Chapitre 7 - Le Passé
Hope n’en croyait pas ses yeux. Tout avait changé autour d’elle. Le mystérieux couloir si inquiétant et sinistre d’il y avait quelques instants à peine s’était métamorphosé. Les grands miroirs qui paraient les murs avaient disparus, remplacés par d’immenses fenêtre à gauche et de tableaux colorés à droite. Même le tapis à ses pieds lui semblait plus vif, comme si la maison tout entière avait connu un regain de vie après la découverte de son nom.
Hope s’engagea alors dans ce tout nouveau corridor, laissant son regard vagabonder autour d’elle. En plus des tableaux et des fenêtres, elle remarqua aussi l’apparition de nouvelles portes, toute différentes.
Certaines étaient fermées, d’autres ouvertes.
Son attention glissa lentement jusqu’à l’une d’elles. Plus petite et ordinaire que les autres, son bois et sa peinture semblaient élimés, anciens, et n’avait absolument pas sa place dans ce décor merveilleux. Hope regarda autour d’elle, perplexe, avant de lever les yeux au plafond.
– Il faut que j’aille par-là ? demanda-t-elle en pointant un doigt vers le battant abîmé.
Elle se trouvait un peu bête de poser la question, mais avec un peu de chance, elle aurait une réponse…
Il y eut un grincement épouvantable et la porte s’ouvrit. De toute évidence, le manoir l’avait entendu.
Il ne lui en fallut pas plus pour se décider. Elle s’avança de quelque pas et, dans un bruit atroce, ouvrit le battant. De l’autre côté, Hope eut l’impression de tomber dans un autre monde. Une fois la porte franchie, celle-ci se referma en claquant derrière elle, mais la jeune fille ne broncha pas. Elle commençait à s’habituer aux caprices de la maison.
Un rapide coup d’œil circulaire et elle découvrit une salle remplie de centaines de miroirs de formes et de tailles différentes. Certains étaient accrochés aux murs, d’autres se dressaient sur leur pied et d’autres, encore, se trouvaient négligemment posés au sol.
Hope marcha au milieu de cet océan de glace, observant avec une certaine curiosité son image se refléter à l’infini. Dans le fond, elle découvrit le plus imposant et certainement le plus ancien des miroirs de la pièce. Son cadre finement ornementé était rongé par l’oxydation alors que la glace elle-même se piquetait doucement de tâche sombre.
Étrangement, c’était celui qui l’attirait le plus. Comme hypnotisée, la jeune fille s’approcha de la glace et posa une main à plat sur sa surface.
Son reflet se brouilla aussitôt sous ses yeux. Et, comme pour le miroir qu’elle avait croisé dans le couloir quelques temps plus tôt, celui-ci lui montra un monde différent caché de l’autre côté. Il s’agissait d’une chambre d’enfant colorée, éclairée par la lumière chaleureuse du soleil qui manquait tant au monde dans lequel Hope était tombé.
Une fillette s’amusait avec ses poupées, assise au milieu d’une mer de jouet. Il régnait dans la pièce un désordre de ceux que les enfants laissaient derrière eux et qui donnaient aux vieilles maisons une vie qu’elles semblaient avoir oubliées.
Hope resta un moment à regarder la petite s’amuser en souriant. Elle n’entendait rien de ce côté de la glace et fronça les sourcils quand la fillette releva la tête avant d’abandonner ses poupées derrières elle pour quitter la pièce. De toute évidence, elle avait entendu quelque chose. Hope s’attendit presque à ce que l’image suive l’enfant dans sa maison.
Mais il n’en fut rien.
– Montre-moi, ordonna-t-elle en levant les yeux au plafond.
Et aussitôt elle sentit le verre du miroir vibrer sous sa main. Puis la glace ondula sous sa paume et, lentement, ses doigts s’enfoncèrent dans la surface lisse. Hope sentit un froid intense remonter le long de son bras. Puis la sensation changea pour devenir douloureuse, comme une décharge électrique qui lui plantait des milliers d’aiguilles glacées dans la chaire. Elle eut l’impression que le miroir essayait de lui briser les os, comme si une force tentait de l’empêcher de le traverser.
