Oubliée
Chaque année, environ 57,3 millions de personnes décèdent. Et plus le temps passe, plus la mémoire de ceux qui les ont connus s'estompe et moins leurs récit sont contés. Jusqu'au jour où des vies entières sont oubliées de tous.
Oublié. C'est un mot qui fait peur. C'est une fin à laquelle on se refuse de penser. Parce que oui, un jour, personne ne pensera plus à nous.
Elvire se languit seule dans son petit appartement en centre ville. Elle était loin de s'imaginer qu'on l'oublierait bien avant sa mort.
Tout les matins, réveillée aux aurores par les rayons du soleil, elle se positionne sur le balcon et observe les voitures défiler. Les rues sont remplies de monde, ça grouille de partout. Et même à cette heure-ci, les routes sont bouchées et les voitures forment une file indienne.
Tant de vies, tant de personnes entourant Elvire et pourtant, jamais personne ne la voit...
Personne ne lui rend visite. Personne à part la femme de ménage. Mais Elvire ne l'aime pas beaucoup, c'est une voleuse ! Cependant, elle ne lui a jamais rien dit de peur de se voir enlever la seule compagnie qu'il lui reste...
Pépito lui manque...il est parti sans elle il y a de celà plus d'un an. Et elle rêve souvent de lui la nuit, elle s'imagine le rejoindre. Mais les jours passent...et elle continue de vivre.
Elle ne sait même plus quel âge elle a. Elle a arrêté de compter après ses 72 ans. De toute façon, personne ne vient jamais lui souhaiter. Et elle n'a pas le courage de souffler les bougies seule. De plus qu'elle n'a pas la force de sortir de chez elle.
Ses articulations sont rouillées, alors tout lui est livré. Les livreurs sont de vieux amis à elle mais elle voit bien qu'ils font tout pour ne pas qu'elle les retienne.
Sauf qu'Elvire est si désespérée qu'elle se fiche bien que ceux qu'elle a en face d'elle restent par pitié ou non, tant que cela comble le silence.
Toute la journée, elle reste accrochée à son téléphone fixe. Elle compose les numéraux inscrits dans son petit carnet tour à tour et appelle sans relâche, espérant que quelqu'un déccrochera.
Mais maintenant, plus personne ne répond. Certains culotés lui demandent même de ne plus les rappeler en la menaçant de prévenir la police pour harcèlement.
Ce n'est pas ce qui l'a arrêté. Après tout, la police est gentille et occupera une partie de son temps.
Elvire est fatiguée, malade, elle souffre rien qu'en se levant pour aller d'une pièce à l'autre. Alors maintenant, elle ne mange plus qu'une fois par jour pour économiser son énergie. Et même là, une fois devant l'assiette, elle ne trouve pas l'appétit pour la finir.
Le soir, elle ne va se coucher que très tard. Elvire n'arrive plus à dormir...
Elle se rappelle de ses parents qu'elle a aidé jusqu'à leurs dernier soupir, à son tendre mari qu'elle a aimé jusqu'à sa mort et au-delà, sa fille qu'elle a élevée avec grand soin et qui lui a tourné le dos tout aussi vite qu'elle était arrivée...elle se rappelle aussi de ce fils mort une semaine après sa naissance...peut-être lui ne l'aurait-il pas abandonné.
Il y aurait bien ses petits enfants mais leurs parents n'ont aucune envie de les accompagner. Et pourtant ses petits enfants voudraient vraiment la voir. Ou du moins, c'est ce qu'elle espère au plus profond d'elle.
Ce sera bientôt la fin, elle le sent, elle le sait...et elle va finir seule, dans son lit...
Elvire ravale ses larmes.
En repensant à toute sa vie, elle se dit qu'elle ne s'était jamais sentie si seule...
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