Cet automne-là
Il y a d’abord l’hiver, avec ses couleurs froides et sa neige cotonneuse. Ensuite vient le printemps, avec ses mille bourgeons et ses fleurs qui colorent les champs. Suivi par l’été, avec l’odeur du soleil doré et des crèmes glacées. Enfin vient l’automne, avec ses couleurs de crépuscule et son odeur de terre mouillée. Une saison souvent oubliée. Celle que l’on trouve inutile. Après tout, elle ne nous offre que des feuilles mortes, des coups de vents et de la pluie.
Pourtant, c’est ma saison préférée. Non pas que j’aime le froid, ni que j’apprécie les couleurs qui jonchent le sol boueux. Non. Si c’est la période de l’année que j’aime le plus, c’est parce qu’il y a eu cet automne-là. Celui qui a changé ma vie, autant en bien qu’en mal.
C’était lors d’une après-midi venteuse et pluvieuse comme tant d’autres en cette saison…
Mon regard oscille entre un ciel trop bleu pour un mois d’octobre, et Lui. Lui que j’ai déjà vu tant de fois et qui a toujours la même importance pour moi. Une importance que moi-même je ne comprends pas.
Il a ce pouvoir sur moi. Je me sens forte quand Il me parle. Je me sens puissante. Encore plus quand j’arrive à le faire rire. Il me fait me sentir importante.
Les feuilles mortes dansent avec le vent, et j’en vois une se nicher dans ses cheveux. Il ne la remarque même pas. Il continue de regarder à travers l’objectif son appareil photo, comme s’Il allait y découvrir les plus vieux secrets du monde. Ceux qui ne sont révélés qu’aux personnes qui savent observer.
Il capture les moments les plus importants avec l’espoir de pouvoir reconstituer leur histoire. Il photographie les fleurs qui fanent pour raconter leur cycle. Il prend en photo le soleil, au matin, en après-midi et au soir pour pouvoir retracer son chemin. Il enregistre des portraits d’individus : quand ils rient, quand ils pleurent, quand ils dorment. Il veut prouver que la vie est belle, peu importe ce qu’elle fait ressentir à ceux qui la vivent.
Il est une poésie à Lui seul. Qu’est-ce que j’aimerais qu’il puisse me voir comme je Le vois ! Il est simple de l’observer, jour après jour, assise sur ce banc avec l’espoir qu’Il m’admire comme Il admire ses photos. Il est moins simple de Lui parler.
C’est trop compliqué.
Alors, je reste là, à suivre du regard les images qu’Il immortalise avec son appareil. Je Le regarde sourire quand un animal pose devant l’objectif. Je souris à mon tour quand je vois la joie se peindre sur le visage de ceux à qui Il partage une de ses œuvres.
Mais je souris encore plus quand c’est à moi qu’Il partage sa passion. Quand, avec des étoiles dans les yeux, Il m’explique ce qu’Il trouve de si beau dans le portrait d’un petit chien. Alors, je Lui réponds que c’est magnifique, qu’Il a un réel talent pour la photo. C’est dans ces moments-là qu’Il rit en me remerciant.
Ensuite, Il repart montrer ses œuvres aux autres et je me sens seule. Peut-être un peu trop.
Il prend en photo les instants que l’on trouve insignifiants. Comme quand un oiseau en nourrit un autre ou bien qu’un enfant en aide un plus petit à se relever après être tombé. Quand un petit garçon avance en équilibre et apprend à marcher. Il garde en souvenir les moments précieux. Quand une fleur perd son dernier pétale, quand un écureuil s’arrête sur une branche, quand le soleil laisse une trainée orangée avant de disparaitre à l’horizon. Il photographie les instants émotifs. Quand un petit rit aux éclats, quand le même pleure en tombant, quand il joue et s’amuse dans les feuilles mortes. Il rend tous ces moments magiques.
Cet après-midi m’a hanté pendant des années. Il m’a hantée parce que c’était le dernier. Après ce jour, Il s’en est allé, on ne sait où. Sûrement parti explorer des plages de sables d’or. Des montagnes au sommet desquelles le soleil se reflète dans le blanc de la neige. Des forêts tropicales ou bien encore des petits villages aux airs anciens.
Je ne me suis pourtant pas découragée. J’y suis retournée. Encore et encore. Mais Il était parti, et pour de bon.
Je me souviendrai toujours des émotions qui défilaient sur les visages des passants. Sur son visage à Lui. Car c’est pour cela qu’Il photographiait. S’Il immortalisait tous ces instants précieux, c’était pour les souvenirs. Ceux qu’on garde de Lui et de ses œuvres. Ce qui était d’abord une passion est devenu une quête. Il voulait le bonheur. Le bonheur de pouvoir se remémorer les moments passés. Voilà ce qu’Il voulait. Peut-être que les autres ne l’ont pas compris, mais ce n’est pas mon cas.
Ainsi, je me rappelle tous les jours de cet automne. Cette saison qui m’a rendue heureuse de Le voir et malheureuse de Le laisser partir. Cet automne dont je me souviendrai encore sur mon lit de mort. Car c’est le plus important. Celui pour lequel je pourrais me battre.
Mon préféré.
Aujourd’hui encore, à chaque automne, je retourne m’asseoir sur ce banc. J’espère l’y revoir. Pourtant, après vingt ans, Il n’est toujours pas revenu. Il n’a laissé derrière Lui que tous ces moments heureux qu’Il a partagés avec tant de gens. C’est pour cela que, quand je retourne là-bas, je souris. Je souris parce que je sais qu’Il le ferait aussi.
Il m’a fait découvrir la beauté de la vie. Celle que j’avais cessé de voir. Celle qu’Il m’a montrée une nouvelle fois. Celle que je n’oublierai jamais. Si seulement je pouvais le revoir rien qu’une seule fois. Je pourrais lui dire ce mot qui est resté accroché à mon cœur depuis tant d’années. Merci.
Chloé Luckx
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