Chapitre 19
« Chaque être en ce monde vit pour une raison spéciale, pour pouvoir réaliser le souhait que l’on fait lorsque l’on naît. L’Unique Souhait est celui que notre Dieu possède, mais nul ne sait ce qu’il est. »
Nah’Skaar se tenait là, le regard sombre, au milieu de ses confrères. Seul Agnaor était absent… Les Dieux avaient réunis leurs esprits dans un lieu secret, et chacun avait un air grave, les yeux posés sur le petit être qui reposait entre les tentacules verts sombres, maintenu contre le corps du Dieu d’Ygdrae.
-Es-tu sûr de vouloir faire ça, Nah’Skaar ? S’enquit Oraluz, le Dieu d’un peuple qui le vénérait lui et la lumière qu’il contrôlait…
Le Dieu hocha la tête, et caressa la joue de Theos, se retenant de penser à son corps sans vie, à son coeur arrêté, et au souffle qu’il ne sentait plus sur sa main… Ses beaux yeux verts fixaient le vide, et Nah’Skaar ne pouvait se résoudre à les fermer… Ce serait accepter de le laisser partir, et jamais il ne pourrait permettre ça. La simple idée de le perdre lui tordait les entrailles et lui faisait ressentir des émotions qu’il ne connaissait pas et dont il ne voulait pas.
-Dans ce cas, souffla Oraluz, je n’y vois pas d’inconvénient.
Le Dieu à la chevelure blanche, aveugle et resplendissant de lumière, éblouissant presque ses confrères, se tourna vers ces derniers. Ils hochèrent tous la tête à leur tour, donnant leur accord à Nah’Skaar pour faire ce qu’aucun Dieu n’avait encore jamais fait.
-Tu as l’autorisation d’utiliser ton Unique Souhait, choisit le bien, car tu ne pourras jamais le changer.
Nah’Skaar hocha la tête et ferma les yeux en posant son front contre celui, si froid, de Theos. Il n’y avait aucun doute à avoir…
-Je sais exactement ce que je veux, souffla-t-il.
Que sa vie soit liée à la mienne.
Les mots résonnèrent un instant dans le vide de ses pensées, avant de s’envoler loin, haut dans le ciel, à un endroit que nul ne connaît, et que nul ne connaîtra jamais, se déposant non loin d’un esprit resplendissant, une âme d’un vert profond, étincelant, remplie d’espoir et de vie.
Theos avait l’impression de s’enfoncer dans une masse gluante et froide, mais agréablement douce. Son corps semblait ramolli, comme s’il ne pouvait plus le contrôler, que son esprit s’en était détaché ou qu’il n’était tout simplement plus là.
La première pensée qui le traversa fut pour Nah’Skaar. Il voulait qu’il soit là. Il ne voulait pas être seul. Puis il se demanda où il était. Etait-il mort ? Que faisait-il ici ? Pourquoi était-il encore conscient s’il était mort ?
Il ne voyait rien, et ne savait pas s’il faisait noir ou blanc. Il n’y avait pas de couleur, pas de lumière, ni d’ombre. Le néant, un lieu où tout et rien ne pouvaient exister… C’était effrayant. Au moins il n’avait pas mal… Mais l’idée de ne plus voir Nah’Skaar lui donnait envie de pleurer et gémir.
Le désespoir l’étouffa un instant, avant qu’il ne se souvienne que même vivant, il aurait dû le quitter… Peut-être était-ce mieux ainsi. Ils n’auraient jamais pu être ensemble, puisqu’ils étaient un humain et un Dieu… Ils n’étaient tout simplement… pas fait pour être ensemble.
Et alors que cette idée finissait d’achever les derniers lambeaux d’esprits qui se battaient pour rester en vie, un éclair doux traversa son corps. Theos resta interdit un instant. Il avait senti son corps, comme s’il était… encore en vie ?
Il sentait ses muscles, son épiderme, peut-être un battement de coeur, un souffle qui s’échappe de sa gorge. Mais le silence et le néant revinrent. Peut-être n’était-ce que le dernier sursaut de sa vie qui s’échappait lentement ? Pourtant, le courant revint, doux, et plus long. Il était chaud, traversant son corps pour y semer une poudre d’étincelles, de feu. Il réveilla son corps, sa vie…
Theos sentit peu à peu les sensations revenir, plus exactes, plus précises, de plus en plus vraies et réelles. Une soudaine frénésie s’empara de lui à l’idée qu’il n’était pas mort, qu’il retrouvait le contrôle de son corps ! Le courant devint plus fort, brasier entre ses reins, flots de lave remplaçant son sang. Il se sentait ivre, ivre de sensations, ivre de vie…
Et sans même y penser, il ouvrit les yeux. Sa vision était floue, trouble, il ne voyait pas bien… Mais il entendait. Une voix, toute proche. Cette langue qu’utilisait Nah’Skaar, et qu’il ne comprenait pas… Et pourtant, il en captait soudainement le sens, comme si son esprit avait changé, grandit, et que ce cours laps de temps aux portes de la mort l’avait doté d’un don particulier.
