Elizabeth

Cassidy tapote mon épaule pour me sortir de ma léthargie. En effet, je suis encore devant le tableau d’affichage alors que la plupart des élèves ont déserté les lieux.

- Je savais que tu allais y arriver ! me félicite-t-elle.

- J’ai beaucoup de mal à y croire, je me confie en détournant les yeux de la feuille blanche.

- Pas moi ! S’exclame-t-elle. En revanche, je ne sais pas qui est ce Jason Wright.

- Moi non plus et je ne vois pas qui cela pourrait être.

- Surement un gars qui cache ses notes aux autres pour ne pas entrer dans la catégorie des élèves brillants, hypothèse mon amie.

Cassidy m’entraine hors du bâtiment de Sciences déjà évacué par les étudiants. Je suis vraiment heureuse de faire partie des élus pour aller à la Convention. C’est une opportunité unique pour mon avenir professionnel.

Nous nous installons à la bibliothèque pour continuer nos exercices à rendre à la fin du semestre. Le professeur avait un rendez-vous important et nous a laissé sortir une heure avant la fin du cours. Le premier service du self ne commence pas encore et nous avons le temps de travailler avant de nous restaurer.

Mon téléphone portable émet le bip caractéristique des mails. Lorsque je regarde mon écran, mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Le professeur Grayson m’envoie un courriel de son adresse personnelle.

Chers étudiants,

Je vous félicite pour vos efforts et vos résultats obtenus durant vos deux premières années. Votre performance vous octroie le privilège de participer à la première édition de la Convention sur l’Espace et l’Astronomie qui se déroulera du vendredi 5 décembre au dimanche 7 décembre. Vous devrez malheureusement être absent aux cours du jeudi et du lundi qui constituent nos jours d’arrivée et de départ à Washington par avion. Nous logerons dans un hôtel privatisé pour la Convention et vous devrez verser une somme de deux cent livres de participation pour notre séjour. Le reste est généreusement pris en compte par l’université. Concernant le matériel particulier à apporter, je vous conseille de prendre de quoi écrire des notes et une tenue de soirée car la veille de notre départ aura lieu une cérémonie de fermeture. Je tiens tout de même à préciser que c’est un voyage pédagogique et nous ne sommes pas là pour faire du tourisme.

Bien à vous,

Le professeur Timothy Grayson du département de Sciences Physique

Je ne peux m’empêcher de sourire. Je reconnais bien dans cette dernière phrase le comportement rigoureux et prévenant de l’enseignant.

- Pourquoi tu souris comme ça ? chuchote Cassidy en se penchant vers moi.

- Je viens de recevoir un mail du professeur concernant la Convention, j’explique en lui montrant le message.

- Tout à fait son genre, remarque mon amie après l’avoir lu.

Je me replonge dans la lecture de mes cours pour être sûre de maitriser toutes les notions complexes que je dois acquérir pour le semestre.

Peu avant midi, nous rejoignons l’un des restaurants universitaires pour manger. J’aimerais tellement prendre l’avion demain pour partir sur un autre continent et voyager dans le monde entier pour assister à des conférences.

- Tu es en train de rêver, constate Cassidy en me tapotant le bras.

- Ça me tarde de découvrir Washington, je lui confie.

- Je tiens tout de même à préciser que c’est un voyage pédagogique et nous ne sommes pas là pour faire du tourisme, récite mon amie en prenant une voix masculine pour imiter le professeur Grayson.

Je ne peux me retenir d’éclater de rire face à cette imitation plutôt proche de la réalité. Il faut dire qu’elle a des talents d’actrice.

- Je savais que j’aurais dû continuer le théâtre, s’écrit-elle en remuant sa fourchette dans son assiette.

Nous n’avons pas le temps de développer nos talents d’imitation car le cours d’informatique ne va pas tarder à commencer. Le professeur a décidé d’inverser le créneau des travaux dirigés et du cours magistral qui se passe de toute façon dans une salle et non un amphithéâtre.

- Je ne comprends pas comment coder l’information, je râle en indiquant à mon amie où je rame.

- Je sais que tu n’as pas l’habitude d’avoir des lacunes mais s’il te plait fait un effort dans cette matière. Il te suffit de regarder dans ton cours car tout est expliqué à l’intérieur.

