Chapitre 7 : Rachel - Les retrouvailles
Six mois auparavant...
Le travail me prenait un temps fou et une énergie considérable. J'avais accepté la proposition de partenariat avec Maureen. Notre entente était excellente et les affaires tournaient. Mais il me fallait un break. Une grande pause. Je pris donc quelques congés, histoire de me ressourcer et casser ma routine. J'avais deux, trois idées de ce que j'allais faire. Le reste viendrait naturellement.
Quand j’arrivai à l'appartement, Archie était en pleins préparatifs de mariage avec Éléonore. Nous allions assister à une réception somptueuse, connaissant le garçon. J'étais ravi pour lui. Pour eux. Éléonore était une femme toute aussi jolie que charmante, pleine de bonnes intentions, le mot juste et apaisant et elle avait conquis notre « Lord » d'un battement de cils. Dix-huit mois plus tard, leur amour crevait toujours autant les yeux et je me félicitais de leur union officielle.
—Alors Ale, que vas-tu faire de tes vacances ? Questionna la future mariée.
—Tout d'abord, je vais ressortir mon bateau. Je pense rejoindre les îles, en longeant la côte jusqu'à Miami, puis direction Key West et faire une halte à Cuba.
—Tout un programme !
—Ça va me faire du bien de reprendre la mer. J'en avais un peu marre de prendre aussi souvent l'avion. Je dois checker mon itinéraire, les autorisations, bref toutes les formalités en bonne et due forme.
—Tu y vas seul ? S’enquérit Archie ?
—Dans l'immédiat, oui. Je ne vois pas qui j’emmènerai...
Allan et Chloé débarquèrent à cet instant, les bras chargés de courses.
—Ce soir, c'est Chloé qui cuisine ! Balança-t-il.
Elle arbora un grand sourire.
—De la cuisine française pour vous messieurs ! Et bien sûr la future Madame Archie !
Elle semblait sur un nuage. C'était bon de la voir ainsi. Quelques problèmes de santé qui s'étaient compliqués avaient eu raison de sa vivacité et de son enthousiasme contagieux. Une torture de trois mois durant laquelle nous l'avions soutenu. Et là, elle nous revenait depuis quelques semaines, plus rayonnante que jamais.
—Dans ce cas, je vais chez le caviste nous dénicher quelques bonnes bouteilles de vin !
Je pris les clés de la corvette et filai. Quand on a du goût en matière de vin, il faut savoir qu'à New-York, il faut aller à La Petite Cave dans le sud de Manhattan. C'était une petite enseigne très prisée. Je garai la voiture devant la boutique. Il y avait peu de clients dans le magasin à cette heure-ci. Larry, le patron, m'accueillit à bras ouverts.
—Mon cher Alessandro, c'est toujours un plaisir de te voir ici !
—Pour choisir le meilleur vin, je viens voir le meilleur !
Il était flatté. Larry était d'une gentillesse incroyable et d'une grande expertise en la matière. Il ne me décevait jamais dans les choix.
—Larry, Chloé nous fait de la cuisine française ce soir et je cherche quelques chefs d’œuvre gustatifs pour accompagner le dîner. Je cherche un vin d'entrée, ensuite pour le plat de résistance et enfin un digestif de qualité pour les garçons.
Il approuva ma démarche.
—Tu as déjà une idée en tête mon jeune ami ?
—Je pensais à un Sauvignon blanc en ouverture.
—Toi, tu retiens mes leçons. C'est un excellent choix. Pour la viande, on peut rester en Sauvignon avec un cabernet Napa Valley ou un Château Coutet.
Il prit un verre pour un moment dégustation, puis m'abandonna quelques minutes afin de s'occuper des autres clients. Une voix du passé interrompit cet instant privilège.
—Ale ? Alessandro ?!
Je fis demi-tour et me sentis pétrifié à sa vision.
—Rachel ?
Elle se dirigea vers moi, m'étreignit longuement et me scruta de la tête aux pieds.
—Mais regarde-toi, tu es fantastique ! Mon dieu quel changement ! Que t'est-il arrivé ?
Ce n'était pas la réaction que j'attendais. Plutôt une gifle pour ma lâcheté ou des remontrances pour l'avoir fui pendant toutes ces années.
—Il faut bien changer un jour et se prendre en main.
Ses yeux n'arrêtaient pas de se balader sur moi que cela en devenait presque gênant.
—Tu es absolument magnifique ! Mais que fais-tu à New-York ?
—Je vis en grande partie ici, en dehors de mes voyages d'affaires.
Elle semblait médusée.
