Dans les bureaux de Legall Détective, Amandine est là, fidèle au poste. Imperturbable malgré les évènements. Pourtant Jules le sait, les Geeks ne se nourrissent pas que de Zéros et de Uns.

•  Amandine, faut que je te parle.
•  Je t’écoute.
•  J’ai un dilemme… je ne sais plus ce que je dois faire… Ma conscience me dit que je dois demander à Bastien de se dénoncer, et que je lui trouverais un bon avocat avec l’aide de Legall, mais d’un autre coté…
•  Quoi ! Non mais tu t’entends parler ! ça sert à rien maintenant, la vieille est morte et personne ira prouver quoi que ce soit.
•  Oui je sais mais…
•  Tais-toi et laisse-moi parler ! le gros Raymond est dans la merde car on a l’arme de dissuasion nucléaire contre lui. S’il tente de bouger le moindre petit orteil, on balance tout, et Bastien porte plainte contre lui. Désormais ces affaires de détournements de mineurs sont vraiment traitées par la justice, et il en est partie prenante, on a des mails, des témoignages.
•  Ça suffira pas pour un procès, vu qu’on les a obtenus de manière illégale
•  Oui mais dans un journal, ça passera, et vu qu’il veut pas perdre sa réputation…
•  Oui, mais la vérité…
•  La vérité, la vérité, il n’y a pas qu’une seule vérité, tu le vois bien, jules ! Tu t’es pris pour le chevalier blanc, défenseur de la veuve et de l’orphelin, mais réveilles toi on est au 21ème siècle coco ! tu crois qu’il va se passer quoi pour Fanny quand les flics vont apprendre qu’elle était présente sur les lieux !? Vu ses antécédents, ils pourraient finalement l’accuser elle quand même, et ne pas croire Bastien, qui est toujours dans un centre pour inadaptés, qu’il le soit vraiment ou pas, ça peut se retourner contre elle : ils pourraient dire qu’elle le manipule en le forçant à se désigner coupable… Tu crois qu’elle est vraiment chaude pour ça ?
•  Ouais, je sais pas…
•  Et même s’ils le croient, ça va lui apporter quoi à Bastien ? même s’il est acquitté ou écope d’une peine restreinte, il va perdre quoi, 1 an, 2 ans de sa vie ? Tu crois pas qu’elle a déjà été suffisamment gâchée sa vie ! il pourrait en profiter maintenant non ?
•  Oui, mais ça pourrait quand même le soulager...
•  Arrête avec tes mais, mais, mais… le soulager quoi ? du fardeau de ses crimes ? Il a déjà confessé auprès de toi et Fanny, peut-être ça lui suffit, j’en sais rien je suis pas psy, peut-être qu’il aura besoin d’aller voir un psy pendant toute sa vie, mais pour moi, il a pas besoin d’aller en prison.

Jules tord sa bouche dans une mimique de réflexion, puis acquiesce de tout son corps. Il donne raison à Amandine. Lui qui croyait œuvrer pour la vérité, quelle connerie !

•  Tu ne travailles pas pour la vérité Jules, tu travailles pour ce qui est juste, dis-toi cela si tu veux rester intègre à tes idéaux.

Il appelle Fanny et lui explique les derniers évènements. Qu’il a vu Maitre Raymond, qu’il ne peut plus les atteindre, car ils détiennent l’arme de dissuasion nucléaire eux aussi. Que ça ne sert à rien d’aller se dénoncer à la police. Sauf si Bastien a besoin de soulager. Ou bien elle.

•  Moi ? tu rigoles ou quoi. Fuck ta conscience ! Tu ne veux pas que j’aie de la pitié !
•  Je parlais de ta conscience à toi.
•  Je n’ai aucune mauvaise conscience, je me suis jamais sentie aussi bien.
•  Et Bastien ?
•  A ton avis, tu crois qu’il peut pas s’en sortir parce qu’il est neuneu ? Il a pas besoin de soulager sa conscience non plus, c’est plutôt dans cet acte qu’il a réussi à soulager tout ce qu’il a enduré ces dernières années. Il n’a pas vraiment voulu la tuer, il m’a défendu moi, il a agi par réflexe, inconsciemment. Et il a tué la haine qu’il avait accumulé depuis l’âge de ses 12 ans. Tu peux l’appeler si tu veux, il te dira la même chose.

