3. Défi à tenir!
Jules Édouard monte dans le train avec son vélo. A la gare du Nord, il embarque le vieux vélo anglais stylé, et le train s'ébranle. Le long des rails, Jules regarde les immeubles du 18ème défiler...
Le faisceau des rails va s'élargissant et forme un entrelacs de métal en pleine ville, définissant un espace urbain inaccessible. Il croise le regard de plusieurs passants appuyés sur une rambarde et regardant passer les trains tels des ruminants humains.
Le train sort de paris, traverse des banlieues et des banlieues. Petit à petit, les immeubles disparaissent pour faire place à un paysage de petits pavillons de tous styles. On passe dans un univers à la Tardi, qui aime croquer la banlieue dans ses BD, maisons en meulière et petites rues en noir blanc. C’est ainsi que Jules a découvert les pérégrinations du détective Nestor Burma, en tombant sur les BD dans l’appart de Gauthier.
Les pavillons se diluent ensuite dans une espèce de campagne étrange, qui n’est plus vraiment la ville, mais pas tout à fait une campagne. Et enfin on traverse une forêt. Chantilly.
Jules sort de la gare. Enquille la rue d'en face et peu de temps après, il sonne au portail de Fanny Picart.
- Bonjour, je suis enquêteur privé chez Legall Détective. Nous sommes mandatés par Maitre Raymond pour éclaircir l’agression de Mme Van Loewen, je peux entrer ?
- Non, je l'aime pas ce vieux porc.
Une jeune femme, grande et filiforme, se tient tendue sur le perron de sa maison, elle défie du regard, mais n'a pas l'air agressive, juste déterminée. Sa maison est un simple rectangle sans style, sans étage, mais avec un petit air anglais. Trois marches mènent à l'entrée et elle le surplombe.
Jules se tient devant la porte d'un jardinet qui fait tampon avec la rue, une rue calme, voire très calme se dit-il, en jetant un coup d'œil sur la chaussée vide...
- Bon, on peut parler ?
– Oui ici, dehors.
– Écoutez, je viens de rester assis 30 minutes dans un train, ça ne vous dirait pas de parler en marchant ?
Ça lui dit, et elle opine. Il jette un coup d'œil à son vélo et lui demande :
- Je peux laisser mon vélo ici ?
- Oui, dans le jardin
- ça craint pas ?
– On n'est pas à Paris ici, rien ne craint. Vous êtes venu en train ou à vélo ?
– Les deux, j'ai mis mon vélo dans le train.
– Vous êtes un marrant vous...
Ils partent vers la forêt toute proche. On longe un grand Hippodrome qui fait comme un vaste ovale tout vert. Au fond de ce panorama apparait un château.
– C'est quoi ce château ? demande Jules
– Vous êtes venu faire du tourisme ou faire le flicaillon pour le gros Raymond.
– Ni l'un ni l'autre, sourit Jules, mais je suis curieux. Il essaye de se donner bonne figure mais il est un peu mal à l'aise face à cette fille.
De grandes allées sablées s'enfoncent dans la forêt. Ils prennent la première sur leur gauche. On entend des bruits de chevaux et d'oiseaux, c'est sombre sous les grands arbres, mais la fraîcheur y est moindre qu'en plein air où un vent d'automne souffle à décoiffer la mèche rebelle de Jules Édouard.
- Vous vous appelez Fanny Picart, fille de Pierre Picart ?
- C'est pour me demander ça que vous êtes venu de Paris avec votre vélo Monsieur le détective privé ?
- J'aime bien commencer par le commencement, sourit Jules.
- Et vous, c'est quoi votre nom ?
- Jules Édouard Meunier.
- Marrant votre nom, votre famille est dans le chocolat ?
- Non, j'avais un grand oncle plumassier en Afrique du Nord, c’est-à-dire qu’il avait un élevage d’autruches dont il vendait les plumes aux chapeliers parisiens à la belle époque. Je vous raconterai bien son histoire, mais je ne suis pas venu pour ça. Un autre jour, si vous le voulez. Que faisiez-vous dans la soirée du 26 octobre ?
- Je faisais du cheval avec votre grand-oncle.
- Il est mort. Pas comme votre belle-mère Françoise Van Loewen, qui est dans le coma depuis cette date, vous êtes au courant ?
- Bien sûr, une perte pour personne !
- Justement si, Maître Raymond aimerait savoir comment elle a fait pour avoir la mâchoire fracassée avant de se faire un traumatisme crânien et d’atterrir sur le quai du canal Saint Martin. Elle aurait pu finir noyée si un serveur ne l’avait pas aperçu le lendemain matin. Vous avez une idée de ce qui a pu se passer ?
- Shépa, elle a dû tomber sur le quai, je suppose.
- Ouais, elle est sûrement tombée 6 ou 7 fois de suite sur la tête, non ?
- J'en sais rien, moi, y’a combien de marches pour descendre au quai ? J'avais un dîner, avec un ami, faut vous en dire plus ?
- Vous dîniez à Paris, dans un resto appelé Le Verre Volé ou alors à celui de l’hôtel du Nord ?
- Non, à Chantilly, avec un ami véto, de passage ici. On a dîné dans un petit bistrot du coin, ensuite on est rentré chez moi. Vous voulez savoir dans quelles positions on a baisé ? Comme il avait un trop gros sexe pour moi, je me suis contenté de le sucer et lui m'a rendu la pareille. Ensuite, je lui ai dit qu'il pouvait rentrer chez sa femme.