—Et toi Rachel que deviens-tu ? Qu''est-ce qui t'amène à New York ?
—Beaucoup de choses se sont passées depuis que tu es parti Ale ...
Mes yeux fuyèrent à la recherche d'un salut. Larry fut ma providence quand il nous rejoignit.
—Alors mon garçon lequel préfères-tu ?
—Le Château Coutet sans hésiter. Et pour le digestif ?
—Si tu veux du fin du fin, je ne peux que te proposer le Louis Royer XO fine champagne cognac. Son prix est plutôt élevé, mais c'est une valeur plus que sûre. Accompagné d'un excellent cigare, ces messieurs seront conquis.
Le choix était arrêté. Il ne me restait plus qu'à m'occuper du cas Rachel. Alors que nous réglions nos achats respectifs, je lui proposai bien maladroitement un verre. Elle approuva. Je déposai les bouteilles à l'appartement et nous nous rejoignîmes au Bar Alaska.
Elle semblait un peu tendue à mon arrivée. Les cocktails servis, elle entra dans le vif du sujet.
—Tu sais Ale, je me rappelle encore de cette nuit-là, quand tu es parti et que tu n'es jamais revenu. Je t'ai même cherché sur les réseaux sociaux, je t'ai envoyé des invitations auxquelles tu n'as jamais répondu. Je ne méritais pas ça.
—Tu sais Rachel, ce qu'il y a de plus dur est d'être amoureux de quelqu'un qu'on ne peut pas avoir. Je n'étais pas le plus populaire, je n'étais pas le mieux habillé, les gens se demandaient qu'est-ce que tu trouvais en moi et la moitié de l'équipe de football passait son temps à m'humilier...
—J'en suis désolée, je n’ai jamais ça… On était amis toi et moi, rien de plus…
—Et cette soirée-là fut la soirée de trop. Tu n'as aucune idée de ce que j'ai ressenti. Une colère immense quand tes copains du foot se sont acharnés sur moi devant tout le monde. Une honte impossible à décrire. Et toi ? Qu'as-tu fait ? Tu ne les as pas empêchés...
Elle baissa ses yeux qui commençaient à se mouiller.
—Je sais que ce qui s'est passé est impardonnable. Mais qu'as-tu fait pendant tout ce temps Ale ? Où étais-tu bon sang ?
—J'ai tout abandonné ici pendant un an pour aller à Londres mais mes amis m'ont convaincu de revenir, et me revoilà dans cette bonne ville de New-York. Et toi ?
Elle esquissa un sourire pincé.
—Disons que je me mords les doigts de mes erreurs de jeunesse. Je suis restée avec Aaron après ton exil pendant près de deux ans. Il n'évoluait pas et m'étouffait constamment, sans compter ses humeurs bagarreuses. On s'est séparés. Je suis partie à San Francisco rejoindre un cabinet d'avocats. Finalement, il m'a rejoint. Il m'a fait de beaux discours. Que veux-tu ? J'y ai cru. Finalement, je l'ai quitté il y a deux mois, j'ai aussi quitté mon job et je suis venue me réfugier ici dans ma famille...
Sa voix était perlée d'une amère émotion.
—Tu saisis l'ironie de la situation Ale. J'étais une reine et il m'a fait devenir une femme plus qu'ordinaire. Toi à l'inverse, tu es devenu superbe et je m'en veux de ne pas t'avoir accordé plus de mérite et d'attention.
Ses paroles m'avaient adouci, même si le souvenir restait vivace. Mais nous avions trop de choses à se dire encore et ma soirée m'attendait. Je me levai, réglai les consommations puis revins vers elle en lui tendant ma carte de visite.
—Je dois partir. Appelle-moi.
Je l'avais laissé là, sans détour. La sortie me semblait un peu théâtrale, mais étonnamment, j'avais eu l'ascendant psychologique après cette entrevue. L'air frais me fit un grand bien et je regagnai le loft.
Ça sentait bon. Les sens olfactifs étaient en ébullition. La soirée fut animée. Les discussions allèrent bon train, les fous rires fusèrent de partout. Allan, Archie et moi, nous éclipsâmes à la fin du dîner sur le toit pour savourer le cigare. On se prenait pour les maîtres du monde avec la vue que nous avions. Calés dans les fauteuils, nous prenions des paris sur la vie. Chloé nous interrompit. Son regard était fâcheux.
—Ale, il y a quelqu'un pour toi.
Je n'attendais personne.
—Qui est-ce ?
Elle joignit ses mains et se balança d'avant en arrière sur la pointe des pieds.
—Rachel...
