Chapitre 3 : Rita -Business is business
Dix ans auparavant...
New-York ne m’avait pas manqué ces derniers temps. Elle restait cependant une ville agréable et mon étape inévitable. Premièrement, parce que j’y vivais avec Chloé, Archie et Allan. Ensuite, bouder sa richesse culturelle serait assurément une faute de goût. J’avais pris quinze jours pour décrocher de la grande pomme. Plage de sable rose, pina colada, bikinis, Chloé et ambiance festive avaient agrémenté mes vacances exotiques à Elafonissi. Mais, les rêves ne sont pas faits pour durer.
J’étais revenu dans la grande ville, et j’étais en mission depuis trois semaines pour Yacht Star Sales. Un de leurs clients avait projeté d’acheter un de leurs fleurons, mais s’était rétracté pour une raison inconnue. Vexés de ne pas avoir su le retenir, les dirigeants m’avaient mandaté afin qu’il change de décision. Autant dire que la motivation était là : dix pour-cent de la vente si Matthew Wells faisait l’acquisition avec moi.
Monsieur Wells était un homme débonnaire. Publicitaire de renom, pionner numérique, propriétaire de Farewells Inc, bon vivant de réputation malgré un âge avancé et très campé sur ses positions. Il était homme à avoir dans son carnet d’adresses et nul doute qu’il n’avait pas dû apprécier le manque d’écoute et de sens commercial de son précédent interlocuteur.
J’avais donc fait mon enquête afin de mettre mon invité dans les meilleures dispositions. Il était hors de question de le recevoir dans un bureau. J’avais donc réquisitionné un des bijoux de la flotte d’YSS, le Geneviève. Je voulais faire bonne impression et il me fallait carte blanche et passe-droit illimité. Quand vous mettez sur la table au minimum vingt millions de dollars, vous êtes en droit d’exiger quelques traitements de faveur.
Lorsque je vis l’homme sortir de son imposante Roll Royce Phantom, je crus voir un sosie de Jack Nicholson. Le même rictus lorsqu’il souriait et un sourcil fronceur lorsqu’il vous fixait.
Sa poignée de main franche annonçait déjà le sens dans lequel les tractations devaient être dirigées. Une fois à bord du voilier, le pilote, mit le cap sur la baie de Long Island. Wells palabrait sans cesse. Il voulait ci, il voulait ça et, entre deux gorgées d’un vieux bourbon, me racontait des anecdotes de sa vie de milliardaire. Puis il maugréait sur son précédent interlocuteur.
—Il voulait me vendre sa came comme si j’étais un vulgaire client. Tant pis pour lui, il ne touchera pas sa commission.
La question était donc d’adapter l’offre à ses besoins. Tandis que le voilier continuait sa progression vers l’embouchure, je lui montrais quelques concepts de mon cru tout en m'efforçant de ne pas envahir son espace. Il semblait apprécier la tournure des évènements. Très sûr de lui, il me harcela des questions sur le service que j’étais à même de lui proposer.
Je devais à mon tour afficher mes certitudes.
—Je présente des concepts de navire qui sont faits selon, et en accord avec les désirs de leur propriétaire. En l’occurrence, nous mettrons à votre disposition une liste de designers réputés pour leur créativité et leur savoir-faire, dont un de mes préférés, Erwin Anton.
—Impressionnez-moi !
Le ton était plein d’arrogance. Et impatient.
—J’ai étudié votre cahier de doléances et j’en ai ressorti quelques lignes directrices.
—Je suis toute ouïe.
—Nous pourrions construire un navire long de quarante-cinq mètres, combinant modernité et classicisme, le tout avec élégance et confort. La société, ainsi que nos partenaires, mettront naturellement à disposition une multitude d’options parmi lesquelles vous pourrez choisir à votre guise pour vous rapprocher un peu plus de votre rêve.
J’accompagnai mon discours d’une maquette 3D du plus bel effet qui attira aussitôt l’attention de Monsieur Wells. Il tournait autour, essayant de décrypter le design.
—J’aime ce genre de gadget visuel. Vous commencez à me plaire ! Continuez.
—Le yacht sera équipé d’une incroyable motorisation, faite de deux moteurs Volvo Penta IPS et d’un système de navigation avec joystick et propulseurs avant contre-rotatifs. Il s’agit d’un système de propulsion entièrement intégré, du poste de commande aux hélices, en passant par le moteur, ce qui en accroît la qualité et la fiabilité. C’est un moteur conçu avec la manœuvrabilité comme priorité.
Je pris une pause. Monsieur Wells regardait l’animation qui détaillait le fonctionnement des moteurs.
—Et si je veux le piloter moi-même ?
—Avec le système Electronic Vessel Control, vous pourrez profiter du pilotage intuitif Joystick Driving ou du système de positionnement dynamique intelligent et tout gérer depuis le système Glass Cockpit de Volvo Penta. C’est un système de surveillance qui rassemble toutes les informations pour le pilote et les affiche sur un ou plusieurs écrans de haute technologie.
—C’est la voie royale pour l’easy boating !
—C’est le but avoué. C’est bien d’avoir un bateau. C’est mieux si on peut le manœuvrer nous-mêmes.
Wells acquiesça vivement.
—Pour la coque, le navire sera tout en aluminium et en forme de V. Mais vous pouvez tout aussi bien demander une forme arrondie pour un déplacement plus rapide, ou une version tout en métal à titre d’exemple. Et puis vous pouvez faire appel au designer de votre choix pour composer l’intérieur du yacht.
—Qui me conseilleriez-vous ?