Je regarde les fiches que le professeur nous a distribué et je me rends compte de mon idiotie avant la fin du cours. J’ai intérêt à me rattraper dans les calculs que je vais devoir fournir au professeur à la fin de la journée.

En me dirigeant dans l’aile de Sciences Physique, je remarque que la porte du professeur est légèrement ouverte. Lorsque je pénètre à l’intérieur, je suis pétrifiée par le bazar qui règne dans la pièce. Des feuilles sont étalées sur le sol, des classeurs sont éventrés et la moitié des livres sont tombés de leur étagère.

- Quelqu’un a forcé la porte, m’indique la voix grave du professeur dans mon dos. J’ai signalé cette infraction à la direction.

- Mais… c’est abominable, je bredouille en posant mes affaires sur ma table.

- Ce n’est pas la première fois que ça arrive, poursuit-il le regard peiné. Lorsque j’effectuais des recherches dans un centre spécialisé, quelqu’un est déjà venu trois fois dans mon bureau et je n’ai jamais su qui c’était. Dans ce cas précis, je pense qu’il doit s’agir d’un étudiant qui veut se venger d’une mauvaise note.

Le professeur a retiré sa veste de costume et se penche pour ramasser les feuilles qui trainent au sol. Son visage habituellement fermé laisse tout de même entrevoir des yeux tristes qui me fendent le cœur. C’est la première fois que je le vois aussi affecté. D’habitude, il ne laisse rien paraitre devant quiconque.

Je me baisse à mon tour pour l’aider à ramasser les papiers. Seuls les bruits de frottement répondent au silence qui s’installent entre nous. Grayson s’attèle ensuite au tri de ces feuilles tandis que je remets de l’ordre dans sa bibliothèque. Je me rappelle exactement où étaient rangés les livres et je suis sûre de ne pas faire d’erreur.

Au bout de quelques heures, nous finissons enfin de ranger le bureau du professeur. La nuit est tombée et on dirait que personne n’est jamais entré par effraction dans la pièce.

- Merci beaucoup pour votre aide, soupire le professeur Grayson en me lançant un sourire crispé.

- Je ne me voyais pas vous abandonner dans une situation pareille, je me sens obligée de me justifier.

- Et félicitations pour votre admission à la Convention, poursuit-il.

- C’est grâce à vous si j’ai obtenu une aussi bonne note au contrôle, je bredouille gênée.

- Non, c’est grâce à votre travail régulier et à votre persévérance.

Je m’apprête à partir mais le professeur m’arrête en levant la main.

- Vous avez passé beaucoup plus de temps que nécessaire au bureau. Laissez-moi vous inviter au restaurant pour vous remercier.

Le regard du professeur Grayson est si pénétrant que je n’ose pas refuser cette invitation. Je hoche timidement la tête puis je prends mes affaires pour suivre l’enseignant.

D’après le chemin qu’il emprunte, nous revenons au même établissement que la dernière fois. Je suis rassurée de me retrouver dans un endroit qui ne m’est pas inconnu.

Lorsque nous nous sommes installés le professeur rompt enfin le silence qui s’est installé entre nous. Etant donné que je ne suis pas une grande amoureuse des conversations platoniques, son comportement ne me dérange pas.

- Je suis désolé si l’état de mon bureau vous a choqué.

- C’est que… pour moi un bureau c’est quelque chose d’intime. Je ne pensais pas que quelqu’un puisse avoir envie de saccager votre travail.

- Pas d’inquiétude, celui qui est entrée n’a visiblement pas trouvé ce qu’il cherchait car rien n’a été volé. Je garde la correction de mes contrôles dans un endroit bien plus sécurisé que ça.

- J’espère que le coupable va être retrouvé, je conclu en baissant les yeux.

- Les caméras nous le diront peut-être mais si jamais le mystère n’est pas résolu, je ne vais pas en faire une montagne.

- Vous voulez dire que vous n’allez pas porter plainte ? je demande en relevant subitement la tête vers l’enseignant.

- Non mademoiselle Davinson, se contente-t-il de dire.

Le professeur oriente ensuite la conversation vers des sujets scientifiques. Je suis heureuse de partager cela avec un homme aussi brillant. Lui aussi semble content de nos échanges d’érudits et ses yeux brillent d’émotion quand il m’écoute parler. Je suis soulagée qu’il se comporte de manière plus expressive.