Chapitre 8 : Chloé (bis) - La révélation

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Je m'en voulais d'avoir cru que je pouvais rivaliser avec mon violent adversaire tant d'années après. Le fait était que j'étais réapparu dans la vie de Rachel au moment où elle en avait eu le plus besoin. Je la voulais tellement que j'avais occulté toutes ses années de vie commune avec Aaron.

Et, le fait qu'elle me mette devant le fait accompli par rapport à Chloé avait achevé mes dernières résistances. Du haut du World Trade Center, je jetais mes dernières illusions. Je cherchais des réponses à trop de questions

—Pourquoi n'en a-t ‘on pas parlé plus tôt?

Chloé m'avait rejoint. Dans sa robe du soir, elle était rayonnante. Une étole de satin recouvrait ses épaules.

—Comment m'as-tu trouvé ?
—Voyons, je te connais suffisamment, pour savoir où est ton spot quand tu vas mal ou que tu as besoin d'être seul.
—Je vais bien, Chloé. Simplement, j'ai l'impression que ce que Rachel a dit reflète une réalité qu'on s'est refusé de voir.
—On en a vécu des choses toi et moi après toutes ces années.

Elle s'était allongée sur ma veste à côté de moi. Elle prit ma cigarette, en tira une longue bouffée et me la rendit. Je regardais les étoiles et pris une profonde inspiration.

—Je me suis regardé dans le miroir ce matin quand j'étais à Londres et j'ai découvert que j'avais pas mal de rides autour des yeux, de la bouche, du front. Sais-tu pourquoi ?
—L'âge forcément. Dit-elle en riant.
—Aussi… J'ai des rides parce que je vous ai vous trois, avec qui je ris souvent, jusqu'aux larmes parfois. J'ai des rides parce que quand je croyais rencontrer un peu d'amour, cela me faisait essorer les yeux de joie.

Chloé se redressa un peu et se pencha sur moi, attentive

—J'ai pleuré pour les personnes que j'ai aimées et qui sont parties, pour un peu de temps ou pour toujours ou sans savoir pourquoi.
—Tu parles de Rebecca ? Ajouta-t-elle ?
—Cette femme a redonné un sens à ma vie alors qu'on s'est vus si peu. Et je sais que j'ai vraiment été aimé. Parfois, je me demande si j’aurai du rester à Londres pour elle. Et finalement, je ne regrette rien car ma vie a toujours été là.

Avec pudeur, elle ne chercha pas à creuser la question plus profondément.

—Et cette ride-là ? Dévia-t-elle tout en riant.
—Çà, c'est la marque des heures sans sommeil que j'ai passées pour des beaux projets pourtant pas toujours aboutis, ou pour écrire un livre. Celle-là représente les stigmates de mes nuits à me lover dans des bras aimants, quand j'allais de lit en lit, de caresse en caresse, à exister qu'au contact de la peau de ces femmes. Car ça ne me faisait pas réfléchir, juste ressentir.

Elle passa la main sur mon front, son doigt épousant un trait.

—Dans chaque sillon sur ce visage, sur ce corps, se cache une parcelle de mon histoire, les émotions vives que j'ai vécues et ma beauté plus intime. Et, si je devais ne plus avoir tout ceci, ce serait comme m'effacer moi-même.

Je me redressai.

—Tout est une anecdote à ma vie, du premier battement de cœur jusqu'à mon souffle coupé. Je ne renoncerai pas à ma manière de vivre ou d'aimer. La seule chose que je puisse offrir est d’ôter une partie de mon armure… Et quelques bricoles matérielles évidemment.

Chloé esquissa un léger sourire, se redressa à son tour et s'accrocha à mon bras.

—Et tes cicatrices dans le dos ? Et ton enfance ? Ta famille ? Tu n'en as jamais parlé. Même à Allan…

Je lui devais une réponse.

—Je n'ai pas souvenir de tout. J’étais très jeune quand mes parents sont morts. Renversés par un chauffard à la sortie d’un Opéra. Voilà pourquoi j’ai peu à dire sur eux. Si ce n’est que j’ai une photo d’eux. Pas d’autre famille connue à ce jour…

—Et ensuite ?

—J'ai atterri dans un orphelinat à Sienne, puis en Suisse et enfin en France. Autant te dire que l'austérité de certains lieux faisait parfois froide dans le dos.

—Je comprends tes envies de voyage.

—Gamins, on tentait de s'enfuir ou simplement de voir ce qui se passait dans le monde extérieur. Pour certains, dont moi, disons que l'éducation fut plus rude que pour d'autres… Rebelle, non croyant mais doué.

—Toutes ces marques…

—Chaque fois que je répondais mal ou que je tentais de faire le mur. A la fin je ne sentais plus rien.

Elle passa sa main dans mon dos.

—Quand je fus en âge de pouvoir décider par moi-même, je me pris en main et récupérai le legs de mes parents, de l’argent principalement. Une coquette somme qui me permit de continuer mes études. J’ai obtenu une bourse qui m'a permis de sortir de tout ça.

Chloé caressa mes cheveux. J'ajoutai :

—Tu as peur que cette révélation de la part de Rachel ruine tout ce qu'on a déjà vécu ?
—Et toi ? Que crois-tu ? Moi, honnêtement, je ne peux plus accepter l’idée de t’avoir comme ami pour toujours et garder en moi ce que je ressens.

—Ah oui ?

—Oui, j’ai envie de toi, entier et non selon une convenance particulière. Tu sais, Allan l'avait déjà remarqué. Mais à chaque fois, nous avions quelqu'un dans nos vies.
—Depuis quand, Chloé?
—Quand on a eu notre nuit...
—Cela remonte à tant d'années !!
—Tu m'avais regardé comme aucun homme ne m'avait regardé.

Toutes ces années qui avaient fui. Cherchant chacun de notre côté à nous construire alors que nos âmes étaient tourmentées dans une quête nous menant vers des chemins tant éloignés alors que nous étions côte à côte si souvent. Et aujourd'hui, qu'importe l'endroit, le rendez-vous, tant que nous étions tous les deux.

J'avais passé un pan de ma vie à respirer sous la peau d'autres femmes alors que c'était son air que je respirais. Je dissolvais mes voluptés d'un corps à un autre, alors que j'avais une absolue beauté près de moi.

Je ne parle pas de ses cheveux d'une douceur infinie, de ses jambes galbées, de sa taille ciselée, de sa peau hâlée, de son sourire blanc. Non. Sa beauté bien particulière était celle de tous les jours. Quand elle pleurait puis souriait. Sa cicatrice d'enfant tombée lourdement de la balançoire, ses cernes d'après l'amour qu'elle tentait de masquer et que nous démasquions. Quand elle racontait des blagues qu'elle seule pouvait comprendre. Son maquillage qui coule d'avoir été chagrinée. Ses fantaisies et ses provocations. À coups de coups, de caresses, de souvenirs, elle reflétait à l'extérieur tout son intérieur.

Nous avions désespéré de nous et présentement sur ce toit, allions finir par nous offrir. Tandis que l'aube émergeait de la nuit, elle se serra contre moi, me prodiguant un bonjour délicat, amoureux et sans bruit, mettant à jour notre nouvelle idylle. Sa tête recula et elle afficha un tendre sourire de satisfaction. Caressant son visage, j'en écartai sa soyeuse chevelure. Elle se pencha à nouveau et ferma les yeux en quête d'une approche tactile de mes lèvres contre les siennes.

—Allez viens, on ne se cache plus toi et moi. On va voir les garçons et leur annoncer la nouvelle.

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