Chapitre III - Loin du froid de décembre... (2/4)
La scène qui se dressait sous mes yeux était impensable. Si inimaginable que je cillais les yeux et scrutais les horizons en redoutant une mauvaise blague.
– Allô ? Tu es sourde ou débile ? Je t’ai dis de monter.
Avachie sur la fenêtre de la portière, une bouteille de champagne millésimée à moitié vide à la main, la jeune femme s’impatientait. Sa chevelure teintée de gris se perdait sur ses épaules et son manque de tenue trahissait son état d’alcoolémie avancé. Je me demandais pourquoi Alyssa et elle n’étaient pas plus amies.
– Merci, mais je préfère continuer à pieds.
Le sourire poli que je m’étais efforcée d’afficher ne fut pas suffisant. On ne pouvait rien refuser à Lily Dark. Même avec la plus noble des politesses. C’est en manquant de me heurter que la portière s’ouvra et que la voiture s’immobilisa. Fière d’elle, la passagère affichait un sourire triomphant. J’abdiquais.
– N’ai pas peur. Ça ne sera pas douloureux.
Un second ricanement s’était joint au sien, grave et perdu à l’extrémité de la limousine. Dans le même trois pièces de la veille, quoi que plus débraillé, l’individu se rapprocha et actionna la fermeture de la vitre qui nous isolait du chauffeur.
– Bouh.
J’étais incapable de crier et ne m’y essaya pas.
Effrayée. Ça ne pouvait être qu’un cauchemar duquel je ne voulais qu’être extirpée, même à grands coups de poings.
– Je ne te présente pas mon crétin de frère. Lily bu une gorgée au goulot et pointa son escarpin à semelle rouge sur le genou de l’intéressé. Désolée, grand frère. Je vais en avoir besoin.
De sa pochette, elle extirpa un étui en argent qu’elle lui envoya et que le destinataire attrapa au vol. Une poudre blanche s’en échappa et Bastian la dissipa avec insouciance sur un miroir.
– Je t’ai mal considérée hier soir.
Lily laissa tomber la bouteille dans son seau de glace et adopta une posture plus sérieuse pour montrer de l’intérêt à la discussion.
– J’aimerais donc me racheter. En quelque sorte.
– C’est oublié, lui assurais-je. Je ne suis pas rancunière.
– C’est mignon.
Ses ricanements étaient si constants qu’ils en devenaient agaçants.
– Je reçois quelques amis ce soir chez moi. J’aimerais que tu te joignes à nous.
Le gris perçant de ses yeux manquait de faire couler les miens. Lily était captivante et sa froideur ne lui retirait en rien de sa beauté rare. Accepte. Face à l’attente d’une réaction de ma part, je peinais à avaler ma salive et encore plus à réfléchir. J’en avais oublié la présence proche de son frère aîné, le nez dans la poudre. J’étais prisonnière d’un choix qui n’en était pas un.
– Je prend ça pour un oui.
Autour de moi, je ne remarquais pas que la voiture remontait le chemin inverse de ma précédente course.
– Je n’habite pas très loin. Vous pouvez me déposer ici ?
L’attention de la jeune femme était accaparé par l’écran de son coûteux Iphone sur lequel elle pianotait avec une rapidité déconcertante.
– William te dépose devant chez toi, souffla-t-elle avant d’expédier ce qui semblait être un long texto.
Elle nicha son portable dans son décolleté.
– Sauf si notre présence te gêne ?
– Non ! m’empressais-je de rectifier. Je ne veux simplement pas vous infliger un détour inutile. Vous êtes déjà bien loin de chez vous.
C’est à nouveau que Bastian se mit à rire.
– Je ne te le fais pas dire, ma jolie, dit-il en chassant les traces de cocaïne sur son visage.
Son air hautain avait suffit à être insultant. Quant à moi, j’aurais aimé le remettre à la juste place de l’ordure qu’il était. Je n’étais cependant pas de ce genre. Plutôt de celui à intérioriser. Sa petite sœur avait eu l’amabilité de l’éloigner et j’étais prête à parier que lui renvoyer la balle relancerait son impitoyable bagout. Je n’y tenais pas.
