Bestiole
Une fois de plus, tout est bien qui finit bien.
Enfin, presque… On a quand même hérité du mioche. Je ne suis pas sûre que ça le fasse avec Billy… Ni avec moi, d'ailleurs. Marsh ne va avoir d'yeux que pour son Roberto. Il faudra qu'il trouve sa place de père, qu'il noue des liens avec ce môme qu'il ne connaît pas, qu'il construise une relation équilibrée et respectueuse… Ouais, super. Mais ça va être quoi ma place dans ce futur parfait ?
Je viens à peine de le retrouver, même pas le temps d'en profiter, faut le partager avec son fils. Je suis dégoûtée et jalouse aussi. Je devrais rechercher les coordonnées du mec de la librairie de New York, on ne sait jamais…
Je les regarde tous les deux, jouant dans la piscine. Heureusement qu'elle est chauffée, le môme a absolument voulu y aller. C'est incroyable, ils ont le même regard et le même sourire canaille. Le petit, malgré tout ce qui vient de lui arriver, semble faire confiance à Marsh. C'est étrange. Les liens du sang probablement.
Marsh a un fils. J'ai quand même du mal à le digérer.
En plus, il faut que je trouve le temps de lui parler. Il est tellement chamboulé en ce moment que je ne suis pas sûre qu'il m'entende. Comment vais-je faire pour lui annoncer ce que je dois lui dire depuis plus de deux semaines ? Ce que je sais, ce qu'il ignore. Il me reste toujours l'option de faire disparaître cette nouvelle, je suis encore dans les temps, cela réglerait une bonne partie de mes problèmes.
Je dois donc choisir et je ne sais pas quoi faire…
C'est Noël et la maison n'est pas décorée. On a un enfant dans la maison et rien n'est prêt ? ce n'est pas possible. J'attrape mon sac à main, les clés du Mitshu, et préviens Marsh :
- Je pars faire quelques courses, je reviens.
Et là, à ma grande stupéfaction, j'entends une petite voix qui dit :
- Je peux venir avec toi ?
Je regarde le père, le fils. Marsh me fait un signe de la tête qui veut dire OK. J'hésite et finis par répondre ;
- Bon, ben, oui … Allez viens, Bestiole.
Je n'étais pas certaine que Marsh fût très rassuré quand il nous a vus partir tous les deux, mais je reconnais que moi, non plus, je ne l'étais pas. Si c'est trop compliqué, je pourrai faire semblant de le perdre dans une allée, le gamin.
On n'avait pas des milliards de trucs à se dire dans la voiture, Roberto et moi. Je n'ai pas l'habitude des mioches, je ne sais pas de quoi ça parle. Alors, j'ai mis de la musique, pas des trucs gnangnans de super-héros ou de licornes, non, ma musique à moi. Prefab Sprout, album Steeve MacQueen, une vieillerie des années quatre-vingt que j'adore. Et puis, j'ai pensé à autre chose comme bande-son. J'ai attrapé mon téléphone et cherché un truc. Une chanson qui allait me plonger très loin d'ici.
Quelques notes de piano, rejointes par un violon puis une voix grave, puissante et d'autres qui poursuivent ensemble. Flash-back irrésistible vers l'île de mon enfance, les souvenirs affluent. Mes parents riant au soleil, l'insouciance, ma vie de petite fille joyeuse avant que tout ne bascule.
Mais, assis sur le siège arrière, il y a le petit-fils de celui qui a fait imploser ma famille. Je sais que Roberto n'y est pour rien, je sais surtout qu'il va partager ma vie désormais.
Je n'avais plus jamais écouté cette musique mais ses paroles, je ne les ai jamais oubliées.
In un scornu di lu mondu
Ci hè un lucucciu tenerezza
Ind'u mio core, maestosu
Imbalsama di purezza
Ghjuvellu di maraviglie
Un ne circate sumiglie
Un truverete la para
Ghjè unica, sola hè cara
Còrsica
Des larmes plein les yeux, je regarde dans le rétro. Roberto croise mon regard et se met à chanter en même temps que moi. Je suis bouleversée. Malgré tout. Malgré moi.
Nous avons fait une razzia de boules, guirlandes, décorations en tous genres, rien de kitsch, juste du traditionnel. Il était d'accord pour acheter tout ce que je lui montrais, il n'a pas réclamé de trucs moches et pailletés. Il y avait du monde dans le magasin, les acheteurs du dernier moment qui oublient tous les ans la date de Noël. Je gardais un œil sur lui pour ne pas le perdre dans la cohue et j'ai senti sa main se glisser dans la mienne. Je crois que ça m'a retourné.
Dans la voiture, en rentrant à la maison, il m'a dit :
- Tu sais, je crois que Billy ne m'aime pas.
En me retournant, je lui ai souri et lui ai dit :
- Billy aime ceux que j'aime, ne t'inquiète pas.
On a déchargé le coffre de ces montagnes de paquets, on a décoré la maison, on a fait des gaufres pour dîner et il s'est écroulé de fatigue sur le canapé du salon.
Je sors prendre l'air sur la terrasse. Marsh me propose un verre. Une vieille habitude prise depuis qu'on habite ici, dans cette maison que j'adore, siroter un dernier verre en regardant l'océan. Je refuse. Il ne me demande pas pourquoi.
Il faut que je lui parle. Mais ce soir, il ne m'écoutera pas.
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