Allan et Archie me dévisagèrent. Un mélange d'interrogation et de torpeur. Chloé me lançait presque des foudres. Cette femme, qui m'avait causé tant de tort, s'était infiltrée dans notre intimité et je n'en avais pas encore discuté avec eux. Je me levai, non sans appréhension quant à sa venue surprise et la rejoignis dans le salon.
—Rachel ? Que fais-tu là ?
—Je me suis dit qu'au lieu d'appeler, je pourrais peut-être passer, mais visiblement tu n'es pas tout seul.
—Non, je ne suis pas seul. Et, pour information, nous vivons tous ici.
Sa présence devenait de plus en plus intrusive. Je ne doutais pas une seconde que mes amis essayaient de capter des bribes de notre conversation.
—Que veux-tu, Rachel ?
—Je voulais te voir. Simplement. Après tant d'années, je ne pouvais pas me contenter de notre brève discussion de toute à l'heure. Encore moins de ta sortie qui, je l'avoue, m'a laissé sans voix.
—Allan, Archie, bonsoir. » Ajouta-t-elle.
Tout le monde était revenu dans le salon. Autant, ils la saluèrent poliment autant Chloé avait les bras croisés et fixait Rachel avec un dédain affiché.
—Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Encore une fois, je suis désolée.
Elle prit la direction de la sortie, ouvrit la porte, marqua une pause et fit sonner mon téléphone.
—Appelle-moi...
La porte se referma. L'intervention ne tarda pas à me tomber dessus. Éléonore ne comprenait rien de la situation. Un bref résumé, bien senti, de la part de Chloé la mit à jour. Entre les "comment as-tu pu ? ", "pourquoi tu ne nous as rien dit ? ", les mises en garde et les rappels, j'avais l'impression d'être coincé entre le marteau et l'enclume.
D'un bond, je pris ma veste et pris la sortie, claquant violemment la porte. Je n'avais rien demandé et tout me tombait dessus.
Je pris la voiture et roulai sans destination précise. Même mon cerveau était en mode automatique et je ne réfléchissais à rien. J'avais passé toutes ces dernières années à être tout en contrôle. Je me retrouvais à présent confronté à mes démons. Au volant du bolide, j'avais le sentiment de prendre une nouvelle fois la fuite. Mais dans ma virée solitaire, mes colères et mes frustrations se calmèrent progressivement.
J'arrêtai ma course au bout de deux heures au One World Trade Center. C'était en quelque sorte mon spot. Quand j'avais besoin de réfléchir. Ou toucher le ciel du doigt. Ou regarder sans limites par-delà les étoiles.
Je contemplai mon univers, songeant à tout ce que j’avais accompli jusque-là. Le vide immense me renvoyait à ma solitude.
—Le plus beau point de vue de la ville !
—Comment m'as-tu retrouvé Archie ?
—La géolocalisation mon cher !
Il s'approcha et regarda la nuit étoilée.
—Tout va bien se passer. Me dit-il tout en scrutant la voûte céleste.
—Ici, en cet endroit, je me sens comme le roi du monde, où personne ne peut m'atteindre. Je regarde le ciel et je me projette dans un avenir que je façonne à ma manière.
Archie me tendit une cigarette et m'alluma. La longue bouffée qui s'en tira était apaisante.
—Qu'ai-je fait de travers Archie ? Je n'ai rien demandé. Les choses se sont passées ainsi. On s'est croisés chez le caviste, nous avons discuté brièvement. Il n'y a rien. Je n'ai rien dit, car je n'allais pas sortir ça à table de but en blanc et refroidir considérablement l'ambiance. Et je m'inquiétais pour Chloé, même si elle va beaucoup mieux.
—Tu n'as pas à t'inquiéter pour elle. Et elle ne t'en veut pas. Personne d'ailleurs. Mais elle se soucie de toi. Elle a eu une attitude défensive. Elle veut te voir heureux. On a tous besoin de quelque chose ou de quelqu'un Ale. Et toi, même si tu refuses de l'admettre, tu as besoin d'amour. Le fait de revoir Rachel a peut-être réveillé tout ça.
Peut-être n'avais-je pas envisagé cet angle. Je n'avais plus envie de réfléchir à cette heure-ci. Nous rentrâmes à l'appartement. Chloé et Allan me serrèrent fort dans leur bras. Éléonore se félicitait de mon retour et remercia son amoureux d'être allé à ma recherche d'un tendre baiser. Je voulais que cette journée se finisse et m'affalai sur mon lit. Alors que je tombais dans mon sommeil, je sentis le baiser de Chloé sur ma joue et sa main cajolant mes cheveux...
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