Il marche, franchit les dunes, une courbe après l'autre dans un effort continu.
Je le suis dans mon esprit.
Il affronte les sabliers du temps, semblables les uns aux autres, d'une dune à l'autre.
Les cônes, quand ses pieds les foulent, les cônes s'écroulent.
Il marche ainsi, depuis plus de quarante ans, obstiné et aveugle. Il trace vers le vide, un chemin sans retour…
Je le suis dans mon esprit.
Je voudrais lui crier d'un peu ralentir, mais je sais que c'est inutile, il marche pour toujours.
Je le croyais mon ami, lorsque j'avais hâte qu'il franchisse la dune suivante et qu'il semblait s'y presser…
Lorsque j'aurais voulu qu'il descende de celle, ultime qui m'impatiente quelquefois...
Mais ces pas qui me foulent dispersent ma mémoire et les grains de sable roulent.
Je le suis dans mon esprit.
Il n'est pas mon ami, il n'est qu'un marcheur ; tout le reste l'indiffère.
Une dune franchit et ma vie s'amenuise.
En soi ça n'a pas d'importance, mais la mémoire qu'il emporte avec lui, c'est mon âme...
Et elle l'escorte, vers le vide, un erg après l'autre.
Si seulement je pouvais garder près de moi, les souvenirs, qui habitaient ma vie…
Mes souvenirs pour étoffer mon âme, d'un bagage à porter.
Je suis tellement rien et je deviens moins encore.
Je le suis dans mon esprit.
Depuis quelque temps, son pas s'est allongé.
Les dunes n'offrent plus guère de résistance.
C'est plus facile on dirait, à mesure qu'il avance. Il ne sert à rien d'avoir peur et qu'ai-je donc à regretter : ce qu'il me prend, au grain qui suit, je ne sais plus ce que c'était.
Je le suis dans mon esprit.
Je n'ai jamais vu son visage, seul m'est visible le dos du personnage.
Dans son costume de lin, de la couleur du sable, il se fond dans le paysage. Si ce n'était ses pieds nus écorchés par l'arène...
Un jour, je le sais, je verrai ses traits. Il se tournera vers moi, il me tendra la main. J'enchaînerai mes pas aux siens et dans mon dos, ni dunes, ni sable, ni rien...
Nous irons vers la brume au loin.
Je le suivrai dans son esprit.