Décollage imminent.

Les promesses d’une voix résonnèrent dans la salle de contrôle.

10… 9… 8…

Les écrans s’allumèrent à l’unisson, dévoilant un ciel aux nuages cotonneux. Au-delà, les étoiles scintillaient dans un océan noir. Sur la toile des constellations, les yeux ne peuvent que se noyer, les esprits se libérer des chaînes qui nous retiennent, nous les hommes : le travail, la famille, la patrie, le métro, le boulot, le dodo.

Xavier inspira, expira : il y était presque !

Il attendait ce jour depuis si longtemps - quelques semaines, autant dire une éternité pour quelqu’un d’aussi curieux et avide de connaissances. Il n’y croyait toujours pas, se frotta les yeux, manqua même de se pincer : la navette spatiale ne tarderait pas à décoller. Le compte à rebours n’était-il pas lancé ?

7… 6… 5…

Cette voix métallique, impérieuse mais rassurante, ne mentait pas.

Des lettres et des chiffres défilèrent à toute allure sur les écrans devenus noirs : suites logiques, messages cryptés, processus en cours - l’algorithme d’un voyage au centre de l’inconnu.

Plus que quatre secondes !

Xavier pensa à ce bonheur intense qui l’étreignait, dont il sentait la chaleur lénifiante, ou bien était-ce sa combinaison EMU ?

Un concentré d’émotions.

Comme ceux qui rêvaient, enfants, d’étoiles, de galaxies, de nébuleuses, Xavier avait la possibilité d’accomplir cette mission qui, d’ordinaire, revenait aux astronautes. Eux, pensait-il, c’étaient essentiellement des privilégiés, ou bien des enfants qui étaient parvenus à concrétiser leurs rêves, sans jamais les perdre de vue dans le labyrinthe de la vie. Comment avaient-ils maintenu le cap aussi longtemps ? Détenaient-ils un secret ?

4…

La vie se plaît à nous mettre sur d’autres chemins, elle se réjouit de ce que l’homme ne remarque rien de ses manœuvres abstruses. Xavier savoura l’ironie de cette pensée, puisqu’elle l’avait placée ici, dans cette navette à destination des étoiles. De là, il pouvait bien tirer toutes les conclusions qu’il souhaitait sur le hasard, le destin et autres concepts nébuleux. Il s’en fichait éperdument : c’est à lui et à lui seul qu’incomberait le choix des systèmes à explorer.

Une sensation de liberté absolue se propagea en lui, plus enivrante encore que toutes les drogues que la Terre eût produites.

Xavier n’était pas effrayé, ni par l’excitation immense, déraisonnable, qui le traversait, ni par ce voyage en solitaire dans l’infiniment grand. Une formation lui avait été dispensée pour utiliser la carte du ciel. Il suffisait d’appuyer sur cet écran tactile qui, toujours éteint, lui renvoyait sa silhouette immaculée comme au travers d’un miroir. En choisissant une destination, la navette s’y propulserait à plein régime, en pilotage automatique. Un jeu d’enfant ! En cas de problème, un bouton d’urgence lui permettrait d’entrer en communication avec un autre astronaute : ce dernier prendrait le relais, en utilisant la tablette de sa navette, le temps des réparations. De tout cela, il s’en souvenait comme si c’était hier.

3… 2… 1…

Tension maximale.

Xavier savait qu’une fois lancé dans l’atmosphère, il devrait choisir une trajectoire. Des milliers d’étoiles anonymes l’attendaient au fin fond de l’univers, à des années-lumière de ce présent étriqué auquel il ne pensait plus. C’était exaltant.

Immergé dans cette béatitude, il ferma les yeux, expira, inspira longuement, les poings crispés.

ZÉRO.

Un message retentit :

« Vous êtes déjà allé dans l’espace l’année dernière, vous avez découvert 67 étoiles au sein de 52 galaxies. Vous ne pouvez pas repartir. Veuillez quitter votre combinaison. Et poursuivre d’autres rêves. »