Chapitre 8 : Chloé (bis) - L'accident
La réunion des anciens étudiants arrivait dans deux jours. Nous avions préparé les habits de lumière. J’avais lustré la corvette comme si j’allais à un mariage. Et j’allais débarquer au milieu des convives avec Rachel accroché à mon bras. J’avais l’impression d’aller à un bal pour la première fois de ma vie.
Alors que je consultais mes mails, je laissais échapper ma tasse de café. Un mail attira mon attention. L’objet s’intitulait Rebecca.
« Bonjour Alessandro,
Je m’appelle Kathy et je suis la meilleure amie de Rebecca. J’ai l’immense tristesse de vous informer qu’elle est décédée vendredi des suites d’un accident de voiture.
Elle m’a beaucoup parlé de vous, et elle gardait un souvenir impérissable de votre rencontre. Elle me disait même que ce fut le point de départ de sa nouvelle vie. Je crois comprendre que vous gardiez encore contact malgré la distance.
L’enterrement aura lieu demain à 10 h 00 au cimetière de Brompton. Une cérémonie précédera à la paroisse de Sainte-Praxède. Si vous vouliez lui rendre un dernier hommage.
Sincèrement,
Kathy »
Mon visage devient blême. Chloé aperçut ma mine décomposée. Sans mot dire, je pris ma veste et quittai l’appartement prestement. Elle ne pouvait pas me retenir. La nouvelle était assommante. Rebecca était morte. Elle qui avait été le point de départ du nouveau moi. Celle qui m’avait fait vibrer quand j’étais au plus mal. Celle qui prenait encore de mes nouvelles alors que nous savions qu’on ne se reverrait probablement jamais.
Je me laissai envahir par la tristesse. Il parait que c’est égoïste d’avoir mal quand on perd quelqu’un. Une chose était néanmoins sûre. Je n’avais pas le monopole de la douleur. Je n’avais pas vraiment mal. J’étais simplement empli de chagrin. Le souvenir de notre rencontre restait vivace.
Finalement, je fis demi-tour, saisis mon portable pour réserver urgemment un vol et fis un bagage léger dans la hâte. Chloé cherchait à deviner la raison de mon trouble.
—Qu’est-ce qu’il y a ? Dis-le-moi Ale s’il te plaît.
—Je dois partir. Ne m’attendez pas. Je reviens au plus vite.
—Où vas-tu ?
En guise de réponse, je l’étreignis et filai. J’avais réussi à trouver un vol dans l’heure. Les sept heures d’avion me parurent une éternité et je n’arrivais pas à trouver une quelconque forme de sérénité.
J’avais toujours un double des clefs du loft d’Archie à Canary Wharf. Peu de choses avaient changé si ce n’est une décoration toujours aussi subtile et raffinée. Instinctivement, je m’étais dirigé vers la fenêtre. Je me rappelais cet appartement en contrebas, cette nuit illuminée par son apparition, quand elle avait frappé à ma porte. Un ange blond venu me délivrer de mes maux.
Le lendemain fut un tantinet pénible. J’avais passé la nuit à sillonner Londres, passant de bar en bar, esclave de ce rituel, cherchant le souvenir, à soulager la peine et suspendre le temps un court instant. Mon téléphone avait vibré des nombreux textos de Rachel. Je lui avais simplement répondu que j’avais un contretemps et que je la rejoindrai au plus vite à l’événement.
C'était un matin de pluie. La paroisse s’était peu à peu emplie. Discrètement calé dans le fond, je scrutais l’assistance derrière des lunettes noires qui masquaient mes cernes de jeune quarantenaire endeuillé. La cérémonie fut solennelle mais longue. Je regardais ces gens pleurer et dont j’ignorais l’existence. Un défilé de masques de tristesse. Des visages déformés par la douleur. Des mots se faisaient entendre. À mes yeux, le contenu de ces phrases était insipide. Ces mots qui n'avaient ni sens ni importance et qui répétaient inlassablement "mes sincères condoléances".
