Chapitre 12 - L'Ange

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Ne pouvant en supporter d’avantage, Hope ressortit en trombe du miroir. Pourtant, elle ne retrouva pas les hautes fenêtres donnant sur la lune pourpre, ni tableaux colorés sur les murs du couloir. À la place, elle heurta une autre glace.

L’adolescente recula de quelques pas, perdue et découvrit avec horreur qu’elle ne se trouvait pas dans le couloir par où elle avait traversé le miroir.

Le souffle court, elle regarda autour d’elle, cherchant éperdument une sortie. Mais elle ne trouva que des miroirs, reflétant la même scène à l’infini.

L’accident.

– Arrête ! hurla-t-elle en tournant sur elle-même. Je t’en prie, arrête ! ARRÊTE !

Des torrents de larmes dévalèrent ses joues, sa respiration était saccadée et son cœur prêt à exploser. Elle ne voulait plus rien savoir, elle ne voulait plus de réponses à ses questions… du moins, pas celles-là.

Hope lâcha soudain le livre qui tomba au sol sans bruit. L’adolescente tremblait, les mains sur les oreilles, s’arrachant presque les cheveux. Et s’écroula à son tour. Elle était hystérique, ne cessant de hurler contre les miroirs, les suppliant d’arrêter, de la laisser. Elle criait à s’en arracher la gorge, ordonnait à quiconque pourrait l’entendre de stopper cette folie. Elle ne voulait plus voir ces images, elle voulait ne jamais se souvenir de cet instant.

Elle avait peur.

Mais seul le silence et les échos de sa propre détresse lui répondirent. Les glaces, comme la maison, restèrent sourdes à ses cris, à ses larmes, continuant de rejouer l’accident encore et encore partout autour d’elle. Le manoir tout entier semblait dépourvu de pitié, torturant sans remord la jeune fille.

Soudain, le silence s’abattit sur toute la pièce, lourd, presque douloureux. Hope n’entendait plus que le bruit de sa propre respiration affolée. Son cœur battait à tout rompre. Lentement, elle détacha ses mains de ses oreilles et regarda alentour. Les yeux baignés de larmes, elle mit un moment à remarquer le livre de conte, tout près. Il était tombé ouvert au sol et semblait attendre patiemment que la jeune fille ne s’avance pour continuer sa lecture. Et, alors qu’elle s’en approchait, tremblante, Hope sursauta. Elle retira instinctivement sa main, les yeux grands ouverts. Lentement, les pages du livre se tournait, comme si une main invisible cherchait une page en particulier.

Après quelques longues secondes, le livre s’immobilisa enfin. Hope attendit un instant avant de s’approcher de nouveau, l’estomac noué par l’angoisse. Elle prit délicatement le livre dans ses mains et renifla et s’essuya les yeux avant de lire d’une voix chevrotante.

– « La princesse Hope n’arrivait plus à voir ni à sentir. Elle avait mal et n’entendait même plus le monde qui s’agitait autour d’elle. Pourtant elle le voyait, lui. »

Hope ouvrit grand les yeux. La panique quitta brusquement son esprit, remplacé par une curiosité vorace et poursuivit, plus calme :

– « L’ange gardien qui ne la quittait pas depuis sa naissance, pleurait depuis des heures la vie qui s’en allait de sa protégée. »

Sa voix se fit de plus en plus assurée et claire à mesure qu’elle lisait.

– « Il avait échoué dans sa mission, elle avait perdu la vie et il n’avait rien pu faire. La princesse n’était plus et son ange déversa sur le monde tout son chagrin car… plus qu’une âme à veiller, la princesse Hope était pour lui le rayon de soleil qui avait illuminé sa longue existence. »

Dans l’esprit de l’adolescente, les pièces du puzzle se mettaient enfin en place. Tout devenait de plus en plus limpide à mesure qu’elle poursuivait sa lecture.

– « L’ange l’aimait bien plus qu’il n’aurait dû et, en voulant la ramener par tous les moyens, se retrouva privé de ses ailes… »

Hope se figea un moment, fixant sans y croire les lignes de son livre. Puis, lentement, elle releva les yeux et croisa celui de son reflet dans le miroir. Les images lui revinrent alors. Cette silhouette, ce regard… Elle les avait vu. Elle les voyait à présent.

Le livre dans une main, Hope se redressa d’un bond, bien décidée, cette-fois, à confronter le gardien. Elle devait le rejoindre, il lui fallait lui parler de toute urgence. Hors de question de rester dans cette prison de glace ou de reculer, elle devait retrouver son ange. Elle devait l’affronter, il lui fallait en avoir le cœur net. Déterminée, la jeune fille essuya ce qui restait de ses larmes et se planta face au miroir.

Sans hésitation, Hope bondit dans le miroir et le traversa. Elle se retrouva alors dans le long couloir qu’elle avait quitté. En se retournant, elle vit l’immense glace disparaître mais ne s’attarda pas. Parcourant la maison de long en large, Hope ne s’arrêta de courir que lorsqu’elle retrouva enfin le cul-de-sac où se trouvait, caché, l’entrée de la chambre du gardien. Mais, pour une fois, la maison sembla de son côté, laissant visible la fameuse porte introuvable.

Hope ne prit pas la peine de toquer et entra comme une tornade à l’intérieur de la pièce. Elle le trouva là, debout au milieu de la chambre, un livre à la main. Le gardien contemplait le ciel d’un regard morne et mit un moment avant de se tourner vers elle, un étrange sourire aux lèvres.

