Voix
"Vous, vous êtes en guerre. Nous, non."*
Enseveli sous les décombres, ton corps immobile ne bouge plus. Il crie une horreur indicible, or je ne peux m'y résoudre. Cette scène s'enfuit, incompréhensible. Mes doigts posés sur ton front, je murmure des mots dépourvus de sens.
Lentement, je plonge.
Triste vérité.
Et subitement, je prends conscience de ce qui vient de se produire ici, sous nos yeux.
De ce qui s'y produit encore.
Les bruits dispersés se resserrent brusquement, se pressent contre mes oreilles, bourdonnent. Vide, je fixe un point de cette pièce où je me trouve, glèbe en ruines. Des corps jonchent le sol, dépourvus de vie. Éloignés, j'entends des cris vides de sens, emplis d'une terreur frigide.
Mes muscles se tendent, toutefois mon cœur refuse de suivre le rythme effréné de cet endroit devenu, en quelques secondes, fresque d'horreur. Sereine, je me redresse. Le tissu de cette robe que je porte se froisse contre mes cuisses. Ce léger bruit évince tous ceux qu'emportent les hurlements et les tirs. Je m'y suspends, perdue, bientôt noyée.
Je tourne sur moi-même d'un geste lent.
Inspirer et expirer les bouffées de poudre de plomb.
Mes yeux rencontrent le bout de cette destinée qu'ils nous réservent tous. Le coup résonne contre les murs de cette pièce repeinte de rouge, toutefois je ne l'entends que brièvement. Je tombe seulement, un cri suspendu sur mes lèvres.
Voyelle silencieuse, invisible, étouffée, vite éteinte, dissipée.
Plus de voix.
______________________________
* Cette citation est détournée d'une phrase prononcée par Jérémy Ferrari, que j'ai coupé et un peu reformulé pour qu'elle ne comporte plus de "a".
La voici :
"Vous, vous êtes en guerre. Nous on n'est pas en guerre. Nous on se fait tirer dessus quand on va voir des concerts."
Annotations