Il sentit une caresse sur sa joue, reconnu la sensation de l’eau autour de lui, de l’air doux qui effleure son visage et des tentacules de son Dieu, plus doux que du velours.
Sa vue se précisa peu à peu, le voile qui la couvrait se leva, et il pu enfin plonger dans les yeux jaunes doux et inquiets de l’être qu’il aimait.
-Theos…
Le blond gémit en réponse, les larmes aux yeux. Il voulait le prendre dans ses bras, le serrer contre lui et ne jamais le lâcher ! Mais son corps ne voulait pas lui obéir ! Nah’Skaar sourit, attendrit, rassuré, et fit ce qu’il souhaitait.
Theos soupira de soulagement en sentant sa chaleur, son coeur battre contre le sien, son souffle dans son cou, ses caresses… Il gémit un peu, sentant des fourmillements dans son corps, comme s’il était resté trop longtemps dans la même position.
-Comment te sens-tu ? Souffla Nah’Skaar avec un air inquiet.
Le blond se blottit un peu plus contre lui, fermant les yeux.
-Je ne sais pas… Que s’est-il… passé ?
Sa voix était rauque, hachée. La tête lui tournait un peu. Son corps retrouvait progressivement ses sensations mais il avait l’impression qu’il recevait trop d’informations. Ses sens étaient exacerbés, il pouvait voir des détails qu’il n’avait jamais remarqué, des couleurs qu’il ne pouvait pas nommer… Il pouvait entendre les ondes d’eau, les mouvements au fond de la mer, et tout son corps était terriblement sensible. Des odeurs inconnues arrivaient à ses narines… Il se sentait un peu perdu, différent.
-Tu es mort, lui apprit difficilement Nah’Skaar.
Theos écarquilla les yeux. Il n’avait donc pas rêvé ? Mais pourtant sa poitrine était intacte, aucune flèche ne la traversait, il n’avait aucune blessure… Quoi qu’en y regardant de plus près, sa peau avait une légère teinte plus dorée, et il y avait une petite arabesque d’or qui s’enroulait au niveau de son coeur.
Il l’effleura du bout des doigts et Nah’Skaar sourit. Ce n’était pas du maquillage, la trace était encrée dans sa peau…
-Mais alors… qu’est-ce que je fais ici ? Souffla Theos sans comprendre.
Le Dieu le serra contre lui, un sourire ému sur le visage.
-J’ai utilisé mon Unique Souhait pour… lier ta vie à la mienne.
Le souffle de Theos se coupa dans sa poitrine. Quoi ? Il avait quoi ?
-L’idée de te perdre m’était trop insupportable, avoua Nah’Skaar en posant son front contre le sien.
Theos balbutia des mots inintelligibles, trop choqué par cette nouvelle… Trop heureux, trop fou. Des larmes roulèrent sur ses joues et il resserra son étreinte sur les épaules du Dieu, répétant son nom en boucle, lui confiant qu’il l’aimait, le suppliant de le garder près de lui, n’osant croire à ce qu’il entendait… Nah’Skaar le rassurait, le caressait, l’aimait…
-Mais alors je suis…
-Un Dieu, oui.
Le blond écarquilla les yeux une nouvelle fois et sentit à peine le baiser de Nah’Skaar sur ses lèvres.
-Ton corps est légèrement différent, plus fort, plus sensible… Et tu peux comprendre ma langue originelle Theos…
-Mais pourquoi ? Balbutia-t-il.
Nah’Skaar sourit et l’embrassa en caressant son corps, le serrant fort contre lui.
-Et pourquoi pas ?
Theos fit la moue alors que les larmes lui montaient aux yeux et le Dieu rit doucement. Il ne pensait pas entendre cette phrase une nouvelle fois. Cette question minime mais qui contenait tant de choses. Ces petits mots qui représentaient tant pour eux. Ils étaient un homme et un Dieu qui s’aimaient ? Alors pourquoi ne pas tout simplement faire de lui un Dieu ? Pour qu’ils puissent s’aimer sans contraintes…
Nah’Skaar embrassa son front, se pencha pour poser ses lèvres sur sa poitrine et lécher le petit dessin d’or. Cette marque qui indiquait le nouveau statut de Theos, qui montrait qu’il était un Dieu. Un Dieu comme lui… Plus rien ne les séparait. Plus rien ne les retenait. Nah’Skaar ferma les yeux un instant, alors que Theos ne savait même plus quelle réponse il attendait.
Il se perdit dans les yeux de l’être qu’il aimait depuis qu’il l’avait rencontré, simple petit garçon curieux, qui avait eu la chance de rencontrer l’être le plus beau, le plus bon et le plus sage qui existait au monde. Nah’Skaar planta ses yeux dans les siens, se noyant dans la complexité de cette âme qui l’avait séduit si vite, par sa curiosité, son obstination, sa tendresse, sa beauté pure, sauvage. Il caressa sa joue, récupérant les larmes qui avaient roulé sur sa peau, et ouvrit la bouche, offrant à Theos la réponse qu’il souhaitait, la prière qu’il n’avait jamais formulé, mais dont il rêvait si fort…
-Parce que je t’aime, mon petit Dieu…
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