La dernière métropole du monde
Alors que l'instant d'avant il se voyait encore marcher sur les plaines sans fin, il se retrouva dans un rêve. L'horizon disparut et un brouillard noir comme la nuit prit l'univers en otage.
La silhouette noire d'un dieu se découpa sur le fond d'inexistence. Il était haut comme trois hommes, revêtu d'une longue robe noire, avait une tête ronde et hideuse pourvue d'une grande bouche aux crocs pointus. Il avait les mains jointes sur son ventre et il contemplait le voyageur avec un regard avide.
- "Je suis Kor Mephron, haut seigneur de la cupidité."
L'homme devant lui trembla en disant:
- " Un haut seigneur? Jamais entendu parler. C'est quoi au juste?
- Pour toi… disons que je suis un dieu extraterrestre. C'est une notion que tu peux appréhender?
- Hum. Peut être.
- Si tu veux tout savoir, je fais partie d'un panthéon d'entités maléfiques. Après avoir tué tout ce qui était bien dans notre monde, nous sommes partis mettre un pied dans celui des autres.
- Qu'est ce que ça veut dire ça?"
Le sourire de Kor Mephron se fit plus insistant.
- "Pour avoir un pied dans ton monde il me faut et suffit d'exaucer le vœu d'un individu au hasard, de préférence un être capable d'avoir des vœux et de savoir ce qu'est la cupidité.
- Qu'est ce à dire?
- Un humain.
- Oh…
- Je t'ai choisi au hasard. Je peux exaucer un de tes souhaits, n'importe lequel.
- Vraiment?
- Oui. Dis moi et j'exaucerai.
- Alors… je pourrais faire le vœux de pouvoir bander tellement fort que…
- Non!
- Ah… euh… alors faire le vœu de pouvoir…
- Non!
- Alors celui de…
- Non!
- Sinon…
- Non!
-…
- Non plus, non!" Il poussa un soupir. "Bon sang tu n'es pas capable d'imaginer quelque chose de correcte? Aies un peu d'amour propre bon sang! Demandes moi quelque chose qu'il ne me paraisse pas indécent d'exaucer!
- Hum… j'aurais bien une idée…
- Mais?…
- Hum. Bon! Celle là me parait bien mais… ça va peut être vous paraître un peu égoïste.
- Bah. Dis toujours. On est pas à ça près.
- Bon, mais je vous le chuchote à l'oreille. Ça vous va?
- "Hem. Si ça peut te faire plaisir."
La silhouette colossale du dieu se pencha en avant et l'homme lui murmura quelque chose à l'oreille.
Kor Mephron se redressa avec la mine dépité.
- "C'est possible ça?" Demanda l'homme.
- "Oui oui. C'est possible. Dans le cadre des souhaits je ne connais plus aucune limite. Seulement c'est… comment dire? Je suis surpris. Enfin.
- Si vous acceptez, qu'est ce que je dois faire?
- Rien. Je m'occupe de tout. Mais, un dernier détail: as tu un nom en tête?
Les légions titanesque de Mordanaan défilaient en chantant l'hymne martial au son des voix de milliers d'hommes et de femmes glorifiant la candeur et la puissance de leur cité. Les chars blindés avançaient lentement, les canons relevés. Les soldats brandissaient partout d'immenses drapeaux mauve avec imprimé dessus des portraits du maire, le grand et vénéré Joseph Pravda.
Depuis une tribune majestueuse en or et en obsidienne, les hauts dignitaires du gouvernement en uniformes d'apparat admiraient le défilé. Au milieu d'eux, bien en vue, le grand Joseph Pravda, baignait la foule de son regard bienveillant. C'était un homme de taille moyenne, de morphologie svelte, avec un visage allongé taillé à la serpe, une épaisse moustache cachant sa bouche, et de petits yeux plissés. Ses cheveux noirs étaient coiffés en une grosse tignasse grasse. Son regard se portait sur le défilé avec joie et fierté.
