La Maîtrise de la Tactique
Le voyage vers Soirétoile n'est pas de tout repos pour le jeune chevalier. Il participe à plusieurs combats plus difficiles les uns que les autres, et son groupe est maintenant constitué de Méliphine, une charmante demi-nymphe, Nur le kobold bricoleur, Hiqad, un courageux aarakocra, Eckhart, un ancien mineur désormais mendiant, et enfin Jeslie, une gnome adepte des baguettes magiques.
Ayant subi une attaque massive d'elfes qui semblent surtout en vouloir à Gautier pour une raison obscure, certains membres du groupe sont grièvement blessés et contraints de prendre la fuite jusqu'à Soirétoile. En atteignant la ville, ils trouvent le place-forte de Tessaril Hivernale assiégée par des assassins, et prêtent main forte aux gardes et à la Dame de Soirétoile. Le groupe a maintenant droit à un repos bien mérité après les soins, mais Gautier est en proie à un poison dangereux, et à ses propres tourments.
Gautier était assit près de la fenêtre de sa chambre, fixant l'eau qui ruisselait sur la vitre. Il caressait pensivement la sphère qui pendait à son cou en écoutant le son continu de la pluie et le tonnerre grondant par intermittence. Les nuages noirs contrastaient avec la lumière et la chaleur apaisantes du feu de cheminée près de laquelle il était installé, torse nu, avachi au fond de sa chaise.
La soirée était aussi sombre que ses pensées. En quelques jours, il avait quitté le confort de Waymoute pour un voyage sanglant. Il avait apprit de bien nobles valeurs en devenant chevalier, mais était-il seulement à la hauteur ? Il avait plutôt l'impression de faillir à son devoir chaque jour. Il avait prit de nombreuses vies, certaines auraient certainement pu être épargnées.
Son groupe avait frôlé l'extermination, et il avait failli périr. Quel piètre chevalier faisait-il en prenant ainsi la fuite. Il avait abandonné les siens, qui avaient confiance en lui. Il n'avait pas su les protéger alors qu'il était celui qui les avait plongé dans cette embuscade.
Gautier sentit son coeur se serrer. Il se mit à agiter une jambe en se sentant prit d'un sentiment de panique. Il se leva soudainement, et se mit à faire quelques pas dans la chambre tout en levant les mains pour s'empoigner les cheveux. Pourquoi avait-il des assassins à ses trousses ? Était-ce lié à son collier ? La devineresse avait parlé d'une clé. Gautier était prit par la peur. L'idée d'abandonner ses compagnons, de laisser son épée et de rentrer chez lui pour vivre une vie de noble paisible lui traversa l'esprit.
Non. Il n'était pas un lâche. Ses yeux verts se fixèrent sur le plafond un instant, puis il poussa un profond soupir. Il était évident que quelque chose se tramait, et que le Cormyr allait être le théâtre de sombres événements. Peut-être qu'il détenait la clé pour arrêter leurs agissements. De plus, il avait fait une promesse à Méliphine, et son groupe comptait sur lui. Il ne devait pas se montrer faible.
Il s'installa de nouveau sur la chaise, qu'il approcha d'une table basse où il avait laissé quelques affaires. Tout en passant sa main sur la couverture de "Maîtrise de la Tactique", Gautier repensa à Tessaril. Il trouvait que la Dame de Soirétoile avait un comportement quelque peu étrange à son égard, et il avait le soupçon qu'elle lui cachait quelque chose. Cela le démangeait d'aller la voir sur-le-champs, mais il était tard. Pourtant, il n'avait pas sommeil.
Il poussa le livre finalement, et ouvrit le jeu d'échecs dont il avait fraîchement fait l'acquisition. Il plaça les pièces blanches sur le damier dans un premier temps, puis les pièces noires, tout en se faisant une multitude d'hypothèses sur l'identité potentiellement cachée de Tessaril Hivernale. Lorsque le jeu fut en place, il observa le plateau en posant ses coudes sur ses cuisses, joignant ses mains sous son menton. Le jeune homme plissa le regard, puis il retira toutes les pièces du plateau, un peu précipitamment.
