Chapitre 4 : Alex.
Je reste une semaine entière dans le Montana. Chaque matin, je me lève à cinq heures pour aller travailler avec Manon et son père au magasin. J'apprends les bases du métier, même si je suis pas mal déconcentré parce qu'elle est dans les parages, affairée à réparer des paires de chaussures, avec son sourire qui m'appelle et ses joues qui rougissent dès qu'on discute ensemble. Je rencontre les clients, les voisins et les amitiés de cette famille. J'aime leur vie. On va voir les étoles tous les soirs, et on ne manque pas de boire du vin en s'esclaffant au son des blagues du père de Manon.
J'aime la simplicité avec laquelle ils accueillent les obstacles et conservent les sourires. Cette petite maison est pleine de paix et de bonheur. Tous les après-midis, Manon me fait découvrir des endroits différents. Avec le chien Toupie, on se baigne dans les lacs, on arpente les fôrets et on escalade les montagnes pour espérer croiser la route de certains animaux. A chaque paysage, son unicité et je n'en reviens pas d'être ici. Je n'avais pas envie d'apprécier la compagnie des autres, avant. Je ne fais pas l'effort d'aimer, d'apprendre, de me laisser aimer aussi. Mais depuis que j'ai découvert ce bonheur-ci, plus simple, je commence à avoir des doutes quant à la solitude. J'ai l'impression que le bonheur n'est réel que lorsqu'il est partagé.
Plus j'écoute Manon, plus j'aime sa personne. Elle parle joliment, elle est remplie de douceur et de timidité, ce qui la rend vraiment différente des autres. Elle n'est pas dans le jugement, ce qui la rend impressionnante par rapport aux autres. Il n'y a pas de méchanceté sur ses traits : tout est tendre, attentionné, réfléchi, calme. Je crois que c'est tout ce qu'elle ignore qu'elle représente qui la rend aussi captivante. Son père est sa copie conforme, en beaucoup plus jovial et drôle. J'aurais aimé avoir un père comme lui. Un père qui écoute et qui comprend. Un père, finalement.
Le samedi, je me dis qu'il faudrait que je reparte.
Le dimanche aussi.
Le dimanche soir, je me rends compte que mon coeur est pris dans un étau de quelque chose que je ne parviens pas à verbaliser. Je n'ai pas faim. J'entasse les tee-shirts dans mon sac à dos avec une absence de sourire évidente. J'ai envie de dire à Manon ce que je ressens pour elle, en tout cas que je me sens bien quand elle marche à côté de moi. Je pense savoir qu'il serait important de lui dire ceci. Je sens qu'elle m'écoute et qu'elle comprend les choses qui m'animent. Je sens qu'elle vibre à mes joies et mes aventures. Elle pose des questions, elle s'intéresse.
Je referme la fenêtre, mon sac à dos et je m'apprête à quitter la chambre lorsque je tombe nez à nez avec un carnet ouvert, à mes pieds. Il est tombé du bureau à cause du vent, peut-être. A moins qu'il était déjà par terre. Je le ramasse, et mes yeux accrochent une simple phrase qui me pousse ensuite à tout lire d'une traite, la gorge sèche.
Bon. Si seulement il existait une façon simple de dire aux gens ce qu'on ressent pour eux, alors j'irais proproser du café à Alex et je lui dirais que je suis en train de tomber amoureuse de lui. Mais je ne crois pas que ça se dise, je ne le connais que depuis une semaine et il a de grands rêves à poursuivre en courant. Je ne me pardonne pas de m'être attachée à lui alors que je savais que ça n'allait pas aboutir à quoi que ce soit d'autre qu'une jolie amitié. Je ne me pardonne pas les soubresauts dans l'estomac dès que ses yeux se posent sur moi. Je ne savais pas qu'on pouvait se sentir bien avec un regard. Je pensais que tout venait du coeur, mais il y a aussi les yeux. Et mes joues qui sont rouges. Dès qu'il m'effleure quand on se croise dans le couloir, j'ai la sensation de flotter dans du coton. Le coton doit sûrement avoir la saveur d'Alex. J'espère qu'il fera un bon voyage, qu'il atteindra le sommet de l'Alaska mais aussi celui de la vie. Son sourire, quand il rigole de bon coeur aux blagues de mon père, est la chose la plus jolie que j'ai vu avec les étoiles. Je sais qu'il aime la solitude alors je la lui souhaite, mais pas trop quand même.
Je mets le sac sur mes épaules, je retourne dans le salon et j'annonce d'une voix, bien plus sèche que je ne la souhaite, que je vais repartir tout de suite. Son père propose immédiatement de me déposer à la prochaine intersection de route. J'accepte, je ne suis pas en état de dire refuser quoi que ce soit. Manon est assise sur le canapé en pyjama, en train de lire. Elle corne la page, se lève, baisse les yeux, les relève, les baisse à nouveau et me lançe un timide au revoir, qu'elle accompagne d'un signe de la main. Je traverse les quelques mètres qui nous séparent et la serre contre mon coeur comme si tout dépendait de cet instant. Je laisse une larme sur le col de son pyjama, seule empreinte éphémère de mon passage dans cette maison. Personne ne saura.
Ensuite, je pars sans me retourner.
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