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Elle cherchait la vieille comme on cherche les poux. Elle ne mit pas longtemps à la trouver, occupée au salon à se faire servir le thé par les femmes, à nourrir de ragots frais sa petite carcasse sèche et cuirée par le temps. Elle n’eut pas à parler. Les rires et les regards se flétrirent à son entrée. La vieille peau la sondait de ses yeux rusés et lisait la colère sur son visage avec une satisfaction non feinte.
— Je vois la bête tapie à l’ombre de ta colère, lui lança l’ancêtre.
D’un claquement de langue, la vieille ordonna aux femmes de sortir. Alors qu’elles s’apprêtaient à obéir, la grande écrasa de sa poigne ferme une épaule toute proche.
— Vous restez ! Toutes.
La vieille laissa filer un tic nerveux sur sa gueule burinée. Les femmes, tendues, posèrent leurs fesses au sol sans se faire prier.
— Seuls les hommes agissent comme des bêtes, la vieille !
La vieille ricana comme une hyène.
— J’ai le souvenir d’avoir agi comme un animal par le passé, et ça ne m’avait pas tant déplu… J’étais femme en ce temps, comme toi, et mon homme était homme, et ensemble nous étions bêtes, parfois.
— Je n’ai rien de toi ! Je ne fraie pas avec les animaux !
— Oui… oui. C’était bien avant que la folie ne s’empare de ce monde, avant l’Appel et l’automne gynocrate, avant la Grande Escalade, les attentats, les guerres civiles et la fin du monde…
— De ton monde, la vieille, seulement de ton monde ! Maintenant, les femmes. Ce sera nous, sinon rien !
— Ce monde est absurde…
— C’est le seul qui soit, vieille femme#.
La vieille secoua la tête, dépitée.
— Parfois, lorsque j’observe ta silhouette se fondre dans la nuit, je n’entrevois plus rien de femme dans tes gestes.
— Ça n’a rien de surprenant, ta cataracte te trahit autant que ta cervelle déconfite !
— Je me souviens que tu étais une bonne personne, petite.
— Je n’ai jamais rencontré de bonnes personnes, sinon des rageux et quelques hères qui faisaient de leur mieux ! Ta mémoire préfère oublier que les hommes sont les seuls responsables de cette situation ! Ils ont voulu dominer, ils ont échoué. En mauvais perdants, ils ont préféré détruire leur château de sable que de l’abandonner aux vainqueuses. Ces animaux mals finis, incapables de maîtriser la bête en eux, ne récoltent que ce qu’ils ont semé. La bête doit être soumise et éradiquée. Ils n'ont rien d'humain… Il est temps d’arrêter de pleurer quand les animaux souffrent, la vieille ! Seule compte la souffrance des femmes à présent.
— Un monde sans homme, c’est un monde sans femme petite ignare !
— Et celles-là, alors ? aboya-t-elle en désignant de ses narines dilatées les deux femmes enceintes. Aucun homme ne les a souillées ! Ne comprends-tu pas que les règles ont changé ? Que la nature des femmes et des hommes se modifie ? Un vent nouveau se lève. J’entends chanter le chergui. Ses pleurs rapportent du Nord l’agonie des hommes, et son parfum embaume les femmes et préserve la vie.
La vieille renifla son mépris.
— Tu divagues, fille ! J’attends de voir ce qui sortira de ces ventres creux… Les djinns prennent bien des formes pour arriver à leurs fins ! Prends garde à ne pas être leur instrument !
La vieille se leva, hors d’elle, prête à quitter la pièce. Les filles enceintes chouinaient doucement, main dans la main.
Elle lui bloqua le passage d’un bras tendu.
— Ne t’avises plus jamais d’intervenir dans l’éducation des petites, siffla-t-elle méchamment. Tes superstitions ne te protègeront pas si tu te retrouvais à la rue.
Les femmes, regards braqués au sol, chuchotèrent leur indignation.
— Et il en est de même pour vous ! Seule la meute compte ! Nous serons soudées ou bien nous périrons toutes !
La vieille, malgré son gabarit de mangouste, bouscula la grande sauvage pour forcer le passage, puis se figea devant l’encadrement de la porte et frappa de la paume le montant de bois.
— Sh’kaoui ! Tu nous entraîneras toutes dans ton sillage ! Que Dieu ait pitié de toi !
— Aie plutôt pitié de ton dieu mâle à l’agonie… File, maintenant ! Je ne veux plus te voir ni t’entendre.
La vieille sortit en maugréant ses sortilèges de vieille.
— Et vous toutes, ajouta-t-elle à l’attention des geignardes interdites, rejoignez vos postes ! Grosses ou pas, je ne veux pas le savoir, surveillez les alentours ! Vous vous plaindrez quand vous serez mortes.
Elles disparurent à petits bonds de chats vexés.
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