La loutre de fer

de Image de profil de Fabien SansterreFabien Sansterre

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Oyez, oyez!

 

Oyez la tragique histoire de Maurice et de son clan.

Maurice était une loutre issue d'une vénérable  souche  hongroise,  d'un clan prospère du Danube. Mon clan. Celui-ci, bien avant la naissance de Maurice, vivait de pèche et d'amour et s’était épanoui jusqu'à compter quelques milliers d'individus. Il aurait continué de croître si le petit  bourg en amont, Ofen Pesth, ne s’était agrandi et n’était devenu trop important. Ce fut le début des malheurs. Les hommes empiétèrent sur le territoire des mustélidés et, étant des prédateurs ethnopathes, ils ne purent cohabiter avec nous. Ils nous chassèrent donc. Autant pour notre fourrure, que pour notre graisse ou simplement pour notre viande. Leurs trappeurs et leurs affamés firent d'innombrables victimes parmi mes ancêtres. Ils exterminèrent de nombreux clans. La menace d'extinction fut si alarmante que le clan abandonna ses tanières et descendit le fleuve. Cependant  cette maudite ville, maintenant appelée Budapest, connut de très fréquentes poussées de croissance qui contraignirent tous les mustélidés  à s'exiler au loin, toujours plus au sud. Par la suite d'autres cités émergèrent le long des rives, nous repoussant toujours plus loin.  Après bien des générations et bien des exodes, le clan renonça au Danube et partit en quête d'autres cours d'eau. Mes prédécesseurs entreprirent alors un long chemin gris sur lequel bien des loutres trouvèrent la mort. Les anciens racontaient que sur cette voie de gigantesques créatures de métal surgissaient et qu'à peine les entendait-on la mort frappait.  Elles ne laissaient, comme traces de leur passage, que des cadavres écrasés. Le clan s'éloigna donc de cette dangereuse zone. Après une longue pérégrination, il arriva à une gigantesque étendue d'eau. Le lac Balaton. Là, les anciens crurent avoir trouvé leur Eden. Ils contournèrent les secteurs humains et s'enfoncèrent dans la forêt. Le territoire fut marqué et les individus se dispersèrent pour établir les tanières. Maints accouplements se produisirent alors. C'est durant cet automne fécond que Maurice, mon père, naquit. De Napoléon, la loutre à la patte plate et de Joséphine la jeune loutre au nez fin. Ce ne fut pas un enfant de l'amour mais un rejeton de la survie. Je m'en rends bien compte. Mon père me raconta que mon grand père abandonna ma grand mère aussitôt la saillie terminée. Nécessité oblige, il fallait bien repeupler le clan. De toute façon, je ne connu pas mes aïeuls. Ils disparurent avant que je ne survienne. Comment? J'y viendrai. Une saison passa et la nouvelle génération vint au monde. La terre était douce et le lac plein de poissons. Ce fut un temps heureux et prodigue. Mais malheureusement bien  trop court. L'hiver arriva. Heureusement, mes ancêtres s'y étaient bien préparés : ils avaient creusé de profonds abris collectifs dans lesquels les mustélidés se blottirent les uns contre les autres et au fond desquels des vivres purent être stockés. À leur très grande surprise, la saison fut douce et clémente. Le froid n'emporta personne. Ce fut seulement quand le printemps lui succéda qu’un nouveau revers survint. En effet, en seulement quelques jours, des milliers d’hommes affluèrent. La forêt pullula  de marcheurs et le lac fut submergé  par des nageurs et d’étranges structures flottantes – vrombissantes ou non. Le clan, préférant prévenir toute perte, déserta les lieux. Seuls quelques uns choisirent de rester. Nous ne sûmes jamais ce qu’il advint d’eux. Une fois encore l’errance reprit. Mon père, ma grand-mère et tous les autres mustélidés marchèrent vers le sud à la poursuite d’un – du - fief providentiel. Après plusieurs lunes, ils réalisèrent, à la sortie d’une forêt, que le terrain les avait trompés. Ils avaient suivi une douce déclivité qui les avait menés non pas vers le sud mais vers le nord-ouest, vers une petite rivière sauvage. L’homme semblant absent de ces parages, le clan s’installa provisoirement.  Juste le temps nécessaire à la nouvelle génération pour grandir et forcir, ainsi  que pour  envoyer quelques audacieux en éclaireur, à la recherche de pistes prometteuses voire – si la fortune avait été de leur coté – du coin idéal : un lac comme le Balaton libéré de toute activité humaine. Chacun d’entre eux, ayant porté les espoirs de tout le clan, fut, à son retour, loué tel un héro. Leurs noms furent scandés et les mustélidés se pressèrent pour les saluer, les toucher. Tous attendaient avec impatience le récit de leurs repérages. Mais malgré tous les kilomètres qu’ils avaient sillonnés, ils étaient bredouilles. Ils déclarèrent tous ne pas avoir  trouvé meilleur endroit que celui-ci. La rivière Marcal. De l’eau, des bois, des proies et pas d’hommes, que désirer de plus ? Le temporaire devint donc durable. Maurice devint une jeune loutre vigoureuse, il rencontra ma mère, Lotréa, et de leur union je vis le jour.  