Épilogue
Un violent mal de crâne réveilla le Myosotis.
Saisi d’une désagréable impression de déjà-vu, il bougea les bras et grimaça en comprenant qu’il était menotté. Retour à la case départ. Songea-t-il avec amertume. Quoi que. Cette fois-ci il avait eu droit à un matelas plutôt confortable. Il flottait dans l’air une odeur de… désinfectant ? Le changelin ouvrit les yeux avec précaution, et constata qu’il se trouvait dans une chambre d’hôpital. C’était toujours mieux qu’une geôle puante… Quelque chose de chaud était posé sur ses jambes. Il compris très vite qu’il s’agissait de Tortosa, qui dormait, roulée en boule. Cela le fit sourire.
Avec un grognement de douleur, il s’assit sur le lit en s’efforçant de ne pas déranger la chatte-ailée. Vêtu d’une simple blouse de patient, il regarda ses bras nus avec stupeur. Toute sa peau était parcourue de marbrures noires qui le tiraillaient à chaque mouvement. A mesure qu’il se remémorait les récents évènements, il comprit ce que ces marques signifiaient. Il était figé, comme les changelins d’âge avancé, coincé dans sa forme originelle...
— Roland ! Tu es réveillé ! s’écria la voix de son frère.
— Étienne ? Mais qu’est ce que tu fais là ? Tu vas avoir des ennuis ! s’inquiéta-t-il aussitôt.
— Ne t'en fais pas pour moi, j’ai une autorisation spéciale.
— Et Jocelyn ? Comment va-t-il ? Il a survécu n’est-ce pas ? N’est-ce pas ? demanda-t-il en agrippant les mains d’Étienne.
— Eh là, une question à la fois ! Il a été blessé mais il se remet très bien. Il répète à qui veut l’entendre que tu lui as sauvé la vie…
— Oh, très bien ! Très bien…
Le Myosotis poussa un soupir de soulagement, qui lui affaissa les épaules. Étienne s’assit sur son lit et serra doucement les mains de son frère.
— Et toi, comment te sens-tu ?
— Comme si un golem s’était effondré sur moi…
— Chut ! Cette information est confidentielle, rappelle-toi.
— Bah… Pour ce que ça change…
— Justement ! Ton sort est encore incertain. Les représentants de France et d’Ambremer sont en pleine discussion à l’heure actuelle. Il paraît même que le cercle Incarnat est de la partie.
Le prisonnier haussa les épaules. Plus rien n’avait d’importance désormais. Étienne passa un doigts sur les marbrures de ses bras d’un air désolé.
— Elles te feront souffrir encore quelques semaines, mais ensuite cela s’estompera… expliqua-t-il en se forçant à sourire.
— Mais je ne pourrais plus jamais me transformer, pas vrai ?
Étienne détourna le regard. Il savait à quel point son apparence de Myosotis était chère à ses yeux. A quel point il se trouvait affreux sous sa véritable forme… Désemparé, il lui frotta gentiment le dos. Il cherchait des paroles réconfortantes, quand Cécile de Brescieux fit irruption dans la chambre, faisant sursauter les deux changelins.
— J’apporte une bonne nouvelle ! Myosotis, vous avez été gracié !
— Il n’y a plus de Myosotis, marmonna l’intéressé en haussant de nouveau les épaules.
— Justement, vous n’êtes plus en mesure de vous adonner à la métamorphose illégale. C’est ainsi que j’ai réussi à convaincre le conseil de vous laisser en paix, expliqua doucement la magicienne.
Cécile s’approcha à son tour et libéra le prisonnier de ses menottes. Il se força à sourire.
— Merci… Merci pour tout. Je suis désolé de paraître aussi ingrat… Mais je…
— Je comprends. Prenez soin de vous.
Le changelin hocha la tête d’un air peu convaincu. Étienne et Cécile échangèrent un regard entendu.
— Bien. Je vais vous laisser vous reposer. Vous en avez besoin, dit la magicienne avant que le silence ne s’éternise.
— Au revoir, Cécile. Merci encore.
— Ne me remerciez pas. Si j'avais agi différemment, si je n’avais pas laissé ma peur dicter ma conduite... J’ai craint ce que pourrait devenir Tristan, et au lieu de le guider et de l’aider, je l’ai laissé tomber… Et voilà le résultat, cette leçon je ne l’oublierai jamais.
— Je vais te chercher quelque chose à manger ! dit Étienne en emboîtant le pas de Cécile.
— Ah ? Euh merci… bafouilla-t-il, un peu surpris par leur départ précipité.
Le Myosotis n’eut pas à s’interroger longtemps sur la raison de ce comportement étrange. Aussitôt après leur départ, Jocelyn se présenta dans l’encadrement de la porte. Il avait un bras en écharpe et un gros bandage autour du crâne. Le changelin résista à la tentation de se cacher le visage derrière ses mains.
— Jocelyn ! Je… Vous… euh… enfin… Vous allez bien ?
— Mieux maintenant que je sais que vos jours ne sont plus en danger, sourit le jeune mage, et vous ?
— Oh… euh… Pareil, bafouilla le changelin avec un rire nerveux.
Jocelyn s’approcha lentement du lit et s’y assit avec précautions. Le Myosotis détourna le regard, les bras croisés sur sa poitrine. Il se sentait affreusement vulnérable.
— Myosotis, qu’est ce qui ne va pas ? s’inquiéta le jeune mage.
— Je ne pourrais plus jamais être le Myosotis… Je ne suis plus que Roland le vaurien, dit-il en écrasant une larme.
Jocelyn passa la main sur sa joue, et lui fit tourner la tête, de manière à pouvoir le regarder droit dans les yeux.
— Vous êtes bien des choses, mais vous n’êtes certainement pas un vaurien. Quelle que soit votre apparence, vous restez cette personne sincère, loyale, et qui m’a sauvé la vie.
— Ah ? Mais je… Je ne sais pas quoi dire… euh…
— Alors ne dites rien et embrassez moi.
Le Myosotis ne se le fit pas dire deux fois. Ils s’embrassèrent sans retenue, et pour la première fois depuis des jours, l’avenir leur parut radieux.
***
— Ainsi, vous avez échoué, De Roussel, disait une femme au visage voilé de noir dans le reflet du miroir.
—Tout est question de perspective ma Reine. Par exemple, à cet instant vos ennemis se sentent en force, ils ont vaincu le vilain mage noir. Mais la vérité c’est qu'ils ne savent rien sur votre rôle. Ils n’ont aucune idée de mes réseaux, de mon véritable objectif.
Le mage noir brandit la une du Quotidien illustré devant elle. Une photogravure du golem en marche occupait la moitié de la page. Un gros titre au-dessus disait : “Ce que les Fées nous cachent”.
— Il n’en faudra pas plus pour relancer les quelques émeutes contestataires dont vous avez besoin. Ils sont dans les ténèbres et ils l’ignorent, ils ont vu un de mes masques, mais j’en ai tant d’autres… et mes nouveaux serviteurs nous seront certainement utiles. Cette Ségoula renferme tant de pouvoir… le Golem n’était que pacotille en comparaison.
De Roussel accorda un regard à Lucette et aux autres, leur essence transférée dans des golem fait de chair, ses hérauts de l’apocalypse à venir.
— Tu te sens prête à te venger, Lucette?
— Oui mon maître.
La Reine Noire lui accorda un sourire satisfait.
— Parfait. Je compte sur vous pour la suite.
— Je ne vous décevrai pas, ma Reine.
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