12. Quoi! Quel Ayatollah?
Le lendemain, quand Jules se pointe au boulot, avec son œil au beurre noir et le visage pâle, Amandine le découvre horrifiée :
- Ah mais qu’est ce qui t’es arrivé ?
Jules ne sait pas trop s’il doit lui raconter. Mais elle le devine : « toi tu as déconné avec quelqu’un. Je suis sûre que c’est à propos de cette affaire. C’est à cause de la fille ? Ou tu as merdé avec le gros ? »
Jules lui explique qu’il a merdé. Qu’il a voulu fouiller les bureaux de nuit. Qu’ils n’ont rien trouvé. Mais quelqu’un a dû les voir car le soir même, il s’est fait tabasser dans son hall d’immeuble. Deux gros malabars, ils ont pas dit de la part de qui ils venaient, mais ils ont dit la même chose que le ténor, mot pour mot.
Amandine lui dit qu’il n’est pas très malin, on est au 21ème siècle chéri bibi, plus besoin de forcer la serrure des gens pour voir ce qu’ils cachent !
- Mais comment ils ont pu savoir, y’avait personne et il faisait nuit.
- Tu connais vraiment rien à la technologie. T’as vu un truc comme ça ? Elle pointe du doigt vers le couloir, tout en haut.
- Le truc rond là, qui brille ?
- C’est une caméra demi sphérique, c’est pas gros et discret, ça peut s’installer partout.
- Ah merde je croyais que c’était une lumière…
- Ah le nigaud ! Bon, démerde toi pour faire venir l’avocat ici dans le bureau de Legall, avec son ordi, et je te procurerai tout ce que tu veux, tu cherches quoi au fait ?
- Je sais pas trop au juste, ses mails, ce qu’il a échangé avec la victime, ses combines, tout…
- Bon c’est flou, mais commence déjà par lui envoyer une invitation à discuter ici avec Legall, dis-lui que tu as des trucs à lui dire sur la fille.
- Ouais mais j’ai rien, qu’est-ce que je peux lui dire ?
- Shépa, n’importe quoi, trouve un truc ou invente-le, démerde toi, tu lui en dis pas trop mais tu lui dis que tu lui expliqueras quand il sera ici. Ah, et fais en sorte qu’il vienne avec son PC, dis-lui que tu lui transfèreras des docs, trop gros pour être envoyés par mail…
- Oui, mais qu’est ce que je peux inventer ?
- Ah ça, débrouilles toi, c’est ton problème. Amène-le ici et moi je me charge du reste. On va lui soutirer des infos, mais bouge ton petit cul…
Juste à cet instant, son téléphone vibre. Il le regarde, il a reçu un texto d’un numéro inconnu sur son tel : Oï Prince Tudor, mi Principe, que faites-vous ce soir ? Estou feliz em recebê-lo em meu palácio[1].
Jules sourit, il ne comprend pas tout, mais sait que c’est sa brésilienne qui le contacte…
- Quoi ? dit Amandine, t’as un air idiot, t’as reçu un message de la fille ?
- Euh non, non.
- Bon alors, vas-y, au lieu de sourire béatement, action !
Jules éteint son téléphone en sursaut et se lance dans l’opération « Maitre Raymond » ! Il rédige un mail pour lui dire de venir le lendemain samedi matin dans les bureaux de Legall. Il lui explique qu’il a du nouveau et qu’il lui montrera tout demain, et qu’il doit venir avec son PC pour transférer des docs trop gros pour être envoyés pas mail. Mot pour mot ce que lui a demandé Amandine. Clic, envoi, c’est parti ! Seul hic, il n’a aucune idée de ce qu’il pourrait lui montrer. Il n’a rien. Nada. Nib. Que dalle ! Il reste pensif devant son écran.
La porte s’ouvre en grand sur Legall, visage fermé : venez avec moi. Jules le suit dans son grand bureau. Il se fait engueuler : « je ne sais pas ce que tu fous, d’habitude tu es plus rapide. Raymond vient de me contacter, il est fâché et tu sais quoi ? Il n’y a qu’une seule règle dans notre métier : ne pas fâcher le client ! On s’en fout de l’aimer ou pas, rien à carrer de l’éthique, il nous paye pour qu’on fasse ce qu’il nous demande. Donc arrêtes de tourner autour de cette fille, elle te tend un piège grossier. Depuis Mata Hari, la séduction fait partie de leurs armes. Tu t’es fait avoir par cette fille. On a besoin de faits, de preuves. Le reste, ça ne nous regarde pas ! Tu as compris ? »
- Oui, je pense.
- Non tu n’as rien compris. Il faut retourner sur le terrain. Mais je vais envoyer quelqu’un d’autre, je vais demander à Mortier peut-être, il est pas assez futé pour se laisser séduire, lui. De toutes façons dans une semaine tu retournes dans ton école, pour 3 semaines, donc je te retire le dossier… Non, tiens, je vais y aller moi-même en fait et m’en occuper, c’est quoi le nom du resto déjà ?
- Le Verre Volé. Mais non, je peux le faire, je vous jure. Je vais y arriver à trouver un truc, je suis comme un chien avec son os, je suis persévérant.
- Non, non, c’est décidé. Redis-moi ce nom à la mords-moi-le-noeud..
- Le Verre Volé… Merde, d’ailleurs, l’ayatollah !...
- Quoi ? Quel Ayatollah ?...
- Nan, désolé, rien à voir, je dois y aller, j’ai oublié mon rendez-vous chez le dentiste.
Legall lui dit un dernier truc, mais Jules n’entend déjà plus. Il se lance dans les escaliers et se précipite dans la rue.
Pendant que Jules dévale les escaliers de la société Legall Détective, Félicita sort de chez elle, et descend les marches qui donnent sur sa cour d’immeuble. Elle se demande pourquoi Jules ne répond pas à son texto. Elle trouve qu’elle a été suffisamment explicite en l’invitant à venir chez elle et d’habitude les mecs ne se font pas prier, ils accourent au moindre signe. Voire même, certains ne demandent pas son consentement pour la harceler par textos. Elle n’aime pas les forceurs et les remballe. Mais elle n’a pas l’habitude qu’on la remballe non plus, en ignorant ses messages. Elle trouve ce mec sympa, et pourtant, elle ne l’a vu qu’une fois, elle était bourrée et lui aussi, mais il y a quelque chose en lui qui l’attire. Sans doute son coté lunaire. Ou alors, le fait que justement il ne soit pas comme les autres, à la harceler et à mater son cul. Et puis aussi, elle trouve qu’il a un beau petit cul.
Jules court en pensant au texto de Félicita. Elle a ce quelque chose qui l’attire chez une femme mais qu’il ne sait pas décrire. Et puis aussi, elle a un sacré petit cul. Il faut qu’il trouve le temps de lui répondre, mais là ce n’est pas possible. Il court trop. Et puis il ne peut pas se présenter à elle dans cet état : avec une pommette bleuie et jaune par endroit, la peau dégoulinante, on dirait le Cri d’Edward Munch.
[1] je me fais une joie de vous recevoir en mon palais
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