Chapitre 17 : Retour en Orania
Adrian
10 novembre de l’an 5775 après la guerre des sangs
A force d’errer dans le désert et de vivre sous terre j’en avais presque oublié d’où nous venions. Pourtant, après avoir quitté notre fief et ses problèmes, ce sont eux qui nous ont retrouvés. Tandis que Roksana et Agnessa étaient aller chercher des vivres à Avinpor elles y trouvèrent Artiom et Milana visiblement à notre recherche. Elles les accompagnèrent donc à nous et nous apprîmes ce qui se passait de l’autre côté des montagnes de la fin du monde. Tikmar s’était soulevé et Edvard et Mikhaïl avait guidé notre peuple jusque dans la forêt de Pinvert pour le soustraire à la menace qui pesait sur lui.
Une guerre s'était déclenchée et nous étions à des centaines de lieues de là. Face à ces révélations Denis perdit son calme et se mit à trembler en maudissant à voix basse ces hommes qui avaient gratuitement agressé un vampire, mettant en danger la quête non pas d’une mais d’innombrables vies à travers les âges, celle de la réconciliation ! Si les habitants de Tikmar venaient à être massacrés toute l’œuvre de son père et tout ce travail accompli depuis des siècles pour créer une base à la foi véritable et à ses idéaux s’effondrerait. Roksana, voyant l’état de Denis, parla la première :
« Ecoutez, écoutez ! Se lamenter est inutile. La situation est telle qu’elle est et nous ne pouvons en aucun cas laisser le vicomte détruire ce que nous avons patiemment construit. »
L’évidence était dite, restait à trouver une solution. Je me risquai à prendre la parole :
« Denis, si nous réfléchissons notre voyage n’a pas été perdu. Il y a ici des gens prêts à sortir de leur prison souterraine. Si nous parvenons à les ravitailler nous pourrions rassembler une petite troupe afin de prêter main forte à nos camarades d’au-delà des montagnes. »
Guy renchérit :
« C’est vrai ! De plus il me semble que le baron d’Avinpor est plutôt hostile à l’Empereur par les circonstances qui l’ont mené à avoir ce titre. Peut-être sera-t-il prêt à nous aider sans trop poser de question. Je doute qu’un exilé défende farouchement les frontières de celui qui lui a pris les titres et terres de ses ancêtres. »
A ces mots Milana sembla avoir une fulgurance et elle se mit à dire de sa petite voix timide :
« Euhhh… Je suis plutôt d’accord avec Guy… D’autant plus qu’à force de vous chercher nous nous sommes arrêtés dans de nombreux fiefs avant de parvenir à Avinpor… Nous avons entendu bien des choses au fur et à mesure et il semble qu’une guerre soit en train d’éclater. Le prince Konstantin aurait attaqué des ports avec ses navires et plus récemment encore Valassmar se serait soulevé… Si l’Empire tremble peut-être que l’ancien héritier de Cracvonia pourrait être tenté de recouvrer ses titres et de rentrer à son tour dans l’arène… D’autant plus qu’il n’a pas d’armée et que nous pourrions lui en fournir une avec les gens dont vous parliez moyennant un soutien de sa part. »
A ces mots Denis sorti de sa torpeur et commença à réciter par cœur ces mots qu’il avait lu tant de fois :
« Soudain l’océan se leva et s’abattit sur la terre en d’immenses cataractes mais, tandis que celle-ci semblait sur le point de finir submergée, elle s’anima à son tour et entama une lutte avec la mer qui s’attaquait à elle. Je crus alors voir deux titans difformes s’affronter dans un cataclysme apocalyptique duquel ne pouvait ressortir qu’une éternelle désolation et la fin de toute civilisation. »
Une nouvelle partie des parchemins d’Anatoli venait de revêtir l’aspect prophétique que Denis leur prêtait sans cesse. Le dhampire se leva alors et, plus résolu que jamais, il ordonna :