—Merci d’être venu. C’est important pour moi. Et elle aurait souhaité que vous soyez présent. Je suis Kathy.
Je ne l’avais pas vu et elle s’était faufilée derrière moi.
—Je lui devais bien plus qu’un au revoir. Répondis-je.
—Elle avait laissé quelque chose pour vous au cas où vous reverriez. Quelle ironie du sort, me direz-vous.
Elle me tendit un petit paquet, esquissa un sourire pincé et s'en alla rejoindre les convives. Tous se dirigeaient vers le cimetière. Le visage d'une mère, d'une sœur qui pleuraient. Les têtes qui se baissaient. Vingt mètres derrière, j'avais préféré rester en retrait de ce déluge de tristesse. Puis la foule se dispersa au bout d'une demi-heure. Je m'approchai de la tombe et fixai cette croix. Croix de Jésus pour certains, croix d'injustice en cet instant. Quatorze années qui avaient défilé et nous n'avions que très peu eu l'occasion de nous revoir.
Dans l'avion me ramenant à New-York, je défis le paquet. Une petite boite en bois dans laquelle contenait un carnet relié en cuir. J'en caressais délicatement la couverture. En feuilletant ce recueil, j'avais l'impression de me reconnecter à Rebecca.
Page 8
J'oserai dire un jour que j'ai rencontré un homme au cœur pur et aux doigts merveilleux. Il a mis de l’espoir dans mon cœur hier soir. Un arc-en-ciel dans mon corps aussi. Il ne sait pas à quel point il a marqué ma vie. Même si notre histoire était volontairement vouée à une fin. Un jour, peut-être, il lira ces quelques lignes et que je lui donnerai le même sourire que cette nuit-là.
Cette nuit où je lui avais appartenu toute entière. Cette nuit où nous étions seuls au monde et que nous avions suspendu le temps. Cette nuit où nous n'étions plus des cas désespérés, des patients psychotiques. Il m'avait rendu femme. Je pouvais enfin commencer à aimer.
Quand je l'ai vu, je savais qu'il comblerait mon désir insatisfait. Il avait un charme qu'il ne se connaissait pas, arme de destruction massive. Il n'était pas forcément beau, son pouvoir était ailleurs. Un gentleman plein de manières dont le chagrin était magnifique. La vérité, c'est qu'il ne savait pas qu'il pouvait aimer. Le saura-t-il un jour ? En attendant, je repense à ses mains qui me dessinaient sous chaque caresse...
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Mon dieu que son histoire est triste. Avoir autant aimé et être si seul. Quand on le regarde, on n’imagine pas qu’une souffrance put vivre à l’intérieur de ce petit homme.
Page de fin
Mon Cher Alessandro,
Si demain je pars, n'oublies pas, n'oublies rien. Un demain, c'est beaucoup trop vite, beaucoup trop proche alors tenons-nous la main jusqu'à ce que je parte.
Si demain, je m'en vais, écris les mots que j'aimais tant, ne cesse pas de relire ce poème que tu m'as écrit, chantes cette chanson qu'on aimait entendre. Profite des instants de joie que nos sourires faisaient naître. De la lumière de nos pupilles quand nos yeux se contemplaient.
Si demain, je m'en vais, souris comme tu avais l'habitude de le faire. Car ton sourire était lumineux bien que rare. Tu sais bien que la terre continuera de tourner et que les gens continueront de s'aimer. Alors si demain, je m'en vais, continues comme eux, continues de te lever comme le soleil le fera quand je ne serai plus là.
Au revoir mon bel ami...
Et elle était partie. Je refermai le carnet. J'avais du mal à cacher mon émotion. La boite contenait également un petit coq en argent, petit clin d’œil au restaurant dans lequel elle m'avait emmené. Elle m'avait aimé le temps d'une nuit. Ou deux…
L'annonce du pilote me ramena à la brusque réalité. Il était temps pour moi de rejoindre Rachel et mes amis.
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