour la secourir l’île de Mitanie sera isolée du continent ! C’est là que nous poserons pied à terre et que nous ferons campagne ! »
Personne ne broncha et aussitôt tout le monde repartit sur son navire. Je pris avec moi les plus rapides de la flotte car ma cible était la plus lointaine. Quatorze fiers bâtiments voguèrent ainsi sept jours durant en longeant les côtes tout en restant à suffisamment bonne distance pour ne pas être repérés. Nous nous éloignions par beau temps et nous rapprochions lorsque la brume recouvrait la mer. La date de l’assaut avait été fixée au trente et un août afin de conserver l’effet de surprise. Si un port venait à être attaqué avant les autres nul doute que ces derniers en seraient avertis et donc prêts à se défendre. Nous atteignîmes donc notre objectif la veille de la date fatidique et croisâmes à quelques encablures afin de ne pas nous faire repérer. Le lendemain, au coucher du soleil, nous fondîmes sur Aïschmar !
Le spectacle qu’y s’offrit à nous fut d’une naïveté sans borne. Non seulement notre arrivée n’était pas attendue mais les seigneurs locaux étaient de toute évidence persuadés que nous venions en amis et, tandis que nous entrions dans le port, nulle alerte ne fut donnée et un accueil était même en préparation sur les docks. Voyant ceci j’ordonnai que l’on garde une attitude pacifique jusqu’au dernier moment. Naturellement ces ignares de la terre ne connaissait rien de nos codes drapeaux et nous pouvions ainsi discuter de l’attaque sous leurs yeux sans éveiller la moindre méfiance.
Quatre bâtiments restèrent dans la rade tandis que les autres accostèrent. Un chevalier s’avança vers moi, sans doute pour nous souhaiter la bienvenue, mais je ne lui en laissais pas le temps. Nous tranchâmes sans sommation ces imbéciles et nous nous ruâmes à travers la ville en direction des coques entreposées non loin des quais tandis que les bâtiments arrosaient de leurs traits enflammés chaque recoin de la cité. Le tocsin sonna presque instantanément mais aucune riposte organisée ne put nous être opposée. Je voyais d’où j’étais les murs se garnir lentement de soldats alors que l’assaut venait de la mer. Le comte de ce lieu dirigeait une cité portuaire et jamais il n’avait envisagé un assaut venant des eaux. Il allait payer son manque de prévoyance.
Nous passâmes deux heures à embraser, détruire et voler tout ce qui pouvait l’être jusqu’à ce que, enfin, les vampires de ce lieu parviennent à réunir suffisamment d’hommes pour envisager une contre-attaque. Trop tard, la mission était accomplie et la dizaine de nefs qui étaient en construction ne seraient bientôt plus que cendres. J’ordonnai alors le rembarquement et c’est avec des pertes minimes et des cales remplies que nous repartîmes en direction du détroit.
Six jours plus tard nous rejoignîmes la flotte qui était au grand complet. Konstantin avait également rempli sa mission à la perfection profitant d’un accueil encore plus dithyrambique que le mien et donc d’une surprise et d’une sidération encore plus grande qu’à Aïschmar. Seul Leonid avait échoué une tempête s’étant déclenché à Mourminsk le jour de l’attaque. N’ayant pas voulu risquer ses navires ou tenter sa chance le lendemain sans effet de surprise il préféra annuler son raid, d’autant plus que son objectif était le moins important des trois.
Me voilà donc de retour auprès de mon roi, plus prête que jamais a continuer cette guerre qui a si bien commencé ! Après avoir vaincu sur mer, il est temp de vaincre sur terre !