« Valass nous a voulu ici et, j’en suis persuadé, il nous veut désormais de retour de l’autre côté des montagnes ! Viendront avec nous tous ceux qui le voudront car de toute évidence les Sharnahasts auront un rôle à jouer dans les évènements qui s’apprêtent à survenir. Ivan, baron d’Avinpor, ne crachera pas sur une armée, même faible, qui lui permettra de venger son père. Je me charge de négocier son ralliement à notre cause ! Son oasis devrait être en mesure de ravitailler la troupe que nous réunirons. Nous retraverserons alors le désert et ferons triompher le vœu de Valass et d’Himka ! Je m’en vais immédiatement en direction d’Avinpor afin d’organiser notre départ ; Adrian, Guy, Thibault, Agnessa et Roksana préparez le ralliement de ceux qui sont prêts à sortir et à quitter cet enfer et organisez leur départ. Il faudra qu’ils soient prêts à fuir dès mon retour ! Nous ne pouvons-nous pas permettre d’attendre ! »
Chacun de nous acquiesça. Denis partit peu de temps après avec Milana et Artiom tandis que je repris contact avec Raffrar. Difficile pour l’instant de lui dévoiler toute la vérité sans risquer de provoquer une excitation qui nuirait à notre discrétion et à notre succès. Si jamais il venait à se savoir que nous organisions le départ de tout un pan de la population à l’insu de leurs dirigeants je ne donne pas cher de notre peau et même ardente aurait du mal à nous sauver, si jamais elle revenait avant notre exécution.
Quelle religion absurde que celle qui refuse que l’on sauve son peuple d’un cycle de famines et de guerres toutes aussi inutiles et absurdes les unes que les autres. C’est donc à l’insu des prêtres et des chefs que nous commençâmes à organiser le grand départ en espérant que les sous-entendus et les semi-vérités protégeraient notre secret et nos vies.
Géralde
Notre escapade jusqu’à notre actuel refuge n’a peut-être pas été aussi discrète que nous l’avions cru. Dès les premières reconnaissances hors des bois nous avons aperçu les troupes du comté se réunir, visiblement à notre recherche. Ils ont semble-t-il une idée, sinon précise, au moins globale de l’endroit où nous nous trouvons. Quelques vampires ont dû nous apercevoir avant que nous atteignons la lande de roche et, après la découverte du village déserté et du cadavre d’un des leurs, ils ont sans doute eu peu de mal à déduire les raisons de notre mouvement ainsi que le type d’endroit vers lequel nous nous dirigerions.
Il semble que l’ost du vicomte ait fini de se réunir et qu’il passe désormais ce désert de pierre ainsi que la lisière de la forêt au peigne fin. Le conseil s’est aussitôt réuni. Mikhaïl, Edvard et les autres laquais constituant cette triste assemblée n’ont pas cessé de discuter. Seul Grégoire défend réellement les hommes et a de ce fait ma confiance mais je doute qu’en pareille minorité les décisions qui devraient être prises le soient. Il en ressort pour l’instant que nous devrions mener une « petite guerre » comme Mikhaïl l’appelle. Une petite guerre ! Pourquoi pas de petites batailles, de petites estocades ou encore de petites offensives ? Surtout ne pas risquer de brusquer les sauvages qui nous font face ! Seul un aveugle ne verrait pas que Mikhaïl et Edvard essayent de ménager leurs semblables en les combattants mais surtout pas trop. Ce petit entre-deux nous mènera vers une immense catastrophe ! Renaud en son temps n’avait pas mené sa guerre autrement que par des batailles et des sièges. Jamais il ne s’était caché et ses hommes ont toujours remporté la victoire ! Lutter autrement qu’en suivant son exemple est suicidaire et nous mènera à une défaite à petit feu contre laquelle nous ne pourrons rien.