Entre temps, nous avions quitté la route et la berline réduisait son allure pour longer la rue principale de mon enfance. Faisant ironiquement tâche dans le paysage, celle-ci faisait l’étonnement des voisins.
– William viendra te chercher à vingt-et-une heure.
Se déchaussant en faisant valdinguer ses escarpins dans l’habitacle d’un mouvement de chevilles, elle émit un soupir de soulagement et repris la bouteille qu’elle avait plus tôt aux lèvres en s’asseyant en tailleur.
– Ne soit pas en retard. Je ne voudrais pas que tu te sente mal à l’aise.
Adossé, les bras sur les sièges en position de croix, le richissime héritier me scrutait quand je sentis la portière s’ouvrir dans mon dos. Devant moi, un homme m’invitait à la sortie.
– Oh, Gabriela ?
Lily se rapprocha de la fenêtre, m’intimant de me baisser à sa hauteur.
– J’aimerais que cette invitation reste entre nous. Tu veux ? Tu n’es pas sans ignorer que ta meilleure amie et moi ne sommes pas copines.
Elle pouffa.
– Alors, afin de faire taire tout à priori, je pense que nous devrions faire connaissance et faire en sorte qu’elle reste à sa place.
Un coup en pleine figure aurait suffi à produire le même effet. Sa requête était culottée. Je ne lui étais en rien redevable et j’étais encore moins friand des secrets.
– Bonjour, monsieur.
L’attention de ma nouvelle amie s’était portée derrière moi.
– Mademoiselle, l’avait-on salué en retour. Il y a un problème, ma fille ?
Mon père entourait mes épaules de son bras.
– Non, tout va bien !
Je le rassurais en posant ma main sur la sienne.
– Papa, je te présente Lily Dark. Nous nous sommes rencontrées hier soir durant le gala de charité que Lily a organisé. Je rentrais lorsqu’elle m’a gentiment proposé de me ramener.
– A tout à l’heure dans ce cas, dit-il en hochant la tête. Au-revoir, Lily.
Tournant les talons, je l’observais prendre la direction opposée. Lui faisant volte-face, Lily, ne s’était elle non plus pas attardée. La Range Rover empruntait déjà l’angle de la rue voisine.
– Papa ! Papa, attend !
Quelques enjambées suffirent pour le rejoindre.
– Tu as une minute, s’il-te-plait ?
Jetant sa cigarette tel un adolescent pris sur le fait, j’affichais un sourire ouvertement amusé. Je désapprouvais cette habitude mais mon père restait adulte et libre de ses choix.
– J’ai un problème.
– C’est avec cette Lily ?
– Non. Enfin pas exactement, soupirais-je. Elle m’a invitée ce soir mais m’a priée de ne rien dire à Aly. Elles sont en guerre permanente. Je n’ai jamais réellement su pourquoi, car les explications se sont toujours terminées en insultes. Je suis sûre que même toi, tu n’a jamais entendu la plupart d’entre elles !
– Tu sous-entends que je suis vieux, petite ?
– Si je devais en juger par tes performances sur le terrain de basket, tu n’as plus vingt ans.
Je réussis à esquiver la main qui menaçait d’ébouriffer mes cheveux.
– Et tu as les fesses entre deux chaises.
Je fis une moue légère. J’étais un livre ouvert.
– Gabriela Carter.
Je redevenais une enfant face à ce ton si paternaliste.
– Tu es partagée entre l’affection que tu portes à ton amie et le besoin profond de te faire une idée des autres par toi-même. Tu ne condamnes personne à représenter éternellement une image, qu’elle soit vraie ou fausse. Alors, si tu désires t’y rendre et découvrir cette fille, ne t’en prive pas. Tu sais que tout comme toi, je n’aime pas les mystères, mais nous connaissons Aly et sa tendance à l’exagération. Elle n’aura pas mon discours et montera dans les tours en t’interdisant d’y aller. C’est un droit qu’elle n’a pas, aussi précieuse soit-elle. La pire des trahisons est celle de se trahir soi-même et ce que l’on est.
– Merci, papa.
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