Un petit coin de paradis
Juin 2006
— ¡Aquí, cervezas para los músicos!
— ¡Gracias compadre! *
Carlos dépose son offrande au milieu du groupe. Il aime nous écouter. Payer sa tournée, c'est sa manière de participer à l'ambiance. Les instruments se sont tus. Le clapotis des vagues qui s’écrasent sur les rochers a repris ses droits. Nous décapsulons nos Polar et entrechoquons les bouteilles dans la bonne humeur avant de goûter le houblon rafraichissant. Après cette séance de chants et de musique, la pause est méritée. À cette heure-ci, je supporte la chaleur tropicale beaucoup mieux qu’en journée. Une légère brise gonfle la chevelure bouclée de Paola. Elle me sourit. Je me sens bien.
J’observe les milliers de points lumineux qui dansent dans le sombre firmament, jusqu’à la ligne d’horizon où se confondent le ciel et la mer. Comme tous les soirs, nous sommes installés sous les quenettiers du malecón de Choroní. Cette jetée fortifiée et les maisons colorées qui la bordent racontent un lointain passé colonial espagnol. Aujourd’hui, différentes cultures s’y mélangent dans une ambiance fraternelle et une recherche de paix, qui se traduit par les échanges, les savoir-faire, la musique et la danse.
Nous parlons de tout, de rien, nous refaisons le monde autant que nous acceptons notre ignorance. Parfois le ton monte, mais même les discussions les plus engagées finissent en éclats de rires.
Assise en tailleur, Ximena tortille un long fil d’argent. Entre ses doigts experts, un médaillon est en train de naître. Elle le vendra demain à des touristes de passage pour une poignée de bolivares. De quoi se payer une nuit de plus dans son hôtel, ou quelques empanadas de thon. L’avenir ici, c’est le jour d’après. Penser plus loin ne sert pas à grand-chose.
Javier me rejoint. Il essaye à nouveau de négocier mon darbouka. Il est tombé amoureux de sa sonorité orientale, peu comune dans ces latitudes. Lui, le spécialiste des percussions, capable de façonner de ses mains des djembés dans le plus pur style africain, n’a jamais entendu d’instrument de la sorte.
Je ne le vendrai pas. Mais nous en jouerons encore et encore, cette nuit et bien d’autres. Et Paola dansera, et Federico nous accompagnera à la guitare, et Manuela chantera, et…
Si elle existait, le Choroní dans lequel j’ai vécu quelques mois serait mon Arcadie.
* "Ici, des bières pour les musiciens !"
"Merci camarade".
Annotations
Versions