Partie 2

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Partie 1 ici : https://www.scribay.com/text/1164771776/du-bitume-et-des-cendres/chapter/120150

Je ne sais pas combien de temps j'attends, là, misérable. Le sablier est complexe à mesurer quand il s'écoule en pluie battante dans son dos. Mes bras me couvrent le visage, couvent une poche d'air où, malgré tout, les grains s'infiltrent. J'envie les manifestants qui ont droit au canon à eau. Ils se prennent un KO technique, mais au moins ils ont de l'eau. De l'eau. Est-ce que j'en ai là où je suis ? Mon immobilisme est davantage dû à mon corps complètement endolori qu'à la puissance de la tempête. J'ai dû la traverser sur mon transat.

Pour ne pas paniquer, meubler ma patience, je somnole encore un instant. Parfois, les muscles de mes jambes se rappellent à moi quand je change de position. Malgré les vêtements épais qui me couvrent des pieds à la tête, j'ai l'impression qu'une cuisse est brûlée. Et avec tout cet acide lactique qui me congestionne le corps, je dois être au moins autant toxique que ce cactus, qui s'est tenu sage depuis que j'ai coulé derrière. Sa présence m'assure qu'on n'est pas dans un erg. C'est déjà ça. Un refrain me vient en tête, puis s'y répète de façon virale. "Quand je suis revenu de Zanzibar", sous un air enchanté. Mais impossible de me rappeler la suite. Je suppose que j'ai fini par m'endormir d'épuisement, parce que la musique s'est arrêtée en même temps que la tempête.

Ma main gantée se détache de ma tempe comme un oeuf trop cuit d'une poêle sans beurre. La lumière m'aveugle instantanément, je dois fermer les yeux en me tortillant pour récupérer la conscience de mon corps, puis de ma position. Même avec des paupières, c'est trop fort. Je me protège dans mon coude en me bombardant petit à petit de flashs. Avec la pratique, l'attaque se fait dégressive. J'envisage même de bientôt y voir. En attendant, l'ombre du cactus me sert de repère.

Je pousse le sol de mon bras libre en serrant les dents pour gérer tous les noeuds dans les cordages de mes tissus. L'épaule sera bonne pour une révision et vu son état, j'aurai droit à la franchise. Malgré le sec de l'air, cesser de respirer les perles d'eau condensée dans le creu de son coude fait du bien. Entre deux gémissements, je parviens à m'asseoir en tailleur. Ma tête balote comme un drapeau en berne. J'ouvre les yeux pour fixer le sol encadré de mes jambes. Du sable. Comme c'est étonnant. J'essuie la pélicule flue qui m'empêche d'en distinguer les grains. Les cristallins se contracte comme un visage de bébé qu'on a piégé avec sa première bouchée d'épinards. Je cligne. Je récupère. Je prends mon temps. Et l'ouïe me semble revenir pour écouter le silence.

Si un léger fond sonore de ventilation n'accompagnait pas le bruit de frottements de mes vêtements, je pense que je pourrais entendre mon coeur battre. Je le sens, là, tambourriner en lentes, mais puissantes secousses sous ma combinaison en aramide thermostable. Il fait trop chaud. Même si je lézarde et que le soleil a déjà grillé son zénith aujourd'hui, je vais me dessécher en restant là. Avec la bougonnerie d'un étudiant à son premier jour de rentrée, je me force à m'animer. La colonne de fumée que le sable a failli éteindre m'indique ma prochaine destination.

Après avoir recouvert mon visage d'un foulard, je me lève, me bouscule, puis claudique vers le site du crash. Aucune trace de mon parachute. J'imagine qu'il aura profité de la tempête pour jouer à la méduse ailleurs. De toute façon, je ne vois pas comment j'aurais pu le transporter. J'arrive déjà à peine à tenir debout.

Chaque pas est une victoire, chaque mètre une escale. Mon regard se focalise sur l'appareil déchiré qu'un lévrier atteindrait en moins de dix secondes. Moi, il me faudra une bonne heure.

" Une jambe après l'autre " dirait Ian. Idiot. Avec tes phrases toutes faites, que tu penses plus efficaces parce tu les lances avec ton sourire de simplet. Toi, tu ne crapahutes pas dans ce désert comme un escargot sur un rebord de trottoir. Toi, tu dois être en train de t'éclater à Copenhague, Hong Kong ou sur une île crétoise. Et tu les adores, ces cocktails hors de prix, c'est "le seul moyen de comprendre comment on vit, ici". Tu veux une autre vie, Ian ? Goûte la mienne une heure, peut-être même une journée.

J'atteins la carcasse de l'hélicoptère. C'est une grosse poire dans laquelle on a glissé un pétard interdit à la vente. Mais tout ce qui devait exploser à explosé. Je me repose quelques minutes sur le siège du co-pilote déboîté. Quand le soleil se fera plus orange, je chercherai des vivres. Tandis que mon corps se refroidit un peu, je regarde le pilote inerte à côté de moi, mort bien avant d'avoir touché le sol. Bien avant d'avoir atteint le Bélize.

"On revient toujours sur les lieux de son crime, j'ai pas raison ? " Je le regarde encore un peu, comme si j'attendais une réponse. Puis, la rengaine revient. Je ne la fredonne qu'en pensée. Quand je suis revenu de Zanzibar...

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