Les soldats passèrent. Puis après eux, les policier étaient à l'honneur dans leurs uniformes blancs immaculés avec leurs casquettes marquées du logo doré du glaive transperçant un croissant de lune, symbole politique de l'état de la cité de Mordanaan. La foule en liesse qui acclamait les soldats perdit un peu en allégresse à la vue de la police politique. Mais leur joie atteint son comble quand défilèrent les brigades des partisans, jeunes volontaires fanatiques qui défilèrent en masse en souriant à la foule et en fredonnant l'hymne de la cité. Puis passèrent des chars de carnaval au caractère plus festif. Ils étaient généralement peints en mauve ou en violet et décorés avec des armes factices, des guirlandes de fleurs en plastiques, et des acrobates bondissaient de char en char en exécutant de grandioses figures humaines pour démontrer la supériorité des gens de Mordanaan.
Une immense tour en tiges de métal fut placée à toute vitesse au milieu de la place, et une femme monta à son sommet pour dire un discours à la foule. C'était une jeune journaliste, exaltée par cette occasion d'être entendue. Le silence se fit dans la foule, et tout le monde, même les hauts dignitaires du gouvernement et Joseph Pravda lui même écoutèrent respectueusement ce que l'humble femme avait à dire.
- "Camarades!" Dit elle. "C'est un honneur pour moi de me faire aujourd'hui la porte parole de notre commune. Et en tant que représentante du peuple, je tiens à profiter du grand jour de la fête de notre belle cité pour dire haut et fort mon amour pour le Camarade Joseph Pravda. Notre sauveur et notre guide. Car ici, à Mordanaan, dernière métropole du monde, dernier bastion de la civilisation face à la barbarie, l'ignorance et la tyrannie des hauts seigneurs; c'est au camarade Pravda que nous devons notre survie. C'est lui qui nous garde et nous protège, physiquement et spirituellement. Il est le gardien de la cité et de nos âmes à tous. Il est le cœur de notre ville, et chacun d'entre nous a besoin de son souffle pour pouvoir respirer. Si nous sommes ici réunis en ce jour, c'est pour célébrer notre belle cité, mais surtout pour rendre hommage à notre maire vénéré, Joseph Pravda. C'est lui qui a battis notre ville, lui qui en assure la garde constante, lui qui a toujours su repousser les assauts des sauvages et les menaces insidieuses de leurs dieux impies. Joseph Pravda et Mordanaan ne sont qu'un, la ville ne saurait exister sans lui. Il est notre dirigeant avisé, notre maire dévoué, il est le rempart humain de notre citadelle. Seul héros de la fondation, et seul responsable de notre survie. Il est aussi le gardien de notre prospérité. C'est lui, Joseph Pravda, l'artisan de notre réussite. C'est lui qui a redressé notre économie, préservé l'industrie, et c'est grâce à lui que nous pouvons tous manger à notre faim et survivre dans ce monde hostile. Pour la gloire de notre cité, et pour célébrer notre réussite, je ne peux qu'acclamer bien fort et du plus profond de mon cœur, le héros de Mordanaan, Joseph Pravda! Longue vie au camarade Pravda l'éternel!"
Et la foule en liesse cria de joie, agitant des drapeaux et des banderoles mauves. Les hauts dignitaires du gouvernement applaudissaient ce discours, tandis que Joseph Pravda était ému par cette sincérité.
Puis la foule vint se poster devant la tribune en acclamant le maire. Celui ci leur sourit d'un air bienveillant, puis il sortit un papier de sous sa veste. On lui apprêta un micro, et il parla de sa voix suave marquée par un fort accent.
- "Mes chers camarades, citoyens et citoyennes de Mordanaan, sachez d'abord que je suis ému par le discours de la camarade Catheriza qui vient de nous parler avec une franchise qui fait chaud au cœur. Nous avons tous agi de concert pour maintenir la prospérité de notre cité, et c'est avec une joie non dissimulée que je vais maintenant procéder à l'annonce des chiffres de notre production pour cette année.