Jules appelle Bastien après avoir raccroché. Au début, il parait sur la défensive, pas totalement rassuré. Puis au fur et à mesure que Jules lui explique, Bastien se détend. En fait, il semble revivre, il respire, et devient souriant au téléphone. Il comprend qu’il a soldé son passé. Et que si le prix à payer c’était d’avoir à supporter son acte toute sa vie, il trouve cela moins lourd que d’avoir à continuer à subir cette vie dans laquelle que Van Loewen le soumettait encore. Il change de voix, de ton, il parle normalement. Il ne s’enferme plus dans son rôle, il reprend sa personnalité. Il a parfois des sautes de voix. Mais il semble soulagé. Revivre.

Quand il a fini, il retourne voir Amandine :

•  Amandine, je dois encore te dire quelque chose.
•  Je sais…
•  Je ne sais pas si je peux continuer ce métier de détective.
•  Je suis pas ta mère, ni ton psy, Jules, tu sais.
•  Je sais, mais tu vas me manquer.
•  Déconne pas Jules
•  Je voulais te dire un truc, geekette, t’es mieux que Lisbeth Salander.[1]
•  Merci mon Prince, tu sais me flatter toi ! Et James Bond va faire quoi, désormais ?
•  Shépa encore, déjà je vais aller voir le patron.

Ils se serrent dans les bras l’un de l’autre. Les deux retiennent leurs larmes.

Jules frappe à la porte de Legall. Il n’a pas de porte en verre avec son nom marqué dessus. Une simple porte en bois. Au moment où il va pour déposer son enveloppe sur le bureau de son patron, celui-ci lui dit :

•  Attends demain, avant de déposer ce truc sur mon bureau, une démission ça se fait pas à la légère.
•  Comment vous savez que je démissionne ?
•  Parce que je suis comme toi, Jules Meunier, je te connais.
•  Me faites pas du baratin.
•  Je veux dire, que j’étais comme toi quand j’étais jeune, soupe au lait. Je m’emballais vite pour un truc, en bien ou en mal. Je tombais amoureux des filles et j’étais désespéré quand elles me quittaient.
•  Et alors ?
•  Tu vois, je ne suis pas en spécialiste en droit, ni un geek, je n’y comprends rien à l’informatique, je suis juste un ancien flic et je suis trop vieux. En revanche, je fais dans l’humain, dans les relations humaines, je sens les gens, je comprends comment ils fonctionnent. C’est pour ça que je suis le patron de cette agence.
•  Alors vous devriez me virer si vous êtes le patron car j’ai merdé avec votre client.
•  Ah, Maitre Raymond, je m’en tape, on n’est pas copain, ce n’est jamais qu’un client, et on a rempli notre contrat. Je ne sais pas ce que tu as été lui raconter, mais je lui ai dit d’aller se faire voir ailleurs.
•  Il… il vous a appelé !?
•  Bien sûr, tu es parfois naïf, Jules, tsss. Il m’a menacé de me casser, de me lancer un procès, et à la fin il m’a insulté, je l’ai laissé hurler. Je lui ai rappelé qu’on avait signé des papiers et que c’était fini, voilà tout.
•  Mais, mais… vous m’en voulez pas !?
•  Ecoute, je sais que toute cette histoire est pas nette, et tu m’expliqueras plus tard, mais l’avocat est marron, la bonne femme est morte et apparemment elle l’a pas volé je me trompe ? tu me raconteras un jour… Tu es un bon enquêteur Jules, avec Amandine, vous faites la paire. Moi je pense à la quille, j’en ai ma claque de tous ces emmerdeurs, j’ai besoin de prendre le soleil sur le pont d’un bateau aux Antilles… J’ai déjà acheté le bateau, je dois juste faire le voyage jusque là-bas et y rester. Voilà ce qu’on va faire, tu gardes ton enveloppe, la semaine prochaine tu retournes à tes études et tu réfléchis. Et tu reviens me voir quand tu auras bien réfléchi.
•  Réfléchi à quoi ?
•  Je te propose de reprendre l’affaire avec Amandine, un bureau d’enquêtes newlook, version 2.0 si tu préfères. Dans 7 mois, tu seras diplômé, et Amandine aura pris un peu d’expérience. Vous devenez mes associés et je reste avec vous quelques temps, disons un an, le temps de vous mettre le pied à l’étrier. Et ensuite… Ensuite, JE me BARRE ! Tu en penses quoi ?
•  …
•  Ne dis rien, et réfléchis. Prends le temps d’en parler avec Amandine, je lui ai proposé aussi.
•  Elle m’a rien dit !

Jules retourne dans leur bureau commun mais Amandine est partie. Il rentre chez lui, maussade comme le ciel qui le trempe entièrement.

[1] Lisbeth Salander : hacker et héroïne de la trilogie Millenium