Vous pourriez croire que l’histoire s’arrête ici, à ma naissance au bord du Marcal. Mais tel n’est pas le cas. Un jour funeste – encore un - , la rivière prit une inquiétante teinte rouge. Nous pensâmes d’abord à du sang, que quelques créatures s’étaient fait massacrer en amont. Mais ce n’en avait ni l’odeur, ni le goût. Graduellement, la couleur fonça, s’épaissit et gagna la terre. Les rives se transformèrent en une boue écarlate. L’eau devint imbuvable et les premiers symptômes de maladie se manifestèrent. Les loutres touchées dégorgèrent le liquide absorbé, furent prises de contractions ainsi que de vives douleurs au ventre et à la tête. Tous devant boire, le mal se propagea instantanément. Presque personne n’y échappa. La rivière fut interdite. Chacun dû chercher une source d’hydratation : flaques ou sources. La pêche le fut aussi. Nous  vîmes les poissons remonter à la surface. Morts. Des loutres ne tardèrent pas à partager leur sort. Nombreuses furent celles qui ne trouvèrent pas d’autre point d’eau ou/et qui devinrent trop faibles pour chasser. Ma mère fut des victimes. Mon père, bien que souffrant lui aussi, fit tout pour la sauver. Il nous tira l’un et l’autre  jusqu’à une petite poche d’eau à quelques mètres de notre tanière et nous apporta des insectes. Ses efforts n’y firent rien. Ma mère succomba dans une horrible agonie. Telle que ses cris hantent encore mes nuits. L’empoisonnement emporta une grande partie de notre communauté. Comme il ne restait plus que quelques centaines d’individus et que ce nombre allait diminuant mon père se leva. Il prit la tête du clan et organisa un nouveau départ. Vers le sud. Quoique l’on puisse trouver là-bas. C’était demeurer et mourir ou aller de l’avant. Une  caravane de moribonds s’ébranla et ainsi nous entamâmes  notre dernier voyage. Le plus long. Un sillage de dépouilles marquait nos pas. L’affliction continuait sont carnage parmi les moins vigoureux. La moindre surface liquide que nous rencontrâmes devint un oasis et les plus résistants se chargèrent de récolter des provisions. Des semaines s’écoulèrent sans que rien n’apparaisse. Soit il y avait des traces humaines, soit il manquait un plan d’eau.  Le clan s’amoindrissait aussi vite que  notre espérance. Nous ne comptâmes bientôt plus qu’un peu plus de deux cents mustélidés purgés de tout poison. Ceux qui avaient été les plus solides. Un matin, dans une région déserte de tout signe humain, Maurice, éveillé avant toutes les autres loutres, était parti en reconnaissance. Ayant grimpé une éminence, il découvrit, au loin, une magnifique vallée boisée traversée par un  cours d’eau. Le Koros. Maurice s’empressa d’apporter la bonne nouvelle à ses compagnons. Les deux cents survivants reprirent courage et marchèrent deux jours pour joindre la rivière. Le val leur arracha des exclamations de soulagement. Cela semblait magique, idyllique. Peut être même un peu trop. Au fur et à mesure que nous approchions du Koros notre joie grandissait. La nature semblait généreuse. Des mulots gambadaient, des écureuils grimpaient les troncs, des volatiles pépiaient et les embruns venaient nous chatouiller les vibrisses. Rien ne semblait pouvoir entacher notre félicité. Sauf, à deux mètres de la rivière, un groupe d’une vingtaine de créatures à queue plate se tenait devant un rempart de branchages et de rondins. Maurice et quelques loutres s’avancèrent, méfiants mais sans agressivité, décidés à apaiser l’animosité. En réaction, ces créatures, hostiles, levèrent de petites branches – qu’elles tenaient dans de petites pattes courtaudes -, montrèrent d’impressionnantes incisives et se mirent à siffler. De derrière les fortifications une vingtaine d’autres gueules apparurent. Le message était clair : vous n’êtes pas les bienvenus, vous n’irez pas plus loin. Mon père regarda ses compagnons.  