Le bal haies

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 Quand sa femme brandit deux billets pour un ballet, Lucas sauta de joie. Il ne connaissait pas cette discipline et avait hâte de la découvrir. Plus agile qu’un petit rat, il troqua, en effectuant un remarquable entrechat, son vieux bermuda contre son jogging préféré. En le voyant affublé de la sorte, Léa poussa un cri :

— Tu penses aller où comme ça ! J’ai sorti ton smoking. Tu ne l'as pas vu ?

Elle-même portait des talons hauts, sa plus belle robe de soirée et s’était maquillée avec attention. Lucas trouvait cela mignon. Pour ne pas l’agacer plus longtemps, il s’exécuta.

Quelques minutes plus tard, engoncé dans son costume, il descendit gauchement les escaliers.

— Minute, papillon ! Tu as oublié ton nœud.

— Il est dans ma poche, balbutia le fautif, tapotant le côté droit de sa veste. Avec, j’ai l’air d’un serveur d’expressos.

— Absolument pas, lui répondit sa moitié, en sortant l’accessoire de sa cachette. Arrête de gesticuler, sinon on risque de rater la représentation, ajouta-t-elle, en essayant vainement de le lui nouer. Il est grand temps de nous rendre à l’opéra.

Représentation ? Opéra ? De quoi parlait-elle, se demanda soudain Lucas. Il voulut lui poser la question, mais faillit s’étrangler en l’entendant lui proposer de prendre le volant. Léa avait si peu le sens de l’orientation qu’elle se perdait même dans leur maison ! Plus d'une fois, elle s'était d'ailleurs retrouvée dans la cuisine à la place du salon. Le couple n’habitait pourtant pas un gigantesque manoir. Madame était seulement distraite.

— Avec tes talons, Chaton, cela ne va pas être très commode de conduire, tenta-t-il timidement pour échapper à une catastrophe.

— J’emporte mes ballerines, lui répondit-elle, radoucie, avant de lui adresser un sourire plein de malice. Ne t'inquiète pas.

Ne t’inquiète pas, ne t’inquiète pas, marmonna-t-il, inquiet. Elle en a de bonnes ! Elle est capable de nous emmener jusqu’à Rome !

Comme il s’y attendait, lorsque Léa claironna qu’ils étaient arrivés, Lucas serra les poings pour ne pas exploser. Ce n’était pas le bon endroit !

— Tu es sûre de toi, mon petit pois ?

— Mais, oui ! C’est marqué en grand sur le bâtiment. Tu ne le vois pas ? Tu as besoin de consulter de toute urgence un ophtalmo !

Vexé, Lucas ne répliqua rien. Après tout, si elle voulait se ridiculiser, ça la regardait. Il fut très étonné qu’on les laisse pénétrer sans histoire à l’intérieur de l’imposante bâtisse. Leur accoutrement y était sans doute pour beaucoup. Léa avait eu raison. D’ailleurs, rien n’oblige de porter des habits de sport pour en regarder !

À peine installés, les lumières s’éteignirent, le silence se fit, le rideau s’ouvrit, une musique retentit et une succession d’athlètes, hommes-femmes-enfants-animaux confondus, en collants, costumes et tutus, sans dossards ni baskets virevoltèrent et enchaînèrent pas de danse et cabrioles sur la pointe des pieds.

Quel est donc ce traquenard ! voulut vociférer Lucas interloqué. Il se retint, et regarda autour de lui. Personne ne semblait scandalisée.

En le voyant plus rouge qu’un rubis nappé de sauce tomates à l’entracte, Léa pâlit.

— Un souci, mon chéri ?

— Dès le début de la soirée, j’ai relevé un grand nombre d’étrangetés. Je me suis tu, mais, là, il faut que ça sorte. Passe pour l’habit de pingouin que tu m’as demandé d’enfiler, l’endroit où nous nous trouvons, les tenues fantaisistes des protagonistes, l’absence de juges, mais quid de cet imbroglio auquel nous venons d’assister ? Je m’emporte un peu trop vite peut-être ? Après tout, il y a le mot « bal » au programme. Cette première partie étaient probablement l’échauffement. D’ordinaire, celui-ci ne dure pas aussi longtemps. Et cette musique qui n’en finit pas. Une chose est certaine : il y a tromperie sur l’intitulé ; et compte sur moi pour aller le signaler ! Jusqu'à présent, je n’ai aperçu aucune haie. De qui se moque-t-on ! Où sont-elles passées ? lui balança-t-il, exaspéré.

— Des haies ? Lucas, calme-toi. Je ne comprends pas. Que pensais-tu voir exactement ? Je sais que tu es déçu de ne pas passer la soirée au stade ; ce n’est pas une raison pour que cela tourne au drame ! D’ailleurs, je ne t’ai à aucun moment supplié de m’accompagner. Tu as accepté sur-le-champ mon invitation. Si tu avais dit non, j’aurais demandé à Ninon. Je suis certaine qu’elle m’aurait lancé un oui tonitruant et aurait été aussi émerveillée que moi par cet époustouflant ballet.

— Époustouflant ballet ? Ah ! c’est un ballet en un seul mot dont il était question. Tout s’éclaire maintenant. J’ai cru que tu me proposais de voir un bal haies ! Le relais de haies navette existe bien. Pourquoi ne pas imaginer une course mêlant danse et saut de haies ? Ne ris pas ! De nouvelles disciplines sportives apparaissent régulièrement. Celle-ci pourrait naître un jour. Les bonds seraient alors empreints de grâce et de délicatesse. Cesse de te moquer à la fin ! Désolé d’avoir été à mille lieues de ton Casse-Noisette. Ce n’est pas une raison pour autant de ricaner comme une chevrette !

— Inutile de te chercher des excuses, mon chéri. Plutôt qu’un ophtalmo, c’est un ORL qu’il te faut ! déclara Léa, guillerette, avant de réaliser une jolie courbette.

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