SORAYA

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SORAYA

 Je me réveille péniblement. La journée d’hier à été magique et cauchemardesque en même temps. J’ai fais des cauchemars toute la nuit. Étrangement, ce matin, j’ai une partie de moi qui est vide. Je me redresse et constate qu’Emma n’est pas dans son lit. Je tourne la tête vers ma nouvelle table de chevet, car je partage définitivement ma chambre avec Emma, mais je n’ai pas mon réveil. J’enfile une paire de chausson et me glisse discrètement hors de la chambre. Par chance, une horloge fonctionne dans le couloir. Elle indique 7h50. Je retourne dans la chambre, enfile le jean slim bleu clair et un tee-shirt à manche longue noire qui moule le peu de forme que j’ai. Je scrute chaque recoin du centre pendant près d’une heure à la recherche d’Emma. Les couloirs commencent à se remplir d’adolescent qui se dirige vers le réfectoire. Au moment ou je décide de retourner dans la chambre pour enfiler une paire de baskets, un voix féminine m’interpelle.

 — Bonjour Soraya. Heureuse de te voir. Comment vas tu ?

  — Bonjour Docteur. Je vais plutôt bien. J’étais à la recherche d’Emma, annoncé-je.

 — Elle est sûrement dans sa chambre. Tu pourrais passer me voir aujourd’hui, à 10h30. C’est possible pour toi ?

 Elle a l’air préoccupée. Pas de sourire rassurant, ni de voix apaisée. Je constate qu’elle n’a pas son sac et qu’elle est déjà en blouse. 

 — Bien sûr, à tout à l’heure. 

 Je la quitte et me dirige vers la chambre. Je toque et rentre.

 — Je te cherchais.

 — Désolé, je suis aller voir la psy. J’avais besoin de parler. Tu voulais me dire quelque chose ?

 — Non. Juste qu’il faut aller manger. 

 Elle enfile une vieille paire de basket blanche, à l’allure sale. Nous sortons de la chambre, et rejoignons Camille et Peter, déjà attablé à notre table. Depuis la crise de Peter, il y a une semaine, nous sommes soudés et toujours ensemble. 

 — Salut les filles. On est parti pour le rituel du matin ? nous interroge Camille.

 — Et si on a pas envie, il se passe quoi, Camille ? demande Emma, sur le ton de la plaisanterie.

 — Oh non, s’il vous plaît. Vous savez comment je suis avec ça. Ça va me mettre en manque, annonce t-il, avec une tête de malheureux.

 — C’est pour ton bien, tu sais. Il s’est passé quelques choses d’étrange ce matin, annoncé-je, en chuchotant, de peur que quelqu’un m’entende. 

 — T’as vu une soucoupe volante dans le ciel ? Ou alors le vieil infirmier Franck était aimable ? s'amuse Peter.

 Nous rions.

 — Rien de tout ça, malheureusement. J’ai croisé la psy dans les couloirs et c’est elle qui m’a demandé de passer.

 — C’est moins cool que la soucoupe volante, mais c’est quand même étrange. Tu sais ce qu’elle te veux ?

 Je le regarde avec un regard légèrement inquiet et fais non de la tête. Peter reprends ces bêtises, tandis que Camille tente de nous faire rire avec des blagues de mathématiciens que lui seul comprends. Nous nous dirigeons vers l’espace détente, un coin reculé du centre situé entre la salle d’activité 1 et la chambre de Camille ou il n’y a jamais personne. Nous sommes devenu des meilleurs amis, bien que chacun est ses difficultés et son caractère. Alors qu’Emma nous raconte sa vie à l’extérieur, une voix qui m’est familière me parviens. Je détourne alors mes yeux d’Emma pour les poser vers un jeune homme qui se rapproche de nous, accompagné par Magalie. 

 Il est blond, des yeux verts magnifiques et un incroyable charisme. Il est aussi plus bronzé que dans mon souvenir. Je me lève et me précipite dans ces bras.

 — Vlad’, tu m’as trop manquée, articulé-je, entre 2 sanglots. 

 — Salut petite sœur. Comment tu vas depuis le temps ? Toi aussi tu m’as tellement manqué. Que tu es belle.

 Magalie me pose une main maternelle sur l’épaule. Je lâche Vladimir des yeux et nous nous dirigeons vers le bureau du Docteur Martins. 

 Vladimir est mon grand frère. Il habite à Milan, en Italie. Il a fui la Russie pour ne pas être envoyé sur le champs de bataille, à cause de la guerre. Je ne l’avais pas vu depuis presque 1 an.

 Nous sommes désormais dans le bureau du Docteur Martins. Elle est assise dans son fauteuil, mais sans son habituel carnet dans les mains. Vladimir et moi sommes assis à côté, sur le canapé ou je lui raconte mes problèmes, 2 fois par semaines. 

 — Écoute, Soraya. Il faut que je te dise quelque chose.

 Son regard change. Ses yeux deviennent rouge et des larmes commencent à rouler sur ces joues rosées.