Notre production de blé et d'orge a quadruplé en l'espace d'une année grâce à l'utilisation de nouveaux équipements plus efficaces, passant de soixante mille tonnes à deux cent mille tonnes. Les élevages ont produit soixante dix millions de poulets, six cent quatre vingt millions d'oeufs, seize millions de bovins, quatre vingt millions de moutons, et sept million de saumons. Nos extracteurs de pétrole et de charbon méritent toute notre admiration, eux qui ont, grâce au nouveau plan mis en place, décuplés les chiffres par rapport à l'année dernière. La construction de notre troisième centrale nucléaire est en cours, et nous estimons que d'ici quelques mois nous aurons doublé notre production d'électricité, répondant ainsi largement aux besoin de tous les habitants et nous assurant en plus des réserves conséquentes en cas d'urgence. Nos moulins sont désormais six cent soixante à fonctionner à plein régime. Nous avons pu ériger une quarante deuxième ligne de barbelés électriques tout autour de la péninsule de Mordanaan et renforcer ceux de la cité même avec un nouveau système plus efficace. Nous avons pu fabriquer cette année vingt deux nouveaux hélicoptères de patrouille, quatre léviathan, six cent chars, sept cent canons à plasma, sept mille canons baliste antiaériens, cent quarante mille mortiers, quatre vingt dix canons démolisseurs, sept cent quatre vingt mitrailleuses massives, six cent cinquante canons à lasers, six cent tourelle tesla, quatre mille tourelles automatiques, et sept cent mille drones de combat. Le tout avec quatorze millions de missiles, deux milliards d'obus, sept cent millions d'obus chimiques, huit cent millions d'obus à fragmentation, six cent millions de projectiles incendiaires, quatre vingt mille grenades, et quatre bombes atomiques. Sans oublier à un niveau plus humains; deux cent mille uniformes complets, quatre cent mille armures de combat, sept cent mille mitraillettes, vingt mille mitrailleuses, et toutes les munitions qui vont avec. Ce succès incroyable a été rendu possible en une seule année grâce à notre nouvelle politique de production et par la multiplication des usines. Quels que soient les armées ou les hordes sauvages que les haut seigneurs enverrons sur nous, nous les pulvériserons en un rien de temps. La victoire nous est déjà acquise. Mordanaan rayonne toujours et rayonnera encore autant dans dix mille ans."
La foule cria de joie, les hommes et les femmes du peuple agitèrent leurs drapeaux frénétiquement, et ils se mirent tous à applaudir les résultats de cette année. Ils applaudissaient avec une grande joie, fredonnaient l'hymne de la cité, criaient des: "Longue vie à Joseph Pravda l'éternel, et longue vie à Mordanaan la dernière métropole du monde." Ils applaudissaient tous, et les hauts dignitaires du gouvernement aussi, et Joseph Pravda aussi.
Tous ces chiffres étaient faux. Pas un seul n'était réel. Pour cacher la défaillance du système et l'échec de sa nouvelle politique, le gouvernement annonçait des chiffres inventés. Joseph Pravda mentait à tout le monde. Mais tout le monde l'applaudissait. Ils savaient qu'il mentait, mais ils applaudissaient tout de même, maintenus dans la peur comme ils étaient. Il savait qu'ils savaient qu'il mentait, mais pourtant il était tout content de les voir applaudir. Ainsi en était il à Mordanaan, ainsi en était il depuis des siècles; depuis que Joseph Pravda, dit l'éternel, avait fondé la dernière métropole du monde. Il était le plus infâme dictateur du monde. Il était le maire le plus incompétent qui soit. Il était le bourreau d'une grande terreur qui menaçait constamment le peuple. Il était le meurtrier de millions de gens. Et il était le dernier rempart de l'humanité face au chaos. Le maire de la dernière métropole du monde.
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