En le voyant, Hope ne put s’empêcher de pleurer. Tout lui revenait soudain avec une netteté troublante. Elle se rendait soudain compte de tout ce qu’il avait fait, de tout ce qu’il avait sacrifié pour elle. Hope sentit une profonde culpabilité poindre dans sa poitrine. Il avait toujours été là, dans l’ombre. Il avait toujours veillé sur elle, l’avait consolé, aidé…

Ce visage… comment avait-elle pu ne pas le reconnaître ? À chacun de ses souvenirs, elle le trouvait là, quelque part mais jamais loin, comme une ombre qui ne la quittait plus depuis sa naissance. Mon gardien… Il avait été ce gentil garçon au musée qui l’avait reconduite à son père quand elle s’était perdue enfant. Ce vacancier qui l’avait sauvé de la noyade quand elle cherchait désespérément son frère. Ce prêtre qui lui avait offert une rose à déposer sur la tombe de sa mère peu après l’enterrement. Ce jeune homme qui l’avait défendu peu après son entrée au collège alors qu’elle se faisait harceler, avant de la raccompagner chez elle. Et ce client du magasin d’antiquité qui l’avait conseillé quelques années plus tôt à Noël quand elle cherchait un cadeau pour son père.

Au moment où il ouvrit la bouche pour parler, l’adolescente fondit sur lui et le prit dans ses bras. Perdu, le gardien la regarda un moment perplexe avant de l’enlacer à son tour, la serrant doucement contre lui.

– Je me souviens de tout, dit-elle soudain. Je me souviens de toi.

Dans les bras du gardien, de nouvelles images lui revenaient, plus lumineuses que les autres. Des sourires, de la joie… et le bonheur. Elle se sentait alors étrangement heureuse, comme si le cauchemar était vraiment fini cette fois. Elle se sentait soulagée de ne plus avoir à se poser mille et une question sur lui. Maintenant elle comprenait tout. Le gardien était un ange, son ange, et elle était heureuse de l’avoir retrouvé, de se souvenir.

Pourtant, quand elle s’écarta de lui, Hope sentit sa gorge se serrer. Dans le regard du gardien, elle ne lit qu’une tristesse immense. L’adolescente eut l’impression qu’on lui labourait le cœur. Sa joie vacilla quand elle vit les larmes faire briller son regard sombre.

Il passa une main emplie de tendresse sur la joue de la jeune fille, essuyant ses larmes tout en affichant un triste sourire. Hope ne comprenait pas, elle ne comprenait plus. Que lui arrivait-il ?

– Je suis désolé, souffla-t-il, tellement désolé…

– Mais tout va bien maintenant, sourit Hope soudain inquiète. Je me souviens de tout !

– Oui…

La maison se mit soudain à trembler sur ses fondations. Hope regarda de toute part, sentant la panique se rependre dans tout son être. D’immenses fissures apparurent, lézardant les murs de la pièce, brisant le verre des fenêtres. Le papier peint commença à s’effriter, les tableaux se mirent à fondre. Tout était en train de se décomposer, s’effacer.

– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Hope terrifiée. Pourquoi la maison s’écroule ?

Quand elle reposa son regard sur le gardien, la jeune fille se figea.

Il souriait. Le gardien souriait. Mais d’un sourire si triste que l’adolescente se sentit mourir de l’intérieur en le voyant. Comment pouvait-il afficher pareil sourire ?

– Tu vas renaître, annonça-t-il simplement.

– Quoi ?

Hope était perdue. Puis, brusquement, elle se rendit compte que le manoir n’était pas le seul à disparaître. Au dehors, la lune se faisait de plus en plus pâle et distante. Le jardin s’évaporait, la forêt s’écroulait. Et le gardien… le gardien semblait se transformer en poussière sous les yeux de l’adolescentes. Lentement, elle le voyait s’effacer, disparaître. Elle se sentit si impuissante en le voyant s’évaporer ainsi… Elle voulait l’attraper, le retenir. Pourquoi fallait-il qu’il s’en aille lui aussi ? Pourquoi devait-elle se retrouver seule à nouveau ?

Mais, avant que tout ne soit plus que néant, avant que le gardien ne disparaisse pour de bon, il s’approcha d’elle, plongeant son regard dans celui de la jeune fille. Hope sentit une main replacer une mèche de cheveux derrière son oreille, effleurant sa joue. Et, alors qu’elle s’apprêtait à parler, il l’embrassa. Son baiser ne dura qu’un instant, mais l’adolescente eut la sensation que ses lèvres restèrent une éternité sur les siennes.

– Je t’aime, furent les derniers mots qu’Hope entendit avant qu’il ne disparaisse complètement.

La jeune fille avait envie de hurler et de pleurer, mais elle en fut incapable. Ses lèvres restèrent résolument fermées, sa voix comme éteinte à jamais. Puis ses paupières se firent de plus en plus lourde. Tout devenait noir autour d’elle. Le gardien avait disparu. Le manoir n’existait plus. La lune s’était évanouie.

Tout avait disparu.

Il ne restait plus qu’elle, la douleur et le vide qu’il avait laissé en partant.

Lentement, Hope laissa la fatigue prendre le dessus. Elle ne voulait plus se battre, elle n’en avait plus la force ni l’envie. Alors, lentement, elle laissa le néant l’engloutir.

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