Champagne !
Il me restait quatre heures pour être prête. J'ai installé confortablement Billy sur le lit immense, me suis couchée à ses côtés en le couvrant de caresses et de mots tendres. Il s'est endormi, les effets de l'anesthésie locale devaient encore faire effet.
J'étais sur le point de le rejoindre au pays de mes cauchemars quand une idée m'a traversée l'esprit. Marsh… La Corse… Tony avait lancé un contrat sur lui pour venger sa fille, tombée amoureuse du gigolo qu'il était à l'époque… Comment s'appelait-elle déjà ? Chiara… ? Non, Clara. Je suis sûre que son nom est Clara.
J'attrape mon téléphone, aucune nouvelle de Marsh, je m'en doutais. Je tapote rapidement :
" Il faut enquêter sur la fille de Tony, elle s'appelle Clara. "
***
Je ne sais toujours pas ce qui a provoqué le départ de Marsh. Plus je cogite, moins je comprends.
Tout était pourtant si merveilleux. Harmonieux, lumineux, essentiel. Pas besoin de se parler tout le temps, ça m'arrangeait bien, je ne suis pas trop causante. Un regard, un clin d'œil, un OK Baby et on se comprenait.
C'était le seul qui avait réussi à franchir les pièges à loups, les herses et les barricades, patiemment érigés tout au long de ma vie. Un chevalier, MON chevalier.
Au début, je ne pouvais que tolérer ses mains sur ma peau. Normalement, je déteste qu'on me touche, je garde les gens à distance, C'est comme ça. Et puis, je les ai acceptées ses mains, et j’ai aimé leurs caresses. Et maintenant, elles ne sont plus là.
***
Je prends un bain brûlant, m'emmitoufle dans un peignoir en sortant. J'appelle le room-service et grignote un sandwich club en le partageant avec Billy. La question essentielle à cet instant est : qu'est-ce que je mets ? J'avais acheté une très jolie robe un peu décolletée prévue pour aller avec le smoking de Marsh. Il n'est pas là, je vais faire simple, j'enfile un jeans.
Et puis, non… Pas de raison. Je vais essayer de me faire belle ce soir avec ma petite robe sexy, discrètement maquillée et coiffée d'un chignon très légèrement défait (en réalité, après m'être battue vingt minutes avec ma tignasse, j'ai fini par attacher mes cheveux avec le ruban de la corbeille de fruits et les entortiller en un petit nid qui tient on ne sait comment).
Au moment de partir, je me penche vers Billy en lui expliquant que je ne peux pas l'emmener, il est encore trop fragile. Je claque la porte après une dernière caresse. Je n'ai pas fait trois pas que je l'entends hurler et glapir. Si je ne veux pas qu'on se fasse virer de ce palace, il faut que j'intervienne. Il m'attend, assis, en souriant, la laisse dans la gueule. Quelle andouille, J'allais partir sans la star de la soirée… Allez, Billy, go, la limousine nous attend !
Il y a du monde devant la librairie. Nos bouquins se vendent par palettes, je l'oublie à chaque fois. En nous voyant arriver, un corridor se forme et nous le traversons, comme des vedettes. Les flashs crépitent, les carnets se tendent pour obtenir des signatures (mais ils rêvent, s'ils veulent une griffe de ma main, va falloir faire la queue et l'acheter, notre bouquin ! J'entends des murmures : "ils ne sont que tous les deux, il manque Marsh, il a dû la plaquer…"
Je me promets que si je le retrouve, je lui ferai la peau.
Je signe des piles de livres à des Jim, des Samantha, "pour ma grand-mère chérie", à des Robert et à des Tsakuma… Billy fait des selfies, donne la patte, sourit de tous ses crocs. Chaque fois qu'on me demande où est mon coauteur, l'homme de ma vie, mon double littéraire, je fais la même réponse : "Il est en repérages pour notre prochain roman, il aurait adoré être avec nous, il est désolé."
Je mens. Je ne sais pas où il est. Je ne sais plus si c'est encore mon boy-friend. Je suis perdue et je fais semblant.
Pourtant, les bulles de champagne aidant, le sourire factice collé sur mon visage, dernier accessoire de mon déguisement, commence à disparaître. Je commence à rire pour de vrai, à me laisser aller, un peu, un tout petit peu. Je me sens jolie. Les gens, attirés comme par un aimant. m'admirent et me trouvent brillante. La vie est courte, il est temps d'en profiter… Alors, l'éclat devient plus franc et mes yeux noisette-pistache se remettent à briller.
***
La file des demandeurs de dédicaces s'amenuise. Il ne reste plus que trois personnes, deux, et enfin le dernier ! Je lève les yeux et reconnais le sauveteur de coyote. Il me sourit. Il a un exemplaire de notre roman dans la main.
- Hey… Merci d'être venu ! C'est gentil à vous.
- Je ne résiste jamais à une invitation lancée par une fille et un coyote. Vous écrivez ? Je ne savais pas que vous étiez si célèbre ! Comment va Billy ?
- Il va mieux, sans vous, je ne sais pas ce que j'aurais fait… Oh, n'achetez pas votre exemplaire, je me fais une joie de vous l'offrir. À quel nom souhaitez-vous que je le dédicace ?
- Je vous laisse écrire ce que vous voulez, mais ce qui me ferait vraiment plaisir, c'est que vous me notiez votre numéro de téléphone… Je pourrai prendre des nouvelles comme cela, de votre animal blessé… et de vous.
Carrément ! Il est cash, lui ! Mais finalement, pourquoi pas…
J'écris un truc sur la page et lui tends le livre fermé.
- Vous voulez partager un verre avec moi ? Le champagne est délicieux !
- Avec grand plaisir ! me répond-il en souriant.
Nous avons papoté toute la soirée, je m'enivrais, Je ne savais pas si c'était une bonne idée. Mon charmant inconnu n'était jamais loin de moi pendant que je discutais avec mes admirateurs. Nous nous sommes retrouvés seuls, à un moment de la soirée. Il était vraiment très près. Il avait un joli regard, il sentait bon. Il me suffisait d'avancer un peu pour poser ma main sur son avant-bras…
Du fond de mon sac, j'entends mon téléphone vibrer. Deux fois.
J'ouvre le premier message :
" On a retrouvé la fille, ça craint pour ton gigolo. Rappelle, vite."
Je clique sur le second :
" Je t’aime. Pardonne-moi."
Mon cœur s'arrête de battre un instant. Marsh est en danger et il m'aime.
J'attrape Billy par son collier, traverse en courant la librairie et saute dans un taxi.
***
Lorsque j'ai dédicacé notre roman à cet inconnu si charmant, je ne savais pas si mon histoire avec Marsh était finie. À l'intérieur de son livre, je n'ai pas écrit mon numéro, seulement :
"Merci.
Signé Billy."
On n'efface pas si facilement d'un seul coup d'éponge la décalcomanie que Marsh avait dessinée sur ma peau. Si toutefois quelqu'un en doutait…
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