A.
Un être était assis sur une chaise devant un gigantesque verger. Il avait de longs roses et une barbe de trois jours. Il ne semblait ni masculin ni féminin, il était impossible de le genrer. Il affichait un sourire bienveillant en observant chacun des arbres qui peuplaient son immense jardin. Soudain, un ange minuscule bleu s’extirpa d’un nuage et descendit à sa rencontre. L’être le salua d’un hochement de tête, l’ange répondit de la même manière, tout en s’inclinant. Il lui tendit une graine si petite qui le moindre choc pourrait le briser en morceau.
L’être remercia son invité et se leva de son siège pendant que l’ange s’en alla en direction des cieux. Entièrement vêtu de blanc, il descendit les quelques escaliers en marbre que le séparait de son verger, et s’y enfonça. Chaque végétal de cet endroit avait un look unique. Non par son espèce, mais par sa couleur, sa forme, sa taille … Et chaque arbre avait un nom inscrit sur son tronc d’un rouge flamboyant.
L’être parvint à un endroit dégagé entre deux végétaux. L’un était noir, décharné, comme sur le point de s’effondrer à tout instant. L’autre trônait fièrement d’un marron étincelant avec de magnifiques fruits qui raviraient de quiconque venait à les gouter. Il se mit à genoux, fit un trou de sa main gauche et planta la graine de sa droite. Il se releva puis dit avec une voix douce :
- J’espère que ta vie amoureuse serait plus paisible que ton voisin … Je te souhaite … Les temps sont durs, mais les mœurs ont évolué … Je suis sûr que tu trouveras un moyen de t’épanouir.
On sentit malgré une certaine amertume dans les mots de ce qui semblait être une divinité. Il regarda tout autour de lui, puis reprit sa promenade dans son verger. Il avait remarqué de nombre de ses arbres se déterioraient ces derniers jours. L’amour quittait peu à peu la planète Terre, les gens se méfiaient de plus en plus les uns des autres, et les inégalités qui auraient du disparaitre gagnèrent en intensité. La tolérance peinait à s’installer malgré tous ses efforts.
L’arbre était la représentation spirituelle de la vie sentimentale d’un humain. Selon ses choix, ses aventures, ses déceptions, ses regrets, le végétal allait prendre une forme différente. Plus il se portait bien, mieux était la vie amoureuse de son propriétaire, et inversement, plus il se dégradait, moins la personne était heureuse.
Des pans entiers de son verger étaient dévastés et le désespoir semblait se répandre dans son jardin auparavant si paisible. Il savait qu’il ne pouvait rien faire depuis son refuge hors du temps et de l’espace. Il remonta vers sa demeure qui surplombait son jardin et s’enferma dans son atelier. Il y resta des jours, voire même des semaines. Les anges s’accumulèrent, des graines dans les mains, attendant que la divinité ne sorte de sa tanière. C’est ce qu’elle fit après une longue attente, et elle n’était pas seule. Il tenait dans ses bras le corps d’une jeune fille inerte entièrement vêtue de rouge. La totalité de son corps allant du haut de son crâne jusqu’à ses pieds était grise. L’être fila vers son éden végétal. Il attrapa plusieurs fruits différents et les mélangea pour en faire une mixture qu’il donna à sa création. Il retourna s’asseoir et attendit.
Les anges commencèrent à s’approcher, mais d’un geste de la main, la divinité les invita à prendre congé, ce qu’ils firent sans discuter. La divinité patienta une nouvelle fois, se contentant de jeter un coup d’œil sur sa création de temps en temps.
Finalement, après plusieurs heures, elle prit vie. Ses cheveux devinrent roux, ses yeux s’illuminèrent d’un vert intense et sa peau se mit à dorer, jusqu’à briller sous les rayons du soleil. Il tira sur ses vêtements, mis plusieurs dizaines de minutes à se lever en raison de son éveil récent, puis elle se tourna vers la divinité et lui demanda :
- Vous êtes qui ?
- C’est bien ta première interrogation ? s'esclaffa la divinité.