 — J’ai reçu un coup de téléphone, il y a quelques jours. Une violente frappe a touché Moscou, et la maison a été touchée. Malgré le fait qu’il est tenté de se protéger. . .

 Il marque une courte pause. Je sens que ma gorge se serre, mon cœur battre très vite et mes yeux se remplir de larmes. A l’intérieur de moi, j’espère qu’il se trompe, ou alors qu’il me dises qu’il sont chez lui, en sécurité. 

 — . . . Papa et Maman était à l’intérieur et il n’ont pas survécu.

 Je regarde mon frère, qui tente de ne pas pleurer. J’ai l’impression de tomber d’un immeuble. Mon cœur se serre tellement fort qu’il me fait mal. A cet instant, tout ce que j’ai construis ces dernières semaines s’évanouis.  Je me glisse dans ces bras et je pleure à chaude larme. Je ne peux pas croire que mes parents soit mort. Ils auraient dû partir avec moi. Ou je n’aurais pas dû partir. Nous pleurons tous les deux, blottis l’un contre l’autre. J’ai l’impression que le temps s’est arrêtée. Soudain, Vlad’ se met à chanter une berceuse. 

 Nous passons près d’un quart d’heure, dans les bras l’un contre l’autre. Alors que mon Vladimir continue de chantonner, le Docteur Martins prend la parole. 

 — Soraya, je sais que c’est difficile mais il est l’heure que ton frère s’en aille.

 Je lève la tête, les yeux injectés de sang et les joues humides.

 — Je veux repartir avec lui, Docteur. Je me sens mieux, je vous le jure. Je suis capable de vivre dehors.

 — Je ne pense pas que se soit une bonne idée, Soraya. Et puis tu es suivi par l’Aide Sociale à l’Enfance, ici. Tu ne peux pas partir en Italie avec ton frère comme ça. 

 — Écoute, Soso, je reste dans les parages pour l’instant. Je passerais te voir régulièrement. Je ne t’abandonnerai plus, saches le. Mais comme l'a dit ton médecin, je pense qu’il vaut mieux que tu restes ici pour l’instant. 

 Je les regarde tour à tour, trop fatiguée pour me battre. Je quitte le bureau sans dire au revoir à personne et je pars me réfugier dans ma chambre. Je me suis tellement bien entendu avec elle que les infirmières ont préférés me laisser avec elle, car je fais d’énorme progrès. Dans ma tête, tout est flou. Mes pensées, mes émotions, même mon corps me parait engourdi. 

— Tu aurais dû mourir avec eux. Tu es partis en les abandonnant en Russie, alors que tu savais très bien qu’il risquait de mourir. Et puis Vladimir ne veux même pas de toi. Il te laisse pourrir ici plutôt que d’être avec toi. Tout ça ne serais jamais arrivé si tu n’étais pas partie, Soraya. Tout est de ta faute. 

 Je m’allonge sur le lit, et glisse mon corps entier sous la couette. Je me sens vide mais lourde en même temps. Je sens un torrent de larmes couler sur mes joues déjà mouillées. Je sombre dans un sommeil agité.

*

 Je sens quelque chose me toucher l’épaule. Je me redresse précipitamment, la respiration saccadée. Je me retourne et aperçois Emma, debout sur le côté de mon lit.

 — Ne t’inquiètes pas, Soraya. Ce n’est que moi. Est ce que tout va bien ?

 Elle me regarde étrangement. Je baisse la tête vers ma tenue, que je n’ai pas pris la peine de changer avant de m’allonger. Mon tee-shirt colle à la peau tellement je transpire. Je la regarde et lui murmure.

 — Laisse moi. 

 — Je venais juste te chercher parce qu’il est l’heure de manger. Et on commençait à s’inquiéter avec les garçons de ne pas te revoir avec ton rendez-vous. Mais bon, je vais te laisser alors.

 Alors qu’elle se dirige vers la porte, elle se retourne et m’adresse un large sourire de compassion. N’ayant envie de voir personne, je me retourne. J’attends qu’elle sorte de la chambre puis je me relève pour prendre une douche, malgré le fait que je tiens à peine debout. J’attrape un jogging et un vieux tee-shirt dans mon armoire et me dirige vers la salle de bain. Alors que je suis propre et que je m’apprête à me rhabiller, j’aperçois mon reflet dans le minuscule miroir. Un tas de pensée me reviens alors en tête.

 — Tu as les yeux de ta mère. Tu as le nez de ton père et la beauté de ta mère. Tu es aussi magnifique que tes parents à ton âge. 

 Mes yeux se remplissent de nouveau de larmes. J’enfile mes vêtements et je vais me poser dans le vieux fauteuil rouge de la chambre. Alors que je viens juste de m’installer et que je n'ai envie de voir personne, quelqu’un toque à la porte. Je n’y prête aucune attention.

 — Soraya, c’est Magalie. Je peux entrer ? 

 Je ne tourne même pas la tête dans sa direction. J’entends la porte se refermer mais je sens qu’elle est toujours là. Elle s’assoit sur le lit d’Emma, face à moi. 