- Très bien, je note, dit Jules l’air de rien. Et votre frère ?
Jules sent la fille se tendre comme un arc. Elle s'arrête instantanément et lui accroche le bras. Il sent un bras musclé qui le retient, et ressent sa tension intérieure. Cette fille est mince mais forte. En elle, il sent une grande détermination.
- Quoi ?
- Vous savez où était votre frère ?
- N’emmerdez pas mon frère, c'est tout que je vous demande. Il est... fragile. Elle le regarde fixement dans les yeux sans relâcher la tension dans son bras.
– OK, alors racontez moi la vérité sur votre soirée.
Elle se relâche. Jules ne bouge pas son bras mais la fixe à son tour.
– Bon, j'ai dîné dans un resto à Paris évidemment, ici, on ne peut pas aller dîner avec un homme sans que toute la ville soit au courant... Mais la fin est vraie, il est venu ici. Et après il est reparti chez lui. En voiture. Je suis même sûre que vous pourriez retrouver des voisins qui l'ont vu partir en pleine nuit. Certains n'ont rien d'autre à faire qu'espionner les autres...
– Vous avez dîné dans quel restaurant ?
– Un resto cambodgien vers l’hôpital saint louis, le Cambodge, c'est son nom tout simplement, on mange très bien, vous avez déjà essayé ?
– Non, c'est pas très loin du canal, c'est ça ?
– Oui c'est cela, mais j'étais accompagné d'un homme, vous vous rappelez ?
– Si je lui demande, vous croyez qu'il s'en souviendra ?
– Haha, je pense que oui, mais comme il est marié, vous pouvez l'appeler en journée, pour rester discretos, vous comprenez... enfin c'est pour lui... parce que moi, je suis libre. Vous voulez son numéro ou le mien ?
Son air effronté et rebelle n'énervait pas Jules. Il en souriait même intérieurement, car il savait que c'était un jeu. Et il aimait jouer. Cependant il sentait que cette fille ne lui racontait pas toute la vérité. Il avait encore l'impression de sa main sur son bras, comme si une pince l'avait serré très fort et avait laissé des marques. Il regarda son bras. Souleva son pull et vérifia s'il n'avait pas un bleu.
– Excusez-moi, vous avez encore mal ?
– Non ça va, vous êtes musclée, c'est votre métier qui fait ça ?
– Si on veut. Je suis désolée, mais je suis obligée de protéger mon petit frère contre les autres. Un rien peut lui faire du mal.
– Je suis navré aussi, mais je vais être obligé d'aller lui poser quelques questions.
Ils étaient arrivés dans une allée à claire voix, où des rais de lumière pénétraient la forêt entre les arbres. Tout était si calme ici. Le sable du sol, assourdissait les sons et rendait une impression ouatée. C'était agréable. Jules se sentait bien.
Fanny n'était plus tendue désormais. Elle lui souriait :
– Je sais que vous n’êtes pas un méchant, dit-elle en le fixant, mais je vous le demande comme une faveur : prenez soin de lui, il peut vite s'effaroucher. Il est, comment dire... On a toujours l'impression qu'il marche dans le sable mais parfois le sable se transforme en sables mouvants pour lui, alors s'il prend peur, il panique et il s'enfonce... Il n'y a que moi, dont il peut arriver à distinguer la voix dans ces moments-là, et à force de temps et de persuasion j'arrive à le ramener sur la rive... Mais cela prend du temps, et de l'énergie. Je vous serai reconnaissante de ne pas l'effrayer.
Son regard était parti dans le vague et son visage avait une surface lisse et douce. L'air était devenu tendre autour d'elle. Les branches des arbres semblaient flotter au-dessus d'eux dans la mer qu'était le ciel. Une flèche noire apparut dans son regard et le charme fut rompu quand elle enchaina avec une autre voix :
- Et surtout, méfiez-vous de Maître Raymond.
- Ah bon ?
- Je ne l'aime pas.
- J'avais bien compris, mais pourquoi ?
- Je n'ai pas très envie d'en parler ici, ça pourrait ternir l'ambiance de la forêt...
- Essayez toujours, je suis venu pour éclairer la vérité.
- Alors vous devez apprendre que le gros Raymon et ma belle-mère étaient amants.
- ça je le sais déjà.
- Mais surtout que ma belle-mère magouillait pour mettre son fils, mon demi-frère, en tutelle et prendre la majorité de la société.
- J’ai cru comprendre, qu’il n’était pas légalement responsable…
- Ne croyez pas tout ce qu’on vous raconte, la victime n’était pas celle que l’on croit. Et allez donc questionner cet avocat véreux, il avait tout intérêt à faire disparaitre ma belle-mère pour récupérer son fric.
- Je suis devenu enquêteur pour trouver la vérité
- Ouais, mais comme c’est lui qui vous paye…
- Non, je vous assure, si je fais ce métier, c’est parce que je ne supporte pas le mensonge et les non-dits. S’il y a un loup, je le trouverai, et quelles que soient les conséquences, je le raconterais.
- On en reparlera !
- Défi tenu, je vous donne rendez-vous dans 2 semaines max et je révèlerais tout dans mon rapport!
- Ok. Fanny fait un petit sourire à moitié convaincu.
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