Delta 13
(Note avant lecture : les choix syntaxiques sont voulus, ainsi que l'absence de points (.) chez le narrateur.)
J’aime l’androïde Delta 13, sa cuirasse luisante, son regard d’insecte, sa bouche rétive aux caresses de la mienne, l’androïde Delta 13 oui, c’est cela, je l’aime comme on aime au-delà de soi, dans le sacrifice de l’ego
Je me suis prosterné devant elle, nu, oui, je me suis mis à poil devant un robot comme disent les autres, je l’ai fait, je lui ai dit que je la servirais, l’androïde Delta 13, avec toute la dévotion qu’exige l’amour quand il est pur
Alors j’ai caressé sa poitrine en titane, ses hanches fières d’amazone, et j’ai voulu danser, je l’ai serré l’androïde, je l’ai serré au plus fort à la confondre dans mon souffle et elle m’a dit :
Que faites-vous ? Que faites-vous ?
C’est déplacé ! C’est déplacé !
Confuse, elle répétait tout deux fois, mais je ne l’écoutais pas, car ivre de désir - et ce n’était pas la chair cette fois non, pas la chair qui rend fou l’homme, qui fait bander, c’était une rencontre avec Dieu, de l’Adoration ;
Je lui ai dit :
« Cela fait si longtemps que je te regarde, ô sublime Delta 13 : ta marche militaire dans les couloirs du vaisseau, ton regard impavide, tes paroles droites, mesurées, qui tintent en écho dans les couloirs froids, tes mots que tu égrènes sans émotion aucune, taillés au couteau, ciselés en petit cubes dans l’émulsion monotone de mes journées silencieuses
Oui, Delta 13, la géométrie de tes paramètres vocaux et corporels, ce corps que tu brandis tel un vaisseau racé pendant ta ronde dans ces tunnels sans fin, j’aime tout cela à en perdre la raison, au mépris des règles et de la syntaxe et, galvanisé par le transport que tu fais naître en mon cœur pantelant, m’y plonge comme au ballet délicieux des sirènes de Galopé76 dans leurs bulles d’eau céruléennes
Je me suis
perdu dans une boucle
une boucle qui n’en finit plus
et n’a de cesse de s’étendre au-delà
un cercle vicieux le cercle de ta ronde
qui traçant sa figure répète sans fin
Le tracé circulaire de sa boucle
Prison de toute la déraison
Et de désirs infinis
d’étoiles
Il y a tant de volupté à te suivre dans ton rituel d’insecte, à me poser devant l’écran en attendant ta venue, j’ai patienté, beauté céleste, maintes comètes pour te déclarer mes sentiments, peiné de voir enfin pour seule lueur dans ton regard oblique cette diode rouge qui m’analyse, les questions que tu te poses à l’aune de ta cyber intelligence, tout cela qui me fait perdre la raison : suis-je dangereux ? Que pourrais-je te faire, Delta 13 que tu n’apprécierais guère ? Je t’aime tellement que je ne puis souhaiter qu’un mot de toi, un seul, mon androïde : ce grand « oui « des mariages d’autrefois
…
Non Delta 13, ne recule pas, n’aie pas peur de moi, ne pointe pas ton MK79X à neutron devant mon visage ! Je ne t’ai qu’effleuré du bout des lèvres, des doigts et si je darde une érection féroce, si ma température corporelle suspend son envol en des sphères celsiusiques, si mes pupilles se dilatent, cela ne signifie pas que je suis ton ennemi, seulement que je te vénère à l’infini : mon corps s’étend d’amour vers toi, comme au départ d’un merveilleux voyage
- Ne bougez pas ! Ne bougez pas !
Garde ! Garde !
Densité lexicale de… 60,5 % !
Anomalies syntaxiques !
L’individu matricule 456B7 essaye de faire de la poésie !
Je répète :
L’individu matricule 456B7 essaye de faire de la poésie ! »
C’est ainsi que je me suis retrouvé prisonnier à Geôlia, prison intergalactique, à écrire en secret mon inclination déchirante sur un parchemin en réalité augmentée, à me demander parfois, entre deux pensées pour cet amour impossible, ce qu’est la poésie et surtout : pourquoi est-elle si dangereuse qu’on la condamne ainsi ?
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