La dame d'Al-Ágart
NDA : Al-Ágart est une ville marchande que j'ai crée pour mon livre La Nostra qui se situe dans un monde du même nom (qui n'est pas disponible sur scribay).
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Le petit Den tenait dans ses mains le parchemin que venait de lui tendre un marchand en le fixant de ses grands yeux gris. L'homme était débordé et le temps lui manquait pour faire passer le message à sa guilde. Ainsi avait-il missionné l'enfant pour porter la missive à l'autre bout de la ville.
La mère de Den lui interdisait cependant de trop s'éloigner des bas quartiers, craignant pour la chère tête blonde de son fils,. Cette fois-ci pourtant il allait rapporter une belle pièce d'or pour cette commission, et elle serait fière de lui.
Il quitta donc l'abri des faubourgs familiers pour s'engager seul pour la première fois dans les entrailles d'Al-Ágart. La boue et la puanteur des bas-quartier ne lui faisait pas peur, il en savait les dangers. Pourquoi devrait-il se méfier des étendues pavées ?
Les portes de la ville, il les connaissait. Ses imposantes murailles de pierre claire s'ouvrant sur une immense rue constamment inondée de monde, de charrettes, de marchandises… C'était l'une des quatres avenues d'ivoire de la ville. Ce nom leur avait été donné pour la blancheur de leur pavé et pour la quantité d'argent que cette ville produisait. Il faut dire que les grandes rues de la ville attiraient des marchands de toute la Nostra. On pouvait trouver de tout, et les gardes protègaient avec soin ceux qui les enrichissaient.
Mais la taille de Den était trop moindre, et se risquer dans la foule revenait à prendre le pari de se faire écraser. Ainsi s'engagea t-il dans les petits détours bondés de boutiques et d'échoppes aux devantures boisées chaleureuses. Les rues étaient bien plus petites et bien plus labyrinthiques, certes, mais non moins vivantes.
L'enfant avait souvent entendu parler des merveilles de la ville sans jamais pouvoir les contempler de ses propres yeux et il ne fut pas déçu.
Le premier magasin dégageait une forte odeur de plantes et d'encens : un apothicaire. Autour de la porte peinte dans un vert pomme, poussaient joyeusement toutes sortes de fleurs colorées. A l'intérieur un vrai fouilli régnait, mais pressé par sa commission, il n’osa pas rentrer pour visiter ce monde inconnu qui l’entourait.
Il s’arracha donc de la vitrine et continua sa route, contemplant distraitement l’enseigne d’une taverne sans vraiment la comprendre. Une femme dénudée tenait une chope en présentant ostensiblement ses attraits. En dessous le nom du bâtiment que l’enfant ne pouvait heureusement pas lire : “ À la bonne cuisse ”. Des chants grivois parvenaient étouffés au dehors et certaines dames de bonne famille semblaient s’en offusquer.
Plus loin, au bout de la rue, une boutique magnifique attira l'œil de Den, si bien qu’il en courut presque pour voir de quoi il en retournait. La façade décorée d’arabesques de métal dorées illuminait la rue de sa riche splendeur. Des feuilles d’olivier encerclaient un texte gravé dans la pierre blanche. Laissant traîner l’oreille, l’enfant compris qu’il s’agissait d’une boutique d'artefact de la Cité des Lumières. Il ne connaissait pas grand chose dessus, sinon que ces objets possèdaient une grande puissance magique et qu’il lui faudrait au moins deux vies de labeur et d’économie pour amasser toute la fortune nécessaire pour acheter l’un d’eux.
Son regard s’arrêta sur la pièce maîtresse trônant dans l’immense vitrine sur un sublime écrin noir. Il s’agissait d’une montre à gousset en argent. Son clapet, relevé pour permettre aux curieux d’en admirer les beautés, laissait voir les rouages élégants danser lentement au rythme des secondes. Sur chacun d’entre eux, une rune fort ancienne dont l’ignorance de Den ne pourrait jamais percer les secrets. Les aiguilles, aussi délicates que des boutons de rose, pointaient de leur doigt cruel le temps qui s’écoulait. Les chiffres, indiqués à la romaine, étaient d'autant de minuscules pierres précieuses taillées avec soin.
Sur le clapet, un sceau savant composé de tant de formes qu’elles se mélangeaient pour presque disparaître dans un amalgame d’une complexe beauté. Den n’était qu’un demi-elfe sans naissance comme il en existait des centaines dans cette cité cosmopolite, pourtant il ressentit jusqu’au plus profond de son être la puissance de l'artefact, sans pouvoir en saisir l’essence.
Bientôt, il fallut continuer. Un homme sans doute puissant attendait sa missive à la guilde marchande. Il reconnut du coin de l'œil un temple Iléreen, du nord de la Nostra.
La fresque sur la façade, typique de cette culture, était moins finement ouvragée que celles de la région, mais moins abstraites aussi. On y voyait une meute de loups chassant aux côtés d’un homme arborant en guise de casque une tête de cerf. Den fut assez fier de reconnaître Kribel, le dieu de la guerre, presque le seul qu’il connaissait sur les vingt-deux existants dans cette mythologie. Il décida donc qu’il aimait ce style minimaliste qui ne s'embrassait pas de grandiloquentes torsades mais qui expliquait sans détours ce qu’il voulait montrer.
Enfin, après avoir longuement marché, vint le moment de passer le pont Scaever de la rivière Azdaan.
Si elle marquait la limite entre la ville marchande et la partie riche de la cité, elle n’en charriait pas moins tous les déchets des bas-quartiers. Ainsi flottaient à la surface divers débris de bois, des plumes d’un poulet fraîchement tué, les larmes de la pauvreté.
Mais jamais Den ne se rendit compte de cela car il venait pour la première fois de croiser le regard de la Dame d’Al-Ágart.
C’est ainsi que le peuple surnommait la forteresse bâtie sur la colline rocheuse du centre de la ville. Jamais l’enfant ne l’avait vu de si prêt et il en tomba presque amoureux.
La tour nord lui faisait face, fine, élancée, de pierres si blanches qu’elles en aveuglaient. Son toit d’ardoise était messager d’un avertissement, Al-Ágart était sous protection. Devant chaque portes, plusieurs gardes lourdement armés. Il fallait pour passer des bagues à chaque doigt, une bourse et un ventre bien remplis, des vêtements de soie et des cheveux assortis.
Au fenêtres des bannières représentant sur fond carmin un coffre au trésor bien fourni, à ses pieds des jardins fleuris, en contrebas le Quais des orfèvres, riche quartier résidentiel.
Sous son aile la richesse, sous son regard la pauvreté. Den vivait à quelque pas d’une vie si douce dont il ne pourrait qu’à peine sentir le goût sucré sur ses lèvres blêmes.
Al-Ágart la sublime, Al-Ágart la riche, Al-Ágart la cruelle.
Masque donc, perfide, la douleur de ton peuple sous de blancs pavés. Dissimule sous une pluie d’or la triste vérité. Mais Den grandira et comprendra comme l’âme de cette ville est sale et putride.
Vis, courtisane au service de l’or ! Vis bien car un jour ton heure viendra.
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