La seule chose qui me retient de refuser cela est Grégoire qui semble aussi persuadé qu’il s’agit là de la meilleure attitude à tenir. J’ai beau lui expliquer l’absurdité d’une telle stratégie il n’en démord pas mais il finit par me donner un argument qui, s’il n’emporta pas mon adhésion quant à la conduite choisie, ma convainquit néanmoins de m’y soumettre du moins pour l’instant. « A ton avis Géralde, que vaut-il mieux ? Une troupe unie avec de mauvais chefs ou une armée divisée avec un bon chef ? Actuellement nous n’avons d’autre choix que de tous nous soumettre unilatéralement au plan de Mikhaïl. Nous disputer, quand bien même ce serait pour une bonne raison, rendrait notre position encore plus précaire et précipiterait notre chute. »
Soit, pour l’instant il semble que le moindre mal consiste à suivre cette voie menant doucement mais sûrement à la défaite. C’est ainsi que nous délaissâmes la hallebarde et l’épée pour l’arc et l’arbalète. Jour après jour nous nous entrainions à nous cacher, à tirer et à fuir en profitant du terrain. Les premières embuscades furent menées sous les ordres directs de Mikhaïl mais je n’en faisais naturellement pas parti. Tant mieux ! Mon manque d’allant pour ces exercices et ma répugnance à être dirigé par un vampire alors que ce sont eux que nous sommes censés combattre n’aurait rien apporté de bon. Pour l’instant ceux qui partent reviennent avec le sourire, persuadés d’œuvrer pour leur délivrance. Les imbéciles ! Petite guerre signifie petites victoires. Ils ne voient pas que rester cachés ici à faire semblant de lutter nous mène à la perdition. Un jour les vampires nous trouverons et nous réaliserons alors que nous ne leur avons rien fait, rien infligé. Leur immense victoire compensera alors les innombrables nôtres qui auront été trop insignifiantes pour avoir le moindre impacte. Pour l’instant je prie pour que les hommes d’ici réalisent le péril vers lequel nous mènent les deux vampires à notre tête et en qui j’ai de plus en plus de mal à déceler ne serait-ce que la moindre parcelle de bonne foi.
Hugues
Que se passe-t-il hors de cette ville ? Alors que tout portait à croire que le duc ne rentrerait pas en guerre tout de suite voilà que vampires et soldats se massent devant nos murs. Même ici on commence à nous former à manœuvrer, de toute évidence en vue de batailles à venir. Je ne pouvais pas croire qu’après avoir donné un tel nombre de soldats à l’Empereur, s’affaiblissant d’autant, le duc se soulèverait alors même que son contingent n’était pas rentré.
J’ai commencé à comprendre lorsque Geneviève me raconta un évènement survenu dans la taverne où elle sert. Selon elle, peu après l’arrivé de tous ces vampires, un seigneur se serait levé et aurait commencé à haranguer les chevaliers présents :
« Mes seigneurs ! Comment se fait-il que nous hésitions encore sur la conduite à adopter ? Laissez-moi vous relire la lettre de l’archiprêtre Daniil :
« Le comte de Tarakmar et moi avons mené avec succès la prise de la ville sainte de Valassmar ! La marionnette qui servait d’archiprêtre n’est désormais plus et la foi véritable peut enfin renaître de ses cendres en son cœur même, dans la ville de Valass ! En ce jour il n’est plus question de reculer et nous nous devons de profiter des circonstances exceptionnelles qui s’ouvrent à nous ! Le prince Konstantin s’est soulevé contre son père, nous sommes parvenus à prendre la deuxième ville de l’empire et nous savons que la flamme de l’honneur de la foi et de la justice ne s’est pas éteinte chez tous !