- Je crois …. Même si j’en ai d’autres en tête, accorda-t-elle en se grattant le menton.
- Appelle-moi A, expliqua la divinité en affichant un air serein. Je représente l’amour en quelque sorte.
La jeune femme candide qui lui faisait face fut surprise par cette réponse. Elle se plongea dans une intense réflexion durant plusieurs secondes puis elle questionna à nouveau l’être divin :
- C’est quoi cette chose ?
- Quoi ? L’amour ? souffla la divinité. Et bien … Comment te définir cela ….
Mais étonnamment, elle avait bien du mal à formuler une explication claire et concise pour satisfaire sa création. Elle jeta un bref regard vers son verger, et tenta de lui résumer ce concept qui pouvait paraitre si abstrait :
- C’est comme ces arbres … ça doit sa survie au hasard, ça grandit de manière différente selon les individus … et sa longévité est plus ou moins variables, ça dépend des intempéries et des aléas de la vie.
- C’est … une drôle de définition.
- C’est tout ce que je peux t’offrir pour le moment.
- Puis ce jardin à l’air de …. Plutôt mourir qu’autre chose, commenta la nouveau-née en fixant l’Eden verdoyant.
- C’est vrai, accorda l’être en baissant le regard. C’est pour cela que tu es nécessaire. Là où je suis, je ne peux pas intervenir, mais toi, tu peux.
- Je peux ? demanda son interlocutrice. Je viens à peine de naitre.
- Justement j’ai besoin de quelqu’un comme toi pour remettre les pendules à l’heure, quelqu’un de naitre, qui part de zéro et qui n’a pas été corrompue par la vie. J’ai envie que tu découvres les choses selon ta propre perspective et que tu aides à restaurer ce jardin.
- Je vois … Mais je n’ai rien de divin comme vous, déclara l’ingénue en haussant les épaules. Je ne vois pas ce que je pourrais faire de plus.
La divinité acquiesça un sourire. D’un geste de la main, elle fit apparaitre une porte de nulle part. Elle l’ouvrit, et cette dernière donnait sur une forêt verdoyante. Tandis que la jeune femme s’en émerveillait et observait le portail sous le moindre de ses angles pour en deviner les secrets, l’être lui expliqua :
- Tu es comme moi. Tu possèdes mes pouvoirs saufs que tu n’es pas liée à ce lieu. Tu peux explorer le monde et intervenir directement. Tu es libre de faire les choses à ta façon.
- Ce que je souhaite ? Vraiment ?
- Comme tu voudras … D’ailleurs, dis-moi … Quel est ton nom ? Ce sera la première fois que tu choisiras.
La jeune femme prit un certain de réflexion. Elle observa les alentours, puis rétorqua tout en avançant vers la porte :
- Je vous laisserais le soin de le découvrir par vous-même.
Après ces mots, elle disparut à travers la porte. L’être se tint immobile devant cette porte durant plusieurs minutes sous le regard inquiet des anges. Il poussa un soupir, puis retourna s’asseoir à sa place habituelle. Il se remit à contempler son jardin, et susurra :
- Il n’y plus qu’à attendre.
Les années passèrent. Dans une mégalopole au nom inconnu se trouvait le bureau d’un médecin bien particulier. Elle était installée dans sa chaise, en train d'admirer le ciel par sa fenêtre. Alors que son secrétaire la harcelait de coups de téléphone, elle murmurait :
- Je demande si vous avez fini par le découvrir …. Le nom que j’ai choisi.
La divinité était en train de marcher parmi les arbres de son jardin. Elle s’arrêta devant l’un d’entre eux et dit avec une joie non dissimulée dans la voix :
- Docteur Love ? C’est un bien joli nom.
Le végétal que se tenait-elle s’élevait bien plus haut que les autres, et semblait guérir tous ceux qui était mal en point, si bien que l’Eden eût retrouvé sa gloire d’antan. La divinité ne regretta aucunement son choix car elle pouvait maintenant compter sur quelqu'un pour défendre ce qu'elle chérissait le plus au monde, à savoir l'amour.
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