Chapitre 1
Neven
Il y a du bruit en bas, pas plus que d’habitude mais aujourd’hui ça m’incommode particulièrement. Les prospects ont été introduits, c’est la fin de l’année, ils ont passé les douze derniers mois à essayer de se faire bien voir par le club, nous leur faisons honneur ce soir pour tous les sacrifices qu’ils ont fait. Allongé sur le lit dans le club house, je regarde le plafond en espérant, peut-être, trouver le sommeil. C’est peine perdue je le sais déjà, alors je descends dans le club par l’escalier en colimaçon donnant directement dans l’arrière-salle. Je tombe évidemment sur Spencer en train de dévorer le cou d’une pauvre fille qui semble avoir bu plus que de raison. C’est une habituée des soirées du club. Certaines de ces filles viennent chaque fois, dans l’espoir de se faire repérer par un biker et qu’il en fasse une « régulière », ce terme est tout à fait inapproprié et moyenâgeux mais bon.
J’arrive dans la grande salle, le billard est pris d’assaut par les plus jeunes d’entre nous, le bar est recouvert de bières vides, les filles sont déjà à moitié nues au milieu de la pièce et il n’est pas encore minuit. Folk est dans le canapé à discuter avec plusieurs autres membres, je me joins donc à eux.
_ Tiens donc, que nous vaut l’honneur de ta présence Neven ? me dis Folk en souriant.
_ Je m’ennuyais et tu me manquais beaucoup trop, dis-je en m’enfonçant dans le canapé. Il y a du monde encore à cette heure. Il n’y a pas assez d’alcool ?
_ Les filles sont arrivées plus tôt aujourd’hui, alors les gars ont délaissé l’alcool pour profiter des culottes je suppose, me dit Alec, le bourreau du club.
Le bourreau est un rôle qui lui va d’ailleurs comme un gant. Il est sans pitié, le seul code qu’il suit c’est celui du club; les lois et la morale ne lui parlent pas, c’est un sanguinaire. Il a plusieurs fois réussi à soutirer des informations à nos ennemis grâce à ses techniques d’un autre temps.
Le club, pour la plupart d’entre nous, est tout ce que nous avons. Je suis arrivé ici il y a huit ans. J’ai été à droite à gauche pendant deux ans avant que Folk me récupère et s’occupe de moi comme d’un fils. Il m’a donné plus que je n’aurai pu imaginer, il m’a donné une place, un boulot, une famille. Il a fait de moi quelqu’un d’important. Je suis son bras droit, celui qui le soutient dans ses décisions et qui le soulage parfois de certaines d’entre elles. Je suis sa personne de confiance.
Nos activités sont diverses : Folk est tatoueur, il a monté son salon dans l’enceinte du club sur des terres qui appartiennent à sa famille depuis des générations, nous avons donc pas mal de nos gars qui sont tatoueurs ou perceurs, nous avons des mécanos également, c’est mieux quand on est fan de grosses cylindrés. Moi, je fais partie des gars qui gèrent la vente des voitures. Nous achetons des voitures pour une bouché de pain, on les retape et on les revend. C’est plutôt rentable comme affaire.
_ Président, il y a quelqu’un qui vous demande au bar, nous interromps Lenon, un de nos nouveau prospect. Une jeune femme.
Folk relève la tête, un air dubitatif, il ne reçoit jamais de filles. Ce n’est pas son genre, nous tournons donc la tête vers le bar. Je me relève en avant, les coudes appuyés sur mes genoux, la tête légèrement baissée, pour pouvoir voir au travers de la foule, la jeune femme en question. Le regard de Folk passe de l’interrogation à… la sidération peut-être ? La jeune femme en question est appuyée contre le bar, bien droite, attendant qu’on lui serve la bière qu’elle venait de commander au prospect. Elle est frêle, une brindille, de haut en bas elle est absolument parfaite, des bottes militaire jusqu’à mi mollet, un pantalon moulant à souhait en cuir noir, un haut noir transparent sauf aux endroits stratégiques sous une veste en cuir noir également, ses cheveux blond roux sont tressés et retombent sur le haut de ses fesses, elle est légèrement maquillée mais pas trop, bref ! elle est clairement à l’aise, elle a confiance, pourtant, les femmes qui s’aventurent ici sont généralement loin d’être confiantes.
Alec la matte clairement avec appétit, comme nous tous d’ailleurs. Je reste silencieux en attendant de la voir se retourner vers nous, Folk sert et dessert les poings, comme si son sang lui brûlait les veines, il baisse la tête et inspire profondément, ses gestes parlent pour lui à cet instant. Je ne sais pas si c’est bon ou mauvais signe en revanche.
_ Si jamais président, je peux t’en débarrasser, je vais m’occuper de cette jolie jeune fille, dit Alec en se levant.
_ Tu ne feras rien du tout ! hurle Folk en se levant face à lui. Il se retourne vers elle et la regarde attentivement, personne ne touchera à elle, c’est ma fille.
La mâchoire m’en tombe, je ne suis pas sûr d’avoir bien compris, Folk n’a jamais dit qu’il avait une fille, cela fait six ans qu’il m’a fait rentrer dans le club, trois ans que je suis son vice-président et il n’a pas jugé bon de me parler de sa fille ? Et où était elle d’ailleurs pendant tout ce temps ? Si elle avait été dans le coin je l’aurai vue et je m’en souviendrai ça c’est sûr.