Il repensa aux livres sur l'art de la guerre qu'il avait déjà eu l'occasion de lire, ainsi qu'aux nombreuses leçons de Sire Théobald. Gautier se replongea dans les précédents affrontements auquel le groupe d'aventuriers avait été confronté. Il plaça une main au-dessus des pièces blanches, réfléchissant un instant avant de saisir l'un des deux fous. Sa silhouette plus fine que les autres lui faisait penser à Mélie. Il le posa au centre du plateau, le déplaça un peu en arrière, puis le ravança légèrement en avant. Il sélectionna un cavalier pour représenter le petit Nur. Sa capacité à effectuer des déplacements plus complexes que les autres et à pouvoir se faufiler parmi les pièces du plateau, se replacer derrière les défenses correspondaient bien au kobold. Il agita les doigts au-dessus du reste des pièces, et choisit la dame pour Hiqad, car c'est elle qui a la plus d'options de déplacement sur le plateau, tout comme l'aarakocra et ses ailes. Il attrapa une tour pour se représenter lui-même, pour sa simple symbolique défensive. Après une brève hésitation, il sélectionna le roi pour incarner Eckhart, la pièce vulnérable à défendre, et un pion blanc pour Jeslie - seulement par déduction de taille.
Le chevalier ne savait pas trop ce qu'il faisait, mais il était motivé à travailler son sens de la stratégie avec ces pièces. Il prit plusieurs pions noirs, et les dispersa autour de l'équipe blanche, selon plusieurs scénarios. Il se remémora plusieurs affrontements, et passa un long moment à réfléchir à ce qu'ils auraient pu faire pour mieux appréhender les combats.
Gautier passa quelques heures à réfléchir seul dans sa chambre, face à son échiquier. Dans la pièce, il n'y avait plus que les sons de la cheminée, de l'orage et des pièces glissant sur le plateau ou s'entrechoquant les unes aux autres. Un coup de tonnerre grondait, une pièce était ajoutée. Un crépitement de feu, une pièce changeait de case. Une bourrasque pluvieuse contre la vitre, une pièce tombait. Le jeune homme reculait parfois le dos contre le dossier de sa chaise en passant son regard pensivement dans la salle où il se trouvait, et se frottait la barbe. Lors d'autres moments de réflexion, il joignait ses mains en joignant ses pouces, ou remuait les jambes en fixant la fenêtre.
Lorsqu'il se sentit le besoin de faire une pause, il attrapa la "Maîtrise de la Tactique, vol.2" et commença à lire l'ouvrage. Il avait cette soif d'apprendre soudaine, et son cerveau ne cessait de travailler. Son corps était fatigué, mais son esprit était vif. Pour se dégourdir les jambes, il lisait debout et marchait en décrivant des cercles dans la chambre. Le visage penché vers le livre, il esquissait parfois une moue en hochant lentement la tête, ou fronçait les sourcils lorsque quelque chose l'intéressait. Lorsqu'un concept lui parlait, il avait parfois des idées pour ses scénarios, et revenait à ses pions pour retravailler la stratégie. Entre temps, il avait ajouté un cavalier noir à son équipe, à l'image de son fidèle destrier, qui s'avérait être une pièce importante pour lui. Un instant, Gautier se dit qu'il devait avoir l'air d'un enfant, à jouer ainsi avec l'échiquier. Mais il continua longuement d'expérimenter et de se documenter. Les heures passaient, et pourtant le chevalier restait actif, et se sentait de plus en plus passionné par ce qu'il faisait. Il ne se laisserait plus déborder par les évènements. Il ne laisserait plus ses compagnons douter de lui.
Au petit matin, Gautier fut réveillé par les premiers rayons de soleil. Ébloui, il se maudit d'avoir oublié de fermer les rideaux. Il se redressa lentement et grogna, son dos et son épaule lui étaient douloureux : il s'était endormi sur sa chaise. En bougeant, il fit tomber l'ouvrage qu'il lisait durant la nuit sur le parquet. Il plissa les yeux en y jetant un bref coup d'oeil, puis il observa les pions sur la table avant de soupirer.
Il se leva et s'étira dans un long grondement, et grimaça à cause de quelques restes de blessures. Le jeune homme se toucha le ventre, ses doigts caressant précautionneusement la partie rocailleuse de son torse et fronça les sourcils. Il allait falloir trouver une solution, et vite, ou le poison continuerait de se répandre. Il regarda par la fenêtre, et constata avec satisfaction que l'orage avait laissé place à un beau ciel dégagé. Le soleil fit luire ses yeux d'un éclat d'émeraude. Gautier passa une main dans ses mèches blondes décoiffées, et pivota pour s'apprêter à aller se laver... Il y avait de nombreuses choses à faire aujourd'hui, et il était impatient de retrouver les autres. Quelque part, il s'était attaché à ses nouveaux compagnons.
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