• Yvan ! Vous entendez Yvan ? Un coup de corne de brume. Elodie va bien. Yvan !

Yvan n’entendait rien. Les yeux écarquillés, les pupilles dilatées à l’extrême, il voyait devant lui la masse mauve qui ondulait à quelques pas. Elle prenait plusieurs formes indistinctes. Le médium sentait toute la pourriture qui émanait de cette aura. La peur, la folie et la souffrance étaient sa nourriture. Yvan se rendit compte que c’étaient des âmes retenues prisonnières. Elles étaient mortes dans un état avancé de démence, certainement causé par l’engeance derrière tout cela et qui en ce moment manipulait ces pauvres restes d’êtres humains pour les terroriser. Mémé Fujimi se pencha à ses côtés.

• Je suis fier de toi mon petit. Tu es là, et bien là. Je vais les occuper. A toi de jouer.

La mémé s’avança, dégainant ses armes de samouraï. Elle se mit à fendre l’air avec des cris terrifiants. Le nuage mauve reculait d’un côté, avançait de l’autre, rencontrant toujours sur son chemin les lames du clan Urusawa.

Yvan inspira lentement. Il s’assit, avec l’aide de Jean-Paul. Le vieux retraité reconnut la description faite le matin même. Il pesta et se redressa, posa son sac devant Yvan afin de le protéger. Il alluma une autre lanterne et commença sa garde.

• Hey, là en bas, Yvan a débuté son rituel. Vous pouvez remonter m’aider ou pas ?
• Tower a la jambe cassée. Courage Jean-Paul !
• Courage, courage… Ce n’est pas ce qui manque du courage, c’est la jeunesse qu’il me manque, pécaïre !

Yvan concentra son attention sur le centre de la nébuleuse, plus sombre que la périphérie. Cela ressemblait à une eau en train de bouillir, avec des remous permanents, qui remontait vers la surface diverses émotions. Il fallait les trier, pour ne prendre que les positives et ne pas se faire intoxiquer par les nuisibles. Pour Yvan le temps s’écoulait lentement, comme si la lutte durait des heures. Il n’était en fait question que de secondes. Les unes après les autres il délivra les âmes prisonnières, les rejetant immédiatement hors de lui. Il pouvait percevoir leur fuite, soulagées et reconnaissantes.

Fujimi économisait ses gestes, préférant la précision. Elle remarqua l’homme au dernier moment. Il portait une blouse blanche. Un scientifique. Elle n’était pas dupe. Ce n’était qu’une forme que prenait l’entité à l’origine de tout cela. Il avait une arme à feu.

• Tiens, tiens… Une autre étrange non morte… J’ai tué ta semblable, la jeune… dit-il dans un japonais au lourd accent allemand.
• Etonnée de m’entendre parler ta langue ? J’ai passé pas mal d’années au Japon avant la guerre… Tu défends cet homme ? C’est qui pour toi ?

Fujimi lui porta un coup. Le nazi se retrouva sur sa gauche.

• Voyons, voyons… Tu es d’une violence !

Il fit feu. Le masque de Fujimi vola en éclats. Elle recula pour se placer juste devant Yvan.

• Je suis Fujimi du clan Urusawa. Je n’ai pas peur des gens comme toi. Les tiens, nous les avons haïs toute notre vie. Notre clan a migré aux Etats-Unis bien avant la guerre. Ma vie sera le rempart du dernier des Urusawa.
• Si tu le souhaites…

Il pointa son arme sur le front de la vieille femme qui se redressa de toute sa hauteur, fière et paisible.