Fallait-il s’en retourner, queue entre les jambes, et perdre cette occasion unique ou tenter diplomatiquement de les convaincre  de nos bonnes intentions  ou, au pire, utiliser la force ? Quelques mustélidés affamés, assoiffés, épuisé par la longue marche et poussé par l’abattement n’attendirent pas l’ordre et se lancèrent à l’assaut de cette bande  somme toute modeste - seul obstacle entre nous et la promesse d’abondance du val. L’escarmouche fut impressionnante. Nos adversaires bastonnèrent furieusement et égorgèrent de leurs terribles dents quelques malheureuses loutres. Cependant notre supériorité numérique prévalu et nous les criblâmes de morsures. Quelques uns de leurs combattants tombèrent, mortellement blessé. Au bout de quelques minutes d’affrontement, ils furent débordés et prirent la fuite. Après ce moment de folie meurtrière, mon père reprit le commandement et dispensa des instructions. Nous achevâmes leurs mourants et jetâmes les corps dans le Koros. Un campement  fut établi au milieu de leur fortin de bois et les parois furent consolidées avec des fagots, des pierres et de la boue. Ensuite nous dinâmes de quelques poissons tout justes pêchés. Pour la nuit, des guetteurs furent désignés. Malgré cette mesure de précaution, personne ne parvint à dormir. Nous veillâmes silencieux et inquiets. L’attaque survint à l’aube. Lorsqu’un guetteur cria, la tension explosa et  nous nous ruâmes aux murs. De cette hauteur, nous vîmes une armée : plusieurs centaines de ces créatures, aux aguets, de tous les cotés, même du Koros. Nous étions encerclés. Soudain un signal retentit et ils s’élancèrent. Une marée brune de poils, de dents et de queues déferla. L’enceinte fut submergée, balayée. Soit ils la grimpaient avec une agilité impressionnante pour des bêtes aussi rondouillardes, soit ils la démontaient ou, aux endroits les plus faibles, la défonçaient. Nous tentâmes bien de résister, de leur lancer des brindilles et des cailloux. Ce fut inutile, ceux-ci ricochèrent sur leur fourrure sans même les ralentir. Le contact fut brutal, âpre. Pour chaque loutre il y avait trois assaillants. Nous nous défendîmes griffes et crocs mais rapidement nous fûmes acculés, les uns contre les autres. Ce fut un carnage. Leurs grandes incisives déchiraient les chairs des miens, leur arrachait la vie. Le sang pleuvait, les corps tombaient. Je vis mon père être la proie de deux de ces monstres. Ils lui donnèrent des coups de queue. A tour de rôle. Comme pour jouer. Jusqu’à l’estourbir. Jusqu’à le tuer. Aucune loutre du clan ne survécu au massacre. Sauf moi. Parce que j’avais été au centre du cercle des miens, j’avais été protégé, puis au fur et à mesure qu’ils succombaient je me suis simplement  retrouvé enseveli sous leurs corps. Lorsque je suis parvenu à me dégager, j’ai rampé dans une boue ensanglantée jusqu’à  une ramée sous laquelle je suis resté caché.  J’ai attendu, terrifié, que l’effroyable passe. Une fois que ce fut terminé, les créatures disposèrent des morts. Tout comme mon clan, ils les balancèrent dans le Koros. Puis ils se dispersèrent, ne laissant que quelques individus sur place. Lorsque l’obscurité se fit, je sortis furtivement de ma cachette et  je me glissai jusqu’à la rivière. Là je me laissai porter par les flots et je sombrai dans l’inconscience. Je m’éveillai une masse froide et molle contre ma figure. Je n’avançai plus. Quelque chose bloquait le courant. Je pris un peu de recul. C’était des macchabées, des centaines de macchabées ! Les restes de la bataille, les loutres de mon clan… Mes amis, mes compagnons, ma famille. Un barrage les retenait en un charnier flottant. Je les contournai pour joindre la berge. Elle était trop haute. Je dus me frayer un chemin parmi les défunts jusqu’à la barricade. En la grimpant, je me blessai. Quelque chose m’avait entaillé la patte. Je regardai. Un objet pointu d’un métal gris dépassait de l’enchevêtrement de bouts de bois. Je le pris. Une fois la terre regagnée, je l’examinai plus attentivement. Cela ressemblait à un surin. Qui seyait parfaitement à ma poigne. Ce signe me résolu. Je remontai le Koros jusqu’aux abords de l’avant-poste des créatures. Je les observai. Il y en avait seulement trois. La nuit venue, ils gagnèrent une hutte de branchages. Je patientai jusqu’à être sûr qu’ils soient endormis. Lorsque leur respiration se fit plus lente, je m’introduisis dans l’habitation et je les poignardai. Je me jetai sur le cou du premier. Le temps qu’il réagisse il se vidait déjà tandis que ma pointe pénétrait le col du second. Ils tentèrent de m’attraper, de me frapper, mais leurs forces déclinèrent bien trop rapidement. Le rouge coulait abondamment de leurs plaies. J’eus plus de mal avec le troisième. Car il eut le temps de reprendre quelque peu ses esprits. Cependant le chaos et la confusion jouèrent en ma faveur et, seriné, il s’effondra. Ce fut ma première victoire.

 

Oyez, oyez !

Voilà comment finirent ma famille et mon clan.

Et comment ma légende naquit.

Celle de la loutre de fer.    

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La loutre de ferChapitre1 message | 9 ans

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