Souvenons-nous ! Nous aurions dû nous révolter lorsque Stanislas proclama contre toutes les lois de Valass et des vampires la fin des royaumes et l’avènement de l’Empire. Nous ne l’avons pas fait. Nous aurions dû nous révolter lorsqu’il proclama le culte impérial et relégua au second rang la seule vraie foi. Nous ne l’avons pas fait. Nous aurions dû nous révolter lorsque le duc de Jourkalk, puis celui de Kmar et enfin celui de Cracvonia se sont légitimement opposés à la tyrannie de leur suzerain sensé les soutenir. Nous ne l’avons pas fait. Comme l’avait dit le premier de ces tristes martyrs :
« Si vous laissez pareille injustice m’être infligée sans vous soulever à ma suite ne doutez pas que le joug de l’oppression ne cessera jamais de s’étendre jusqu’à ce que la servitude touche tout vampire au seul profit de l’empereur. »
Ces paroles que nul n’écouta étaient pourtant prophétiques ! Aujourd’hui se dessine notre dernière occasion de mettre à bas Stanislas l’apostat ! Il se prétend avatar de Valass, rappelons-lui qu’il n’est qu’un seigneur qui ne s’est distingué que par sa constante absence de vertu ! Que tous les vampires d’honneur et de bonne volonté nous rejoignent ! Pour Valass que vivent et règnent les vampires… et que trépasse le tyran ! »
Comment pouvons-nous hésiter ? Ai-je besoin d’ajouter le moindre mot à ces paroles de vérité pour vous convaincre de vous soulever contre l’Empereur deux fois régicide ? »
Il n’en fallu pas plus pour que chacun lève ses armes et hurle des injures à l’encontre du monarque ou des ovations à destination de ce nouvel archiprêtre Daniil. Geneviève souligna tout de même que le discours ne faisait pas l’unanimité mais que soutenir l’Empereur devenait de plus en plus difficile et que même ceux qui étaient en désaccord avec les paroles de ce chevalier avaient tendance à se taire.
Ainsi donc la famille même de Stanislas se soulève et voilà que l’ancienne capitale est tombée. Les raisons du changement d’attitude du duc sont désormais bien plus claires et il est vrai que les circonstances peuvent compenser l’absence de quelques centaines d’hommes.
Ce revirement ravira-t-il ou non ma Dame ? Le plus dérangeant dans mon activité est bien cette ignorance du but que je sers. Je transmets des informations sans savoir s’il s’agit là de bonnes ou de mauvaises nouvelles. J’ai beau réfléchir je ne sais toujours pas dans quel camp est ma maîtresse.
Sans doute n’est-elle pas proche du duc de ces lieux sans quoi ma présence ici n’aurait que peu de sens. Mon vol sur le navire du prince Konstantin me fait également penser qu’elle ne doit pas être de ses amis. Tout cela indiquerait que si elle soutient un camp il ne s’agit probablement pas de la rébellion. Les missions de mes frères et sœurs ne diffèrent pas beaucoup des miennes et je ne décèle rien qui pourrait m’indiquer le but que nous poursuivons. Nous agissons dans tous les fiefs d’une façon qui me paraît à peu près égale. Peut-être est-ce là la conduite de quelqu’un de proche du pouvoir se méfiant de chacun de façon parfaitement équivoque… Ceci-dit des missions ont été accomplies jusqu’au plus près du palais impérial. En même temps si même un prince peut se soulever j’imagine que personne n’est au-dessus de tout soupçon. De plus s’il y a une chose dont nous ne manquons pas c’est de moyen. Des maisons nous appartiennent aux quatre coins de l’Empire et nous avons toujours de quoi corrompre hommes et vampires… Notre Dame serait donc un soutient de l’Empereur ? Dans ce cas il lui donnerait accès à ses fonds pour mener à bien ses basses oeuvres. Peut-être mais difficile de tirer des conclusions définitives de si minces informations. Et puis que m’apporterait une réponse à cette question ? Mon travail demeurerait identique et aucune des causes pour lesquelles tant de gens vont mourir ne revêt le moindre intérêt à mes yeux.
A la lecture de mes propres lignes je me dis que je dois être bien stupide pour réfléchir à des sujets qui de toute façon ne m’influenceront en rien. Ecrivons simplement ce rapport et profitons de ces derniers instants de paix car je crains que le temps de l’oisiveté en ville s’achève avec le début de la guerre.
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