 — Que se passe t-il, Soraya ? Emma est venu me voir. Elle est inquiète. 

 — Je suis sûr que tous le monde est au courant que mes parents sont morts, murmuré-je, entre deux sanglots. 

 — Tout le monde n’est pas au courant et n’a pas besoin de l’être. Je sais que c’est difficile, surtout dans ces circonstances-là et je peux comprendre que tu es besoin d’être seule. Mais ne te renferme pas sur toi-même comme à ton arrivée. Tu as fais d’énormes progrès et ce serais dommage de laisser l’anxiété gagner, n’est-ce-pas ?

 Je ne la regarde même pas. Je reste plongés dans mes pensées, avec sa voix en arrière plan.

 — Aujourd’hui, la psychologue t’autorise à manger dans ta chambre. Elle t’a mise en rendez-vous à 14h30. Reprends un peu de force. 

 Elle dépose un plateau de nourriture sur la tablette à côté de mon lit puis quitte la pièce. Je me lève et me dirige vers mon lit. Je m’y allonge et ressasse les nombreux souvenirs que j’ai avec ma famille. Je perd la notion du temps. J’ai l’impression de n’être qu’une boule de tristesse ambulante. Mes seules pensées sont liés à mes parents. J’aimerais que quelqu’un arrive et me dises que c’était une erreur, que c’était des invités qui sont morts dans la maison. 

 Après 3 heures, ou peut-être 4, allongée dans ce lit, on toque à la porte. Cette fois-ci, je prends la peine de me retourner. J’aperçois le Docteur Martins dans l’encadrement de la porte. Je lâche un soupir et me rallonge, lui tournant le dos, en ayant l’impression d’avoir couru un marathon. Comme Magalie tout à l’heure, elle referme la porte et pose son carnet sur la tablette d’Emma.

 — Tu permets que j’ouvre les volets ? C’est plus agréable pour discuter.

 Je me réponds pas. Elle se dirige vers les lourds volets gris et les entre-ouvre, ce qui me fais mal aux yeux. Elle s’installe sur le lit d’Emma, faisant rouler la tablette jusque devant elle.

 — Tu n’as pas touché à ton repas, me signale t-elle. 

 Je me retourne dans mon lit, lui tournant le dos.

 — Je sais que c’est une phase très difficile pour toi. Mais tu ne peux pas te renfermer sur toi-même. C’est une épreuve compliquée mais je suis sûre que tu arriveras à la surmonter. Tu veux bien me dire comment tu te sens ?

 Je m’assure de ne pas bouger. A ce moment précis, j’ai juste envie qu’elle s’en aille. Je me sens comme la Soraya que j’étais quand je suis arrivée. Perdue et effrayée pour la moindre chose. 

 — Tu sais, Soraya, je n’ai pas de rendez-vous avant un moment. Ça nous laisse donc un moment pour discuter. J’aimerais juste que tu répondes à ma question et après je te laisserais tranquille.

 Mes larmes se remettent à couler. Elle se comporte comme ma mère. Elle sentait lorsque quelque chose n’allait pas et elle ne me laissait pas tranquille jusqu’à ce que je lui dise ce qui n’allais pas.   Soudain, je me redresse et regarde mes bras, rempli de trace des morsures que je me suis infligée lorsque je suis arrivée en France.

 — Tu as envie de te mordre ? m'interroge la psychologue.

 N’ayant pas de réponse, elle prends ça pour un oui. 

 — Pourquoi ?

 Je la regarde, les yeux remplient de larmes. J’ouvre la bouche mais aucun son ne sort de ma bouche. Je me sens complètement nulle, à ce moment-là. Je la vois noter des choses dans son carnet. Je me penche vers ma table de nuit où j’agrippe mon carnet et un stylo. J’arrache une feuille et je commence à écrire. Je sens qu’elle m’observe toujours, un léger sourire en coin. Je la regarde, prends une profonde inspiration et commence à écrire. Après avoir écris une page recto-verso, je la plie et la tend au Docteur Martins. Elle l’attrape mais ne l’ouvre pas. Son bras reste tendue.

 — Tu sais comment ça va se passer.

 Oui, je le sais. Au tout début de mon séjour, je ne parlais presque jamais, même en séance. Alors j’écrivais ce que je voulais lui dire. A chaque fois, elle me demandait de le lire à voix haute. Au début, je refusais catégoriquement, mais avec le temps, je lisais à voix haute ce que j’écrivais, puis je lui parlais spontanément. 

— Tu te rends compte quand même. Tu redeviens la même Soraya qu’il y a un mois. Tu es incapable de lui parler. Tu t’es cru forte un instant mais ce n’est qu’une illusion. Tu resteras à jamais faible et incapable de parler. 

 J’attrape le bout de papier, toujours tenu par la main du Docteur Martins, prends une profonde inspiration et le déplie. J’aperçois un sourire plus large se dessiner sur son visage. Je fixe le bout de papier et les larmes se mettent à couler avant même qu’un son ne sorte de ma bouche. 

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