Chapitre 4 : Chloé - Le true American drinking
La soirée allait dégénérer en beuverie monumentale. Qu'importe si nous travaillions le lendemain. L’immense salon s'était transformé en aire de jeu. Archie avait savamment déplacé les meubles, couvertures, chaises et coussins. Anne ne connaissait pas les règles, mais était follement partante. Chloé s’empressa de lui expliquer les règles.
—En gros, chacun notre tour, on essaie de gagner un mouvement ou une position dans la pièce afin de voyager entre tables, chaises, coussins. Toutes ces choses-là sont l’unique moyen d’échapper à la lave, qui est le plancher du loft…
—Tu vois là-bas ? C’est le château. Il y a une bouteille de rhum au centre de la table, le Roi. Le Roi est entouré de bières. Elles servent de gages et sont les "soldats de l’ordre " ! Alignées de la sorte, elles forment une zone d’action précise qui appartient au départ à chacun de nous. Ça va jusque-là ?
Anne acquiesça.
—Ensuite, on doit évoluer de zone en zone. À chaque fois qu’on bouge dans la zone de jeu, on boit une bière. Il y a trente bières, soit six par personne. Le premier qui finit ses bières, arrive à la bouteille de rhum et en prend un shot a gagné…
Anne était amusée par la bonne humeur communicative de Chloé. Allan la regardait maladroitement, mais intensément. Ces deux-là ne pouvaient que finir ensemble. Chloé finit d’énoncer les règles.
—On démarre à "un, deux, trois JFK. FDR !" De ton espace, tu dois chercher une bière et tu reviens sans tomber dans la lave. On tourne dans le sens des aiguilles d’une montre. Quand c’est ton tour, tu bouges d’un espace, pas d’une zone. Mais tu dois gagner ton déplacement.
—Comment ?
—Il y a trois possibilités. Au décompte, tu fais un chiffre avec tes doigts sur ton front, et, si tu es la seule avec ce chiffre, tu gagnes ton déplacement. En gros, tu peux aller d’une chaise à un coussin, une couverture au sol, une feuille de papier, en sautant bien sûr !
—Option deux, tu donnes une citation, soit historique, soit culturelle. N’importe quel joueur qui complète ta citation avant que tu finisses ta bière gagne et peut se déplacer de deux spots.
—La dernière possibilité, ma préférée au passage, le joueur hurler le nom de deux personnes, lieux ou choses au choix. Si tu trouves ce qu’il y a en commun, tu gagnes trois déplacements.
Je pris la parole avant de lancer les hostilités.
—Si on te surprend sans bière ou avec une bouteille vide, tu perds. Si tu es dans la lave, tu perds. Pour revenir dans le jeu, tu dois boire entièrement une bière et te repositionner dans un lieu qu’on aura choisi…
Le jeu prit des allures de compétition loufoque. C’était chacun sa peau. Tout le monde hurlait, piaillait. Les gages, plus puérils les uns que les autres nous avaient conduit vers des situations tantôt cocasses, tantôt troubles. Sentir le souffle d’Anne sur ma nuque alors, que nous étions à deux sur une chaise, me gênait tant Allan crevait d’envie pour elle. Je voulais m’échapper d’elle et d’une subtile pirouette la déséquilibrai et l’obligeai à reprendre la partie loin de moi, mais suffisamment près de mon ami, le clin d’œil complice.
Chloé était euphorique. Elle faisait des bonds partout, s’accrochait tantôt à moi, tantôt renversait ses adversaires. Archie, en fin tacticien, remporta brillamment la partie. Mais l’alcool eut raison de nous.
Il me fallait de l’air. Et j’avais un creux. Allan et Anne étaient affalés dans le canapé et en grande conversation. Archie, assommé par toutes ces bières, préféra rejoindre Morphée. Et, Chloé avait disparu je ne sais où. Mon expédition nocturne m’amena jusqu’au « Five Guys ». Mon burger ne se fit pas attendre. Une trêve qui fit grand bien
—Ah, tu es là ! Les garçons m’ont dit que tu étais sorti. Quelle soirée !
—Ce n’est pas peu dire... Je voulais laisser un peu d’intimité entre Anne et Allan. Si ça ne se finit pas au lit entre ces deux-là, je ne comprends pas.
—J’ai cru un instant que tu me fuyais ! Lâcha-t-elle en rigolant.
Puis elle me fixa. Le silence me parut d’un coup éloquent. J’éclatais de rire à mon tour.
—Regarde-nous Chloé, il est près de quatre heures du matin et on est assis là, face à ce délicieux burger, à se poser toujours la même question. Qu’est-ce qu’on fait là au lieu d’être avec l’amour de notre vie ?
Je me sentis désabusé sur le coup.
—Je crois que toi et moi, on a loupé le bus qui nous emmenait au pays du bonheur. Répondit-elle.
—Je crois surtout qu’on se complaît dans nos vies et qu’on a peur de perdre tout ça à cause d’aimer ou de ne pas être aimé.
Sur cette dernière remarque, nous quittâmes l’établissement. La pluie commençait à tomber, mais elle faisait du bien à mon visage. Chloé m’attrapa la main, me força à courir comme des gosses jusqu’à l’escalier menant à notre immeuble. On sautait dans les flaques d’eau et on s’épuisait à rire de nos actes d'enfants. Mais c’était si bon. Devant les marches elle m’invita à une petite danse.
—Peut-être que tu as raison Ale. Au fond, on est dans notre zone de confort. Je crois aussi que les gens ne sont pas prêts à accepter nos fantaisies. Mais après tout, nous avons toujours le choix de dire oui ou non à l’amour.
Sur cette dernière pensée, elle m’embrassa tendrement. Je répondis favorablement à son approche. Un baiser long et passionné. Plus rien n'existait. Pendant quelques secondes. L'Univers s'est réduit à nos corps soudés par ces lèvres juxtaposées. Puis nous nous réfugiâmes dans l’appartement, trempés jusqu’aux os.
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