Chapitre 2

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Algérie, le 10 avril 1930

Troisièmes coups de pied. La pierre roule jusque sur les plates-bandes. Youpi ! j’ai réussi une fois de plus l’exploit de toucher le mur. Je recommence. Au bout d’une heure, je m’écroule sur l’herbe fraiche. Les bras en l’air, je regarde le ciel et le peu de nuages qui flottent. Ah ! Que c’est long d’attendre que le temps passe. Si seulement j’avais quelqu’un avec qui jouer. Nous pourrions trouver des cachettes secrètes. Chanter ensemble ou mieux, savoir qui fait le plus grand bond. Mais non, je suis seule et je m’ennuie.

Je tourne la tête vers la fenêtre. La silhouette de Maman apparait. On dirait que mon ventre l’appelle. Il a compris, lui. C’est l’heure du gouter. Ni une, ni deux, je bondis sur mes pieds et cours vers la porte. Maman m’attend déjà sur le seuil.

— Malou, lave-toi les mains ma chérie.

Je ne me le fais pas répéter deux fois. Je file vers la bassine et les frotte rapidement avec du savon. Elles sentent bon. De retour dans la cuisine, je vois deux belles tartines de pain beurrées avec du chocolat en poudre. Il y a aussi un bol de café au lait. J’en ai l’eau à la bouche. Je m’installe sur la chaise un peu trop haute pour moi et commence. Hum, je me régale. J’adore ça.

Tandis que je déguste par petites bouchées ce festin, maman s’assoit. Elle ne parle pas. Elle me regarde avec ses yeux doux. D’habitude, elle me demande toujours ce que j’ai fait dehors. Aujourd’hui, c’est différent. Elle reste muette. Est-elle malade ? Non, Maman n’est jamais malade. Elle doit penser à papa, ou bien à l’heure du diner. Mémé n’arrête pas de l’observer. Elle semble inquiète. Pourquoi ? Encore une histoire de grands ou je suis exclus ! J’ai presque sept ans ! Je veux savoir.

Soudain, Maman se lève et va dans sa chambre. Comme ça, sans rien dire. J’entends le sommier grincer. Elle se couche ? Pas possible. Quelque chose cloche. Je veux en avoir le cœur net. À peine sur mes pieds, ma grand-mère se lève.

— Malou, reste ici s’il te plait.

Elle part aussitôt la rejoindre. La porte à moitié fermée, elles chuchotent. Je n’aime pas ça. Que se passe-t-il ? J’en oublie les bonnes manières et m’approche. Maman semble avoir mal au ventre. Elle grimace. Que lui arrive-t-il ?

— Maman va bien ?

Un peu nerveuse, Mémé me fait sortir de la chambre et ferme le battant.

— Ne t’inquiète pas Malou. Elle est juste fatiguée. Si tu as fini ton gouté, retourne au jardin t’amuser. Je m’occupe de Maman.

Déçue, je retourne dehors. Clairement, elle ne veut pas que je reste. Ce n’est pas juste, j’ai le droit. Je n’ai rien fait de mal. Pourquoi cette mise à l’écart ?

Je fais le tour du jardin en trainant les pieds. C’est toujours pareil avec les adultes, ils ne cherchent pas à nous expliquer. Ils préfèrent qu’on s’éloigne. Assise par terre, une main sous le menton, je réfléchis à la meilleure façon d’obtenir des réponses. Après maintes réflexions, je n’en vois qu’une : la fenêtre.

Inquiète, intriguée, mais surtout curieuse, je m’avance au plus près en faisant bien attention que personne ne me voit. Je me hisse sur la pointe des pieds et je vois Maman toujours allongée sur le lit, tordue de douleur. Elle gémit. Un drôle de gémissement. Mémé lui tient les mains. Ça alors, elle doit drôlement avoir mal pour geindre comme ça !

Soudain comme un diable qui sort de sa boite, Mémé part en courant, traverse le jardin et monte les marches qui mènent chez les propriétaires où elle fait tous les jours le ménage. Je n’ai jamais vu ma grand-mère courir aussi vite. L’état de maman empire-t-il ? J’ai peur. Grand-mère, où es-tu ? Incapable de regarder plus longtemps à travers la vitre, je me laisse glisser contre le mur. Les cris de maman continuent. Elle va mourir ? J’ai envie de pleurer.

Les minutes passent qui me semblent des heures. La douleur de Maman s’amplifie. Elle respire très fort. Petit jésus, protège Maman s’il te plait. Je serais toujours sage. Je ne dirais plus que je m’ennuie dehors.

Anéantie, je n’ose plus bouger. Mes yeux fixent l’escalier où mémé a disparu. Que fait-elle là-haut ? Pourquoi ne revient-elle pas ? Des larmes coulent sur mes joues brulantes.

Un claquement de porte et des pas dans l’escalier se font entendre. Ah Mémé ! Enfin ! Une dame l’accompagne. Qui est-elle ? Je ne l’ai jamais vu. Elle tient dans sa main une sacoche noire. Elles se hâtent dans la maison sans même me regarder. Je les suis, mais Mémé refuse de me faire entrer. Non ! Moi aussi je veux savoir. En partie soulagée, je me rue à la fenêtre pour voir ce qu’elles mijotent. Je le savais, cette femme vient pour Maman.

C’est l’effervescence dans la chambre. Pendant que la dame parle au chevet de Maman, Mémé court dans la pièce principale et revient aussi vite avec une bassine d’eau fumante et des linges colorés. Je m’éloigne de peur d’être grondée si quelqu’un me surprend à épier alors que c’est interdit.

Ouf ! C’était moins une. Voilà papa qui arrive en courant lui aussi. Il s’engouffre dans la maison sans me voir. Quelle chance. Je décide de retourner dans le jardin. Là-bas, je ne risque pas d’être grondée. Mieux vaut m’ennuyer que de subir les réprimandes de Papa.

Le soleil commence à se coucher quand ma grand-mère m’appelle. Jamais ne n’était resté dehors aussi longtemps. Elle me prend la main, un large sourire rempli de soleil.

— Tu sais Malou, dit-elle avec tendresse. Tu as un petit frère, viens le voir.

Un petit frère ? Comment ça un petit frère ? Interdite, je suis Mémé sans rien dire. Je ne comprends pas. Que se passe-t-il ? Quand mon petit frère est arrivé ? Est-il aussi grand que moi ? Vais-je pouvoir jouer avec lui ? Ce serait super ! Peu à peu mon incompréhension se transforme en impatience.

Tout doucement, Mémé me conduit vers la chambre de Papa et Maman. Assis côte à côte dans le lit, l’air heureux, papa tient Maman par le cou. Surprise, je hausse les sourcils. C’est la première fois que je vois mon père afficher un geste aussi tendre envers ma mère.

Près d’eux, une corbeille. Elle appartient à ma grand-mère. D’habitude, elle y range ses pelotes de laine et ses aiguilles. Quelque chose bouge à l’intérieur. J’approche à petits pas et je le vois.

Ça alors ! un bébé !

Comme un petit oiseau dans son nid douillet, mon petit frère dort emmitouflé dans un petit drap et une couverture bien chaude. Il porte un joli bonnet blanc sur sa tête.

— Comme il est petit, m’empressé-je de dire déçue de ne pas pouvoir jouer avec lui.

— Il s’appelle Fernand, annonce Maman à mi-voix.

En fin de compte, ce petit frère n’est pas si intéressant. Je suis contente, mais c’est tout. Dans ma tête, je me demande plutôt comment il est venu et par où il est passé ?

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