#56
Il m'a fallu un courage incommensurable pour aller attraper ce fichu micro, me planter sur l'estrade et regarder ces gens devenir un auditoire silencieux et attentif. Léa m'a dit de prendre une grande respiration et de dire à mon cœur qu'on allait être plus fort que la peur, lui et moi. J'ai ri. Au moins, j'ai ri.
Je ne sais pas pourquoi, juste avant de prendre la parole, j'ai pensé à Alix. Je l'ai remercié du plus fort possible, espérant presque que ma gratitude traverserait l'Atlantique. Et je l'ai maudite aussi. Alix sera-t-elle éternellement un boulet à mon pied ? Sommes-nous voués, elle et moi, à une succession d'échecs amoureux, telle une punition pour n'avoir su conduire notre couple vers l'amour éternel que l'on s'était pourtant promis ? Ne trouverons-nous jamais personne qui acceptera notre relation particulière, si proche, si forte, si envahissante peut-être, mais sincèrement amicale ? N'ai-je jamais, jamais, vraiment jamais le droit de penser que je l'aime ? Pas l'aimer comme j'ai pu l'aimer à l'époque, mais l'aimer aujourd'hui comme cette personne infiniment précieuse à ma vie ?
Je prends une grande inspiration, chasse Alix de mon esprit, et me plonge dans mes mots. Je ne sais pas vraiment ce qui a pu se passer durant mes quelques minutes de parole. Je crois que mon cerveau a débranché la fonction « conscience », parce que ça faisait trop d'interférences avec les fonctions « articulation » et « cohérence ». J'ai levé les yeux quelques fois, il me semble. J'ai regardé mais n'ai pas tellement vu. Mes oreilles ont capté des rires, des exclamations, des « Ooooh » sur une ou deux anecdotes inavouables aussi.
Sur le point final, je réussis à m'extirper de mon flou artistique. Déjà, Cisco est à mes côtés. Il a l'air absolument ravi. Je ne comprends pas comment ni pourquoi, mais je prends son accolade comme un shoot de légèreté. Il me remercie chaleureusement, plusieurs fois, beaucoup même. Et Nina aussi, ose l'accolade, le bravo, et le merci. Eh bien, cette journée est un shaker à émotions !
- T'es définitivement mon héros de la journée, mec.
- N'exagère pas. C'était juste quelques phrases un peu maladroites pour raconter combien on s'est bien marrés toutes ces années et combien... euh, comment on est potes, quoi.
- Waouh. C'est compliqué de se dire « combien on s'aime » ?
Nina hausse des sourcils bourrés de jugement.
- Je préfère faire gaffe avec l'utilisation de ce mot-là.
- Ah bon ? Pourquoi, il est dangereux ? Tu risques une brûlure de la langue au troisième degré ?
- Peut-être bien que j'ai du mal à en gérer les conséquences, oui.
Elle me regarde sans comprendre. Je vois dans ses yeux que je redeviens déjà ce crétin immature et nonchalant qu'elle aime tant pointer du doigt.
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