Folk s’approche d’elle, pose une main sur son cou, elle se retourne face à lui. Ils se toisent un instant, comme si leurs yeux parlaient pour eux. Elle a un visage fin, des yeux verts hypnotisant. Elle finit par sourire tendrement à son père et elle le prend chaleureusement dans ses bras, ses fines mains manucurées entourant son cou de taureau, je remarque des tatouages dépassant de sa manche, elle en a sur les mains, la poitrine et le cou également. C’est donc bien la fille de Folk, aucun doute. Je pense d’ailleurs que c’est lui qui lui en a fait la plupart. Elle est perchée sur la pointe des pieds pour pouvoir le serrer contre elle, lorsqu’il la libère de son étreinte, elle redescend sur ses pieds, il caresse sa joue et la toise de toute sa hauteur.
_ Que fais-tu ici ma chérie ? New York t’a ennuyé ?
_ Après dix ans, même pas un « je suis content de te voir » ?
_ Cariña… pourquoi tu n’as pas appelé ? Je t’aurai fait chercher. Comment es-tu arrivée ici ?
_ J’ai été escortée par Suarez… dit-elle en levant les yeux au ciel, mais j’ai semé le groupe arrivé à la frontière de l’état de New York.
_ Aleva !
Il hausse le ton et beaucoup de tête se retourne vers eux.
_ C’est inconscient ! Tu es venue à moto depuis New York ?! Mais tu es partie quand ?
Elle rit et lui tape gentiment sur le ventre, attrape sa bière et la lève devant lui.
_ Il y a bien assez longtemps pour que j’ai mérité ma bière, alors merci de ton accueil toujours aussi chaleureux.
Je reste bouche bée depuis tout à l’heure. Tout le monde continue sa petite vie sans prêter attention à la scène qui se joue devant nous. Folk est contrarié mais heureux de retrouver sa fille, il décide de rire à son tour et l’attrape par l’épaule, il appelle Frank, un des plus anciens membres du club. Lorsque ce dernier voit la jeune femme, il lâche sa bière, reste muet et s’avance vers elle complètement éberlué. Il prend son visage en coupe dans ses grandes mains, lui embrasse le front, elle pose ses mains sur celle de Frank et le regarde avec des yeux embués.
_ Alev… tu es … Frank a du mal à choisir sa phrase.
_ J’ai grandi Franki, dit-elle en lui souriant à pleines dents.
_ Tu ressembles tellement à ta maman, dit Frank en murmurant presque.
Ils s’étreignent longuement puis Folk se retourne vers nous. Je me lève, face à mon président je ne sais pas quelle attitude adopter, je suis surpris, j’ai l’impression que tout un pan de sa vie m’a échappé. Il me prend par l’épaule et m’intime de m’approcher de lui. Je m’exécute et met mes mains dans mes poches ne sachant pas quoi en faire.
_Alev, je te présente mon bras droit ici, Neven. Elle me regarde attentivement, Neven voici ma fille, Alev. Je… je t’expliquerai.
_ Expliquer quoi ?! dit-elle soudain, que tu m’as exilée, envoyée chez tes amis à New York pour que je vois du pays ?! Tu t’es simplement débarrassé de moi pendant dix ans.
_ Aleva…
Frank a l’air d’en savoir long sur cette histoire car il la regarde avec compassion. Elle préfère prendre son sac à dos et monter à l’étage du clubhouse. Frank, Alec, Folk et moi nous regardons avec attention puis Folk lève les bras et soupire.
_ Je ne sais pas quoi dire. , commence t’il. Il y a dix ans j’ai préféré l’éloigner du club pour sa sécurité. La vie n’était pas la même que maintenant.
_ On en reparlera plus tard patron, dis-je. Je vais aller récupérer mes affaires là-haut pour lui laisser la chambre, je vais dormir chez moi pour une fois.
Ses explications peuvent attendre, il ne semble pas prêt à tout dire et je le respecte. Ses décisions sont rarement injustifiées, s’il a voulu éloigner sa fille il avait de bonne raison de le faire. Avant que j’arrive à l’escalier il me rattrape.
_ Neven, j’aimerai que tu restes au club cette nuit, pour être sûr qu’il ne lui arrive rien, il se racle la gorge, je… ça m’embêterai de tuer un des nouveaux s’il décidait de s’approcher d’elle d’un peu trop près.
_ Et tu ne crains pas que moi je l’approche ? dis-je en rigolant.
_ Ne me fais pas regretter la confiance que j’ai en toi Neven, dit-il d’un ton égal.
_ Je veillerai sur elle, je dormirai dans le salon.
_ Merci Neven.
Je vois son désespoir au fond de ses grands yeux bleus, sa fille à l’air de lui en vouloir, je ne sais pas si c’est le fait d’avoir été exilé ou parce qu’elle s’est aperçue qu’il n’avait jamais parler d’elle avec nous. Après tout, j’ai toujours cru que Folk était un genre de moine à sa façon, pas de femme, pas de famille, enfin, pas en vie en tout cas. Je sais qu’il a été marié. Comme Franki d’ailleurs. Mais c’était il y un siècle au moins, je ne sais pas ce qu’il s’est passé, c’est la base de notre relation avec Folk, je ne pose pas de questions, les réponses arrivent toujours quand il faut. Alors je vais continuer sur cette lancé. Mais Folk aurait quand même pu prévenir que sa fille était dangereusement belle. Je me demande ce qui lui a donné envie de revenir dans cette petite ville, Charleston n’est pas vraiment une ville réputée pour son attraction touristique, en tout cas pour les habitants. Si cela fait dix ans que Folk l’a envoyé à New York il doit y avoir une raison, elle devait avoir à peine quatorze ans à l’époque.
Trop de questions et finalement, peu de réponse. Je ne sais pas si je veux vraiment tout savoir, elle a l’air en colère, et une femme en colère est dangereuse, de ce que j’en sais.
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