Un Début de Témoignage

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Installation de la pièce. Scène de nuit, sur les berges d’un fleuve formé de fils bleus. Gestion de l’électricité, lumière chaleureuse, éclairage public de la ville. Deux bancs, un peu de végétation cache-misère des communes voulant se croire naturel. Une maison, à l’arrière-plan, à droite, fenêtres éteintes. Pas de témoins en dehors de notre scène. Pigeons sur le pavé. Confirmez.

Confirmation.

Décor validé. Premier mouvement. Pas de musique d’ambiance, ça n’existe pas dans la vraie vie. Le personnage numéro un arrive à 23h87 exactement avec une canne à pêche. Il s’assied sur le banc, prépare son matériel, notamment un hameçon de taille 4/0. Il attend 78,5 minutes avant que le personnage numéro deux le rejoigne. Celui-ci possède l’accoutrement réglementaire du gendarme en exercice de ses fonctions. Il voit le personnage numéro un, attend cinq secondes et s’assoit à côté de lui malgré l’absence de signe de confirmation. Confirmez.

Deuxième confirmation.

Premier mouvement validé. Deuxième mouvement. Toujours pas de musique d’ambiance, ce n’est que dans les films. Retranscription du dialogue :

« Bonjour.

Bonjour. »

Fin du dialogue. Moment de gêne. Atteinte supplémentaire de x+5 = |x| minutes. Perte la notion de temps. Confirmez.

Troisième confirmation.

Second mouvement validé. Troisième bafouille. Musique d’ambiance, ça n’existe que chez nous. Chorégraphie musicale lente et avortée. Le moment de gêne se dissipe entre personnage numéro un et numéro deux. Première initiative de conversation du personnage numéro deux. Retranscription.

« Enchanté de vous connaître, madame la présidente.

J’aimerais que ce soit réciproque, mais vous n’être ni un président, ni une madame.

— C’est exact, madame la présidente. Je me demandai simplement ce qu’une personne de votre trempe pouvait bien faire avec une canne à pêche entre les mains.

Je pêche au gros.

— Poisson ?

Songes.

— Mensonges ou songes ?

Les deux, c’est pourquoi ils sont différents.

— Je ne comprends pas.

Moi non plus, et alors ?

— On dit que les singes sont incapables de comprendre.

Conclusion : Nous sommes tous des singes.

— Exactement. »

Silence. Fin de la retranscription. Fin de la musique d’ambiance. Confirmez.

Quatrième confirmation.

Troisième bafouille validée. Accélération de la procédure. Absence de description de scène. Absence de personnages. Seuls comptent les mots.

« Une fois, j’ai mangé du chocolat.

Alors que nous sommes des singes ?

— Exactement.

Vous faites quoi dans la vie ?

— Exactement.

Je veux dire en métier.

— Exactement.

Vous vous rouillez.

— Exactement.

Moi aussi d’ailleurs.

— Exactement.

Moi aussi d’ailleurs.

— Exactement.

Moi aussi d’ailleurs.

— Exactement.

Moi aussi d’ailleurs.

Exactement, moi aussi d’ailleurs ?

— Exactement, moi aussi d’ailleurs ?

Moi aussi d’ailleurs.

— Exactement. »

Coupure de la retranscription. Éternel blabla insatisfait, si le blablabla pouvait être éternel. Confirmez.

Dernière confirmation.

Fin du témoignage. Arrêt de la procédure. Merci de votre témoignage madame la présidente.

De rien. Mais quelle en est l’utilité dans votre enquête ?

Il est inutile. Mon métier est d’enquêter, alors je ne collecte que des témoignages inutiles.

Pourquoi ?

Parce qu’il n’y a plus de surprises ici-bas alors, que je veux surprendre tout le monde dans ma démarche, moi-même en premier. Si je collecte tous les témoignages inutiles du monde, alors je finirai par trouver par élimination les indices utiles à cette même enquête. Imaginez la tête de la nation quand on dira qu’on a résolu une enquête avec une solution aussi saugrenue.

Oui je l’imagine. Mais s’il n’y a que des témoignages inutiles ?

Alors l’enquête est inutile et aura un goût d’incomplet.

Dommage. Et si on la terminait d’une autre manière ?

Comment ?

Peut-être en déterminant un nouveau début à cette enquête ?

Mais oui ! Exactement.

Cependant, il y a tellement de débuts et si peu de fins que je ne sais pas vraiment par où commencer.

Vous songez trop, madame la présidente. Cela finit par devenir mensonger.

Vous avez plus que raison. Vous apprenez vite. Bientôt ce sera vous le président.

Peu importe. Laissez-moi le temps de relancer la procédure de témoignage. Je vide la scène et voilà : « Installation de la pièce. Scène de nuit, sur les berges d’un fleuve formé de fils bleus. Gestion de l’électricité, lumière chaleureuse, éclairage public de la ville. Deux bancs, un peu de végétation cache-misère des communes voulant se croire naturel. Une maison… »

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