—Pour l’intérieur, je ferais appel à un designer belge du nom de Kathrine Hildegard. J’ai déjà eu l’occasion de la voir sur d’autres projets. Elle est très créative et travaille en collaboration avec une maison de design néerlandaise. Ainsi, le tout serait composé de chêne blanc et de lignes épurées, dans un esprit d’ouverture.
Il eut un moment d’hésitation. Je ne lui laissai pas le temps de douter.
—Nous avons travaillé ensemble sur votre projet, et nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il faudrait habiller le yacht de larges baies vitrées pour ne jamais couper complètement l’intérieur et l’extérieur depuis le salon. Les escaliers seraient tous très designs, flottants et en acier, menant aux différents ponts. Pour les matières, la suédine et le cuir seront prédominants, toujours dans les tons clairs afin de préserver un maximum de luminosité.
Mon discours enrichissait une visite virtuelle dynamique et j’avais à nouveau toute l’attention de mon client.
—Sur les ponts extérieurs, vous trouverez divers espaces pour déjeuner que ce soit à l’ombre ou en plein soleil, et les espaces du personnel permettront de préserver toute votre intimité grâce à deux cabines, une salle de bain et un espace de repos. Enfin, au niveau des ponts inférieurs la master suite comprend deux gardes robe, juste à côté d’une VIP suite et de deux cabines pour vos invités, chacune avec leur propre salle de bain.
La visite virtuelle passait en boucle sur le moniteur.
—Enfin, j’ai l’impression de parler à quelqu’un qui connaît son job !
Le sourire magnanime, je repris mon argumentaire.
—Enfin, les larges ponts permettraient aisément de garer vos différents petits bateaux, tandis que tous les appareils nécessaires à des moments de détente exceptionnels seraient intégrés : wet bar et grill, évier, frigidaire, machine à glace, et même deux transats incroyablement confortables pour profiter d’un cocktail après ou avant le repas !
Monsieur Wells lâcha un rire nerveux qui se rapprochait de la satisfaction. Son sourcil droit fronçait. Il pointa le moniteur, puis la maquette.
—Et vous me garantissez tout cela ?
— J’ai personnellement travaillé sur ce projet et rencontré les différents intermédiaires. Toutes les options sont envisageables, donc ne perdez plus de temps et commencez à rêver votre yacht parfait !
J’avais tout donné. La plaidoirie achevée, je me dirigeai vers le bar et servis un bourbon à Monsieur Wells.
—Le petit cadeau pour la fin : vous aurez une clé électronique. C’est une télécommande unique qui vous permettra de réaliser de nombreuses opérations, même à quai, comme mettre ou couper le contact, ou commander l'éclairage extérieur, le chauffage et l’équipement multimédia à distance. Vous aurez au creux de votre main la simplicité, l'intelligence et la sécurité de la commande à distance.
J’avais donné le coup de grâce.
—Jeune homme, là, vous m’avez impressionné ! Enfin un vrai discours !
J’étais flatté et lui décochai un sourire affable.
—Combien de temps avant la livraison ?
— Construire un yacht personnalisé est un projet à long-terme et un investissement majeur. Ce n’est pas une décision impulsive qui doit amener un résultat immédiat. C'est pourquoi il est essentiel que la bonne équipe soit choisie pour vos besoins spécifiques et un bon courtier, en l’occurrence moi, soit une liaison inestimable entre vous et le chantier naval. Mon rôle sera de tenir le chantier informé des décisions et des conditions de votre part tout en maintenant l'équilibre entre les deux parties.
Mon client prit un air gravissime. Il soupesait mes propos.
—Si nous arrivons à un accord vous et moi, je passerai personnellement la commande auprès d’amis italiens afin de traiter votre projet prioritairement. Leur chantier naval à La Spezia est l’un des plus réputés au monde. Et je peux vous garantir une finition au plus tard dans onze mois. Puis, il y aura les teste et essais en mer. Enfin, il y aura remise en l’état dans le port de votre choix. »
Monsieur Wells se leva et se dirigea vers le pont supérieur. Nous étions pratiquement arrivés à la Marina de Long Island. Il prit une grande bouffée d’air, sortit un cigare que son adjoint s’empressa d’allumer.
—Je crois que je vais vous faire confiance Alessandro. Vous permettez que je vous appelle ainsi ? De tous les appels d’offre, vous avez été, de loi, celui qui m’a le plus compris.
—Vous ne le regretterez pas. Et nous suivrons ensemble la construction de votre navire.
Le débat sur le prix restait en suspens. Même s‘il ne fallait pas avoir peur de parler d’argent, la question devait être abordée avec tact.
— Et, nous pourrions même avoir un impact publicitaire en livrant votre rêve au Monaco yacht Show. Naturellement, la société se fera un plaisir de vous convier à cet événement à ses frais.
Monsieur Wells arbora un sourire de vainqueur. Il tira une longue bouffée sur son cigare, appela son assistant qui lui apporta une pochette de cuir. Il glissa la pochette vers moi.
—Le contrat est à vous ! Félicitations !
J’étais intérieurement ravi. Ma mission avait été menée avec brio et nous trinquâmes autour d’une coupe de champagne à notre prometteuse collaboration. Je saisis la pochette, jetai rapidement un coup d’œil sur les documents. Monsieur Wells m’avait donné un budget de départ cinquante millions de dollars.
J’appelai brièvement mon mandataire afin de lui confirmer l’accord et qu’il panifie les prochaines réunions. Cette négociation allait me rapporter déjà une coquette commission. À cela, s’ajouteraient les dix pour-cent sur l’enveloppe reçue de mon client. Autant dire que cette affaire avait été très fructueuse pour moi.
Arrivé à la marina, je libérai mon bienheureux client de ses obligations. Quant à moi, j’allai savourer cette réussite.
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