Un homme court. Il est essoufflé et décide de s’arrêter au tournant d’une rue pour se reposer quelques instants contre le mur abîmé. Ses mains tremblent et il porte une chemise blanche tâchée de sang. Son sang à elle.

Comment en est-il arrivé là ?

Il jette un coup d’œil en arrière pour voir si ses poursuivants sont assez loin mais des bruits de pas se font entendre dans la nuit. L’homme reprend sa course. Il se sent mal et ses jambes sont douloureuses. Il a tellement couru pour échapper aux griffes de ces abominables et terrifiants personnages qui ne cessent de lui hurler dessus… S’ils l’attrapent, c'en est fini de lui.

Il regarde de nouveau sa chemise parsemée de petites tâches écarlates. Il est pris d’un haut le cœur et les larmes lui montent aux yeux. Il ne doit pas se faire attraper s’il ne veut pas terminer comme elle.

Cet homme qui court à s’en faire éclater les poumons a eu de la chance. Il a eu de la chance de pouvoir s’enfuir. Une chance qu’elle n’a pas eue. Secouant la tête pour arrêter de penser à cela, il regarde derrière lui. Personne. Seuls quelques passants qui rentrent chez eux ou qui profitent de la fraicheur nuptiale.

Un sentiment de soulagement s’empare de lui. Lui qui a eu tellement peur. Il serait presque tenté de s’acheter un café pour se détendre un peu. Mais il se reprend. Sa voiture, il doit absolument la rejoindre et fuir. Partir d’ici pour que ses assaillants ne le retrouvent pas.

Reprenant son courage à deux mains, il court vers la sortie de la ville. Lorsqu’il aperçoit enfin la Ford V-8 de 1932, il pousse un long soupire. Il prend place à l'intérieur de celle-ci et ne peut s’empêcher de se sentir mal. C'est la première fois depuis qu’il a ce véhicule qu’elle n’est pas à ses côtés. Elle n’est pas là parce qu’ils l’ont eue et maintenant, elle doit être morte.

L’homme ferme les yeux. Il ne doit pas regarder en arrière. Il va quitter cette ville maudite et oublier cette tragique soirée, accordant aussi une petite pensée à sa chemise qu’il devra jeter.

Il démarre la voiture lorsque le canon d’une arme apparaît à sa droite. Ils l’ont retrouvé. Ils l’attendaient.

- Sors de la voiture.

Mordillant sa lèvre, il se pivote et descend lentement de la Ford. Ensuite, tout se passe très vite, un homme attrape ses bras et le plaque sur le capot.

- Clyde Barrow, vous êtes arrêté pour les meurtres de Ed Crowder, Eugene Moore, Howard Hall, Doyle Johnson, Malcom Davis, Wes Harryman, Edward Bryan Wheeler, Holloway Daniel Murphy et William Calvin Campbell.

Et tandis qu’un flic lui passe les menottes, un autre reprend :

- Et ne comptez pas sur votre misérable acolyte pour vous sortir de là, Bonnie Parker va être conduite dans le centre pénitencier le plus proche, tout comme vous.

Un sourire nait sur le visage de Clyde. Elle n’est pas morte. Elle est seulement en prison. Les policiers se lancent des regards inquiets. Ce sourire tordu et maladroit, cette lueur démoniaque dans les yeux. Tout simplement effrayant.

Si Bonnie est encore en vie, rien n’est perdu, rien n’est encore fini. Son cœur se réchauffe. Il a eu si peur ce soir. Il a d’abord cru qu’elle était morte. Il a dû fuir et a failli se faire attraper.

Mais non, Bonnie respire. Leur vie ne fait que commencer. La prison n’est qu’un contre-temps, un obstacle, une infime anicroche.

La pluie se met à tomber et Clyde ferme les yeux. Il laisse les gouttes gelées tomber sur son visage, glisser jusqu’à sa chemise et nettoyer imperceptiblement le sang qui la souille. Il est heureux. La seule déception qu’il ressent, c'est quand il pense au mal qu’il s’est donné pour voler cette voiture qu’il ne reverra jamais. Mais ce n’est rien. Ce n’est rien parce qu’elle est vivante et c'est le plus important.

Les amants se reverront. Et cela lui suffit. Leur suffit.