Géralde
Notre fuite vers la forêt de Pinvert s’est bien passée. Nous avons marché aussi vite que possible à travers des chemins escarpés qui, à défauts d’être vraiment praticables, nous assuraient une certaine discrétion. Une horde de centaines d’hommes, dont des femmes et des enfants, aurait nécessairement attiré la suspicion et donc la colère des vampires. Heureusement nul ne passe jamais dans ces landes vallonnées et accidentées parsemées de roches pointues impropres tant à l’élevage qu’à la culture. La discrétion fut payée en nombreux blessés mais nous arrivâmes finalement en vue de notre destination. Lorsque nous fûmes profondément enfoncés dans les bois Mikhaïl ordonna qu’on s’arrête. Il choisit comme lieu d’implantation un petit étang entouré de conifères et dont les buissons ruisselaient de baies. Nous nous y installâmes et durant les premiers jours notre temps était partagé entre la pêche, la cueillette et la construction de cabanes qui se perfectionnaient sans cesse. Heureusement que nous avions été formés à la guerre et donc à pouvoir nous établir durablement n’importe où.
Une dizaine de jours après notre établissement Mikhaïl commença à réfléchir à la suite des opérations car, bien qu’il soit aisé de l’oublier, nous étions en guerre. Certes l’essentiel de notre énergie et de notre temps était consacré à survivre mais nous ne comptions pas demeurer ici à l’abris des regards et du confort jusqu’à la fin de nos jours.
Je n’étais pas admis aux conseils mais Grégoire, en tant que premier responsable de la situation, y siégeait à chaque fois et me faisait un compte rendu des plus exhaustifs. Il ne semblait pas garder la moindre rancœur par rapport à l’inaction dont j’avais fait preuve durant cette nuit… Peut-être n’avait-il même pas remarqué que je n’avais rien fait dans le feu de l’action ou bien faisait-il semblant. Dans tous les cas j’étais heureux de cette situation et je me jurai à chaque fois que je repensai à ce moment qu’on ne me reprendrait plus à trembler devant la mort !
Mais pour cela encore faut-il qu’un jour nous allions nous battre et notre situation est pour le moins compliquée. Afin de ne pas être repérés nous limitons grandement nos déplacements mais en contrepartie nous sommes véritablement coupés de l’extérieur et ne disposons d’aucune information. Nous ne sommes même pas sûrs que le meurtre du messager ait été découvert bien qu’après tout ce temps l’inverse eut semblé étonnant. De plus une partie de la population désapprouve grandement notre entrée en rébellion. Si chacun comprend l’intérêt de demeurer cacher aux yeux du monde, on ne pourra pas compter sur l’ensemble des villageois pour passer à l’attaque. En effet Mikhaïl refuse d’envoyer au combat des soldats manquant de motivation. Il estime ne pouvoir compter que sur quelques dizaines d’hommes… et quelques femmes qui, étant donné nos effectifs, ne peuvent être écartées simplement en raison de leur sexe.
J’enrageai devant ces comptes-rendus de Grégoire : Nous sommes menacés de toute part, notre race est en guerre contre les vampires mais Mikhaïl refuse de forcer la main aux récalcitrants ! Ne pas exécuter soi-même quelques pleutres pour à terme tous nous laisser mourir est criminel et à la limite de la trahison ! Même en guerre Mikhaïl et Edvard restent timorés, effrayés par la radicalité et attachés à leurs privilèges. Ils se pavanent entre les cabanes en se donnant des airs de sauveurs alors que par leur inaction ils nous condamnent tous !
Naturellement Grégoire est de mon avis, comment pourrait-il en être autrement de la part de celui qui, seul, prit l’initiative d’assassiner un vampire et de déclencher cette guerre ? Il jure qu’il milite sans arrêt pour le passage à l’offensive mais, pour l’instant rien, n’y fait. Mikhaïl, Edvard et même Rémi et Gontran se refusent à attaquer. Ils ont toutefois consenti à partir en reconnaissance afin d’éclaircir la situation hors des bois et d’établir une stratégie. En ces temps de péril extrême la prudence me semble être la pire des témérités… Par Himka, j’espère que Grégoire saura faire changer d’avis ces lâches et ces idiots qui nous mènent tout droit à la défaite ! Pour ma part je vais tâcher d’ouvrir les yeux de mes congénères qui pensent pouvoir faire perdurer ce temps de honte où nous en sommes réduits à vivre dans les bois, cachés tels des bêtes traquées, rabaissés au rang d’animaux et finalement guère plus dangereux que des lièvres !
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