Je ne suis plus personne ! (nouvelle)
Samedi soir de match d'improvisation théâtrale, dans l'espace dédié au spectacle, à la MJC de Rambouillet.
Juste avant de monter sur scène, l'estomac tourmenté, j'attendais dans la salle, entre le public et l'estrade.
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La pièce affichait complet, moins d'une centaine de personnes, chacune munie d'un papier carré aux faces de couleurs opposées et d'une pantoufle. Un flux de jingles, sortant d'enceintes monstrueuses, jouait les intermèdes entre chaque manche. Une mi-temps permettait à tous de prendre un verre au bar ouvert en arrière-scène.
L'occasion de passer une très bonne soirée.
L'arbitre au milieu de l'estrade, équipé d'un sifflet et d'un palet, égrenait les thèmes et les contraintes de mise en scène et de temps, de trois à cinq minutes pour chaque défi. Vêtu d'une tenue à damier, il ressemblait à s'y méprendre aux joueurs de hockey sur glace.
Bien qu'extérieur à l'expression scénique, il n'imitait en rien ces figurines en céramique que l'on exposait dans une vitrine. Tout au contraire, son rôle s'avérait prépondérant car il déterminait le gagnant de chaque manche. Pour ce faire, il devait se fendre d'un rapide commentaire, souvent drôle, pour énoncer par le menu ce qui présidait à son choix final, surtout s'il infligeait une pénalité.
Parfois le public n'abondait pas dans son sens. Le papier de couleur permettait de désigner l'équipe qui obtenait sa faveur et si l'arbitre ne suivait pas, il recevait alors une bordée de pantoufles sur le visage pour avoir osé poignarder celle plébiscitée par les spectateurs.
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À l'origine, pour la petite histoire, ce type de spectacle provenait de Montréal au Québec, apparu au cours des années soixante-dix.
Robert Gravel et Yvon Leduc s'inscrivirent comme les précurseurs en créant la Ligue nationale d'improvisation (LNI). Acteur et comédien de formation, ils supportaient de moins en moins ces soirées où les gens se gavaient de pop-corn tout en regardant à la télé. Ou s'entassaient dans des complexes de sport, pour suivre des matchs très physiques de Hockey sur glace. Ce faisant, ce public désertait tous les lieux culturels de théâtre et de spectacle.
Alors ils innovèrent, après une nuit de beuverie, en proposant un compromis des deux.
Sur le principe, deux équipes de comédiens, se distinguant par une chasuble colorée de Hockey s'affrontaient, en usant de l'esprit et du corps. Évoluant dans une sorte de baignoire, les contours de celle-ci ressemblait à s'y méprendre à la lisse dressée autour des aires de patins à glace. Sans autre accessoire que ce vêtement distinctif, chaque team devait, suite à un délai de réflexion de vingt secondes, répondre au thème et aux contraintes éventuelles. Il s'agissait alors d'envoyer sur scène un ou plusieurs de ses membres en proposant une improvisation.
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Deux expressions, deux stratégies, se percutaient, se rencontraient, s'entrelaçaient d'un seul coup.
Cela entraînait presque à chaque fois des fous rires, sur scène et dans le public. Imaginez un instant les quiproquos qui naissaient, les inventions géniales dont chacun faisait preuve et parfois aussi les grands moments de solitude où tout un chacun pouvait se retrouver plongé.
Un décor invisible se dressait au fil de l'épreuve, improvisé par le jeu des acteurs, mais tout de même réaliste. Le lieu prénait corps au fur et à mesure des évènements qui se déroulaient, chacun suspendu fragile à une histoire éphémère et volatile.
Une création impossible à rejouer.
Chaque fil de récit s'étirait pour donner un rendu incroyable. Certains membres d'équipe, tels des jokers, favorisaient par un talent inné, ce type de spectacle. De leur simple présence et de leur expression corporelle et scénique, ils apportaient une qualité formidable à l'issue de chaque épisode. Car certains comédiens détenaient cette capacité épatante de trouver une chute, comme dans l'écriture d'une nouvelle.
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Dans ce type de spectable inattendu, chacun pouvait parler, bruiter, clamer, chanter. Aucun texte à réciter de mémoire si ce n'était les hymnes que chaque équipe devait réciter en début de rencontre. Et bien sûr, pas de mise en scène à respecter.
Tout ce les uns proposaient devait être respecté à la lettre par les autres.
Dans ce genre de théâtre, le jeu de rôle, d'acteur devenait la seule règle. Aussi était-il interdit de refuser. Car un non équivalait à un blocage. Ce qui allait totalement à l'encontre de l'esprit du jeu.
De même, nous n'avions pas la possibilité de retirer la chasuble, costume distinctif d'équipe avec le nom d'acteur porté dans le dos par un Velcro. On était en quelque sorte nus. Mais nous pouvions simuler de nous habiller de tous les accessoires que nous improvisions, devenant tour à tour, chevalier, princesse, guerrier, flic, ivrogne ou architecte.
L'intérêt consistait à le rendre crédible, à le faire croire au public.
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Alors que le public baignait dans une enceinte d'ébène, cet espace vivant, éclairé par de puissants spots, accentuait l'expression des acteurs. Dans leur dénuement, ils donnaient le meilleur d'eux-mêmes, prêts à vivre et mourir sur scène.
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