Choix
“ Nous sommes bien plus que nos choix, nous sommes en partie fait des choix des autres, tout comme nos choix font les autres. Nous sommes une suite de choix mis bout à bout. ”
Nous pensons tout autant aux choix que nous avons fait qu'à ceux que nous avons laissés de côté, et ce sont ces seconds qui nous rongent le plus souvent de l'intérieur, les " Et si ? " qui résonnent dans nos têtes de plus en plus fort jusqu'à en être assourdissant, jusqu'à nous empêcher de fermer les yeux la nuit. Et, puisque personne n’a la chance d’échapper à cette règle, il lui arrive, encore aujourd'hui, de se demander ce qu'il se serait passé si elle n'avait pas été l'enfant modèle que ses parents attendaient, qu'elle leur avait fait part de son désaccord, s'ils n'avaient pas déménagé, et qu'elle n'avait jamais rencontré cette louve ? Mais ce ne sont que des " si ", des possibilités qui n'existent plus que pour nourrir sa culpabilité.
Elle ignorait encore, à l'époque, la raison qui avait poussé ses parents à prendre cette décision. La petite fille de tout juste neuf années qu'elle était avait songé qu'il s'agissait d'un concours de circonstances, un nouvel emploi, ou une occasion " à ne pas rater " comme l'avait si bien qualifié sa mère, sans pour autant s'étaler sur cette " affaire du siècle ". Elle les avait crus. En effet, c'était une occasion, mais elle était juste comme les autres, banale, et elle n'a jamais su de quoi il s'agissait réellement, mais elle ne connaît que trop bien les conséquences de ce choix qui n'était pourtant pas le sien. C'est pour cela qu'elle s'en veut, pour sa naïveté ainsi que sa curiosité inexistante, elle ne peut s'empêcher de se demander pourquoi elle n'a pas été dotée de cette même trait de caractère qui animait pourtant tous les autres enfants de son âge.
C'est ainsi que la plante se retrouva arrachée de son milieu naturel alors que, peu de temps après la date de son neuvième anniversaire passée, elle se retrouva dans un environnement complètement différent de celui qui l'avait vu grandir et, en quelques jours à peine, elle vit les routes de béton être remplacées par des chemins de terre, les immeubles ne se dressaient plus, les arbres avaient retrouvé leur place. Son monde fait de bruit et de béton avait été détruit par le silence oppressant de la nature. Sa bulle éclatée, ses repères envolés, elle n'était plus qu'une petite chose perdue. Et, comme si le monde cherchait à la narguer en lui rappelant sans cesse ce qu’elle avait perdu, elle était devenue la " Citadine ", et aussi bien les adultes que les enfants ne lui connaissaient bientôt plus que ce surnom-là.
Ils vivaient dans une maison entourée d’un grand terrain, qui leur appartenait tout entier, et se trouvant un peu à l'écart du village qu'elle surplombait du haut de sa colline. Il faut avouer qu'elle était déçue de cette occasion " à ne pas manquer ", mais elle lui laissa sa chance. Cependant, tout du long où elle y avait vécue, elle eut l'impression que le lieu ne voulait pas d'elle malgré tous les efforts qu'elle avait pu faire pour s’y adapter. Elle se souvient parfaitement de ce premier jour de cours, comme on se souvient des grands moments de la vie et, elle quand elle y repense, elle sent de nouveau toute l'angoisse qu'elle avait éprouvée lorsqu'elle s'était présentée à l'unique classe de primaire en serrant les lanières de son sac à s'en faire rougir les doigts. Elle entrait alors en 4e grade.
Lorsqu’on arrive dans un nouvel endroit, il n'y a que deux possibilités, soit cela se passe bien, soit cela se passe mal, et cela ne dépend pas que de nos choix, mais aussi de ceux des autres. Nous sommes bien plus que nos choix, nous sommes en partie fait des choix des autres tout comme nos choix font les autres. Nous sommes une suite de choix mis bout à bout. C'est à cet instant qu'elle en a pris conscience puisque, les autres ayant pris la décision de ne pas accepter cette " Citadine " venue d'un monde qu'ils disaient détester, qu'ils disaient être source de leurs malheurs, source de tous les problèmes de leur petit monde, un monde trop différent pour qu'ils puissent le comprendre. À cet âge-là, on n'essaie pas de comprendre, on ne se pose pas de questions, on agit, au dépend des autres. C'est ce jour-là qu'elle pris aussi conscience qu'elle ne pouvait plus compter que sur elle-même, ses anciens amis, s'ils l'avaient seulement été un jour, semblaient déjà l’avoir oubliée comme elle pu s'en rendre compte après plusieurs jours sans réponses, sans nouvelles, de ces derniers. Ils n’étaient plus que des souvenirs.
Après les cours, elle avait été la première à sortir après avoir maladroitement rangé ses affaires. Elle se souvient être passée devant les bois pour rentrer chez elle et, poussée par quelque chose de plus fort qu'elle qui avait prit le pas sur sa raison, certainement son instinct, elle avait abandonné son sac rose à l'orée du bois puis couru. Juste couru dans les bois. Heureusement qu'elle se trouvait sur un petit chemin sinon elle n'aurait jamais réussis à retrouver son chemin et serait sûrement morte, à cause du froid, cette nuit-là. Elle courait, mais cela représentait bien plus à ses yeux, c'était une course contre ses problèmes, comme si, si elle parvenait à courir plus vite que ses sentiments, ils n'existeraient plus. Il faut croire qu'elle a perdu cette course-là. Les larmes coulants le long de ses joues laissaient des traces gelées derrières elles à cause de ce même vent qui faisait voleter ses cheveux, le bruit étouffé de ses pas, sa gorge qui la brûlait tout comme ses muscles, étaient tout autant de sensations merveilleuses qu'elle se souvient avoir voulu garder pour toujours, elle regrette aujourd'hui que son vœu ait été exaucé.
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