Les employés s'affairent dans les bureaux. Les feuilles volent, les doigts pianotent sur les claviers. Tout le monde se précipite dans tous les sens, quelque chose d'important se passe dans l'entreprise. Soudain, Pascal court vers moi.
- Sébastien, j'ai besoin de toi. Tu as terminé le dossier pour Jean-Marc ?
- Non, et Béatrice me demande d'imprimer trois exemplaires d'analyses juridiques à transférer en urgence au client. C'est pourquoi ?
- J'ai besoin d'aide sur la relecture d'un document d'une cinquantaine de pages pour qu'on le présente au comité de direction.
- Pas le temps, désolé.
Je lis sur son visage une profonde incompréhension.
- Pardon ?
- Je n'ai pas le temps, j'ai trop de choses à faire.
- Comment ça, trop ?
- Je dois terminer le dossier pour Jean-Marc et je dois imprimer trois exemplaires des analyses juridiques comme me le demande Béatrice.
- D'accord. Mais qu'est-ce qui t'empêche de travailler sur la relecture du document que je te demande ?
- Le temps.
- Qu'est-ce que tu racontes ? Les gens se contentent de faire. On te demande de faire quelque chose, tu en es capable ou pas. Aucune autre raison ne peut justifier quoi que ce soit. Tu peux relire le document ?
Je me mets à réfléchir. Sans comprendre pourquoi, je crois être incapable de pouvoir relire ce document sans me mettre en porte-à-faux vis à vis des autres collègues qui me demandent de l'aide. Pourquoi ? Aucune idée.
- Ok, j'arrive.
Je le suis. Je relis le document. Les mots sont présents, nombreux, devant mes yeux, et je réfléchis. J'en corrige certains, qui sont mal employés. J'en ajoute d'autres pour fluidifier le propos. Certaines données sont inexactes, je les remplace par les bons chiffres. Je travaille avec Pascal, comme prévu, mais une force me tire vers l'avant. Je sens que je dois faire autre chose. Je termine en faisant du mieux que je peux. Je dois continuer, je dois avancer.
- Pascal, c'est terminé. Je dois voir Béatrice et Jean-Marc. C'est important.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas.
Je sors. Béatrice passe, elle me demande si les documents demandés sont imprimés. Je lui dis que non, elle semble énervée sans que je comprenne pourquoi. Je le fais et les lui remets. Jean-Marc me croise aussi.
- Le dossier ?
- Il n'est pas prêt.
- Pourquoi ?
- Car la relecture du document de Pascal est terminée.
- Et ?
- Je ne peux pas relire le document de Pascal et travailler sur ton dossier, Jean-Marc. C'est impossible.
- C'est possible. Tu travailles sur quoi ?
- Sur ton dossier.
Je lis le dossier. Je tape du mieux que je le peux sur les touches de mon ordinateur, mes yeux piquent au contact de la lumière bleue de l'écran. Je donne le dossier à Jean-Marc, la pression augmente encore quand je comprends qu'il n'est pas satisfait.
- Qu'est-ce qui ne va pas ?
- Rien, laisse tomber.
- Le document est faux ?
- Non, mais ça ne va pas. Les choses ne doivent pas se passer comme ça.
- Le document est correct, les données sont écrites, le texte est simple à comprendre. Il n'y a normalement rien d'anormal.
- Oui mais c'est compliqué, Sébastien. Sors d'ici.
- Pourquoi ?
- Car tu dois partir.
Je me souviens. Je dois partir, mes enfants sont à la maison. Ma femme aussi. Je rentre, je les salue, je fais à manger et je m'asseois à table. Ma femme est là, mes enfants sont là. Nous mangeons, la télévision est allumée. Les enfants vont dans leur chambre, je vais dans la mienne. La lumière s'éteint, je dors. La lumière s'allume. Je prends mon costume et ma malette, et le métro démarre. Quelqu'un court vers moi.
- Sébastien, j'ai besoin de toi.