Hope serra les dents, luttant contre la douleur qui lui déchirait l’avant-bras et continua de forcer le passage. Hors de question d’abandonner, elle avait trop besoin de réponses à ses questions !
La résistance qu’elle rencontrait céda si soudainement que la jeune fille bascula en avant et traversa d’un coup le miroir. Un frisson glacé la parcourut tout entière alors qu’elle émergeait de l’autre côté du verre. Un peu déboussolée, Hope se frotta les bras pour se réchauffer avant de regarder autour d’elle.
Elle se trouvait au milieu de la chambre d’enfant.
Parfait.
En étudiant plus attentivement la pièce, Hope ne put s’empêcher de serrer un peu plus fort son livre contre son cœur. L’image autour d’elle lui semblait plus pâle de ce côté de la glace que de l’autre. Les coins de sa vision étaient flous, un peu comme un vieux souvenir dont on peinait à se rappeler.
– Un souvenir…
Sa voix se répercuta quelques instants comme un écho fantomatique dans la pièce. Hope observa le décor qui l’entourait, pensive. Puis le son de voix étouffées lui parvint depuis le couloir.
Encore un peu chancelante, la jeune fille se dirigea vers la sortie. Dans le couloir, elle retrouva la petite fille qui courrait vers le salon où elle retrouva son père et sa mère, assit de part et d’autre du canapé. Hope fit quelque pas de plus et observa la scène de loin. La fillette se hissa entre ses parents sur le canapé et exhiba fièrement un vieux livre, le sourire aux lèvres. Son père, un homme d’une petite trentaine d’année, se pencha sur elle et lui sourit à son tour. De l’autre côté, Hope vit la mâchoire de la mère se contracter. Elle serra les poings avant de se lever brusquement, attirant l’attention stupéfaite de son conjoint et sa fille. Puis, sans un regard en arrière, elle quitta la pièce.
Prise d’une soudaine panique, Hope recula de quelques pas dans le couloir. Elle vit avec horreur la jeune femme se diriger droit sur elle.
Puis traverser.
Comme si elle n’avait jamais existé.
Un courant d’air froid glaça les os de la jeune fille alors que la femme s’en allait d’un pas rageur dans l’autre direction avant de claquer la porte. Hope resta figé un instant, encore tremblante.
Elle fut ramenée à la réalité par le long soupire du père, toujours assit sur le canapé près de sa fille. Elle s’approcha de quelques pas, mais n’eut pas le temps de le voir. À peine eut-elle fait un pas dans le salon que l’image changea. Tout se brouilla d’un coup, déstabilisant l’adolescente avant de revenir.
Hope regarda autour d’elle, un peu perdue. Le père avait disparu et la petite fille avait changé de place. Assise dans un fauteuil beaucoup trop grand pour elle, l’enfant parlait joyeusement à un ours en peluche d’un blanc usé.
La jeune fille prit place dans le fauteuil juste en face de la gamine et passa de longues minutes à l’observer. Tout dans cet endroit lui semblait familier, mais elle n’arrivait toujours pas à se souvenir de l’essentiel. Oui cette petite lui ressemblait, mais pouvait-elle vraiment affirmer qu’il s’agissait d’elle ? Elle ne savait pas, elle ne savait plus…
Puis soudain la petite releva la tête, sortant Hope de ses pensées. Toutes deux se redressèrent et la fillette sauta sur ses pieds pour s’en aller dans le couloir. Intriguée, l’adolescente se leva à son tour et se mit à la suivre quand un voile blanc vint l’aveugler. Sentant brusquement une étrange fatigue la submerger, elle laissa ses paupières se fermer doucement quand elle entendit un cri. Hope voulu ouvrir les yeux mais elle en fut complètement incapable. Elle avait beau se l’ordonner, y penser de toutes ses forces, ses paupières finirent par se fermer complètement et le cri s’éteignit progressivement.
Quand Hope put ouvrir les yeux de nouveau, elle se trouvait devant le grand miroir oxydé. Son reflet l’observait avec curiosité et colère. Quel était ce cri ? Qu’est-ce que la petite allait voir dans ce couloir ? Pourquoi avait-elle cette impression persistante qu’il s’agissait d’une pièce importante du puzzle ?
Elle serra plus fort le livre dans ses bras.
Pourquoi avait-il fallu que ses paupières se ferment ?
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