2. Un triste départ
Le soleil se levait en douceur sur la cité de Tenerice, la chaleur du désert envahissait déjà les rues. Les habitants s’effraient aux dernières préparations de la fête centenaire.
Le jeune homme sortit de chez lui en compagnie de sa mère et de sa tante, pour se rendre au marché afin de trouver des produits dignes du grand festin de cette nuit. Seulement, dans son esprit, se planifiait une escapade nocturne pour rejoindre sa grand-mère.
Sur le grand axe principal, les marchands de Tenerice se retrouvaient en compagnie d’habitants des quatre royaumes, reconnaissables à leurs tenues typiques et singulières.
Certains hommes portaient de grands chapeaux de plume et de fourrure, des femmes se baladaient en robe de soie. Mais aucun ne supportait la chaleur du sud, contrairement aux habitants de Rui Wang, qui portaient des vêtements de coton coloré aux motifs variés. Leurs têtes étaient enroulées dans des chèches clairs, et leurs pieds enveloppés dans des sandales en cuir.
Le grand souk de la ville était magnifique, parsemé de toutes couleurs, de parfums exquis et exotiques. Les cris des marchands résonnaient entre les murs des bâtiments, cherchant à haranguer les clients.
— Je termine mes achats. Tu peux aller te promener, mais rejoins-nous à la maison pour midi, lui indique sa mère en lui donnant un sac contenant de la monnaie.
— Compris. À toute à l’heure.
Onyx prit la bourse, puis s’éloigna de ses parentes, vagabondant dans le bazar. Sa curiosité fut captée par l’établi couvert de parchemin et de livres anciens ; il s’approcha, examinant avec attention les couvertures.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il en désignant un livre en particulier.
— C’est un vieil ouvrage, il vient de la cité de Thalios, lui répondit le marchand en prenant en main le bouquin. Il était conservé dans la bibliothèque privée de la cité, c’est un petit voleur qui me l’a rapporté, souriait l’homme en lui tendant le livre. Souhaitez-vous l’acquérir ?
Le jeune homme regardait avec attention la couverture de l’œuvre, de couleur bordeaux, abimée sur les recoins. Il se trouvait en son centre une gravure hexagonale, représentant sept parties. Un nom y était présent, mais difficile à déchiffrer de loin.
— Alors ? s’impatienta le marchand, regardant les clients s’agglutiner devant sa boutique.
— Je le prends !
Le trafiquant s’empressa de prendre l’argent et tendit le bouquin au jeune homme, puis lui fit signe de libérer la place. Soupirant face au comportement du commerçant, Onyx reprit sa route et quitta le grand axe afin de trouver un coin tranquille à l’écart du bruit. Il grimpa sur les toits, et se posa à l’ombre d’un grand dôme.
Assis sur la plateforme, les pieds pendant dans le vide, il regarda le livre de plus près, intrigué par sa couverture et ses gravures. Une petite silhouette tigrée passa dans son dos, avant de venir se frotter contre son biceps. Légèrement surpris, il reconnut son compagnon de vie et le posa sur ses genoux.
— Souhaites-tu m’aider, Sarshall ? demanda-t-il au chat qui s’assit sur ses cuisses.
Il souriait et se replongea dans sa lecture, feuilletant les pages jaunies par le temps et rongées par l’humidité. Certains mots lui vinrent comme une évidence, mais d’autres restaient trop compliqués à comprendre, car ils appartenaient à une langue qu’il ne connaissait pas.
— C’est une langue perdue… constata-t-il à haute voix en refermant le bouquin, effleurant la couverture de ses doigts. Ama saura mieux que moi, elle doit avoir connaissance des mots que je ne comprends pas.
Sa main vint caresser le pelage du félin, puis reporta son attention sur ce vieil ouvrage.
— Ma curiosité m’a encore fait défaut… Quelle idée stupide d’acheter un livre que je ne peux lire qu’à moitié…
Son regard se leva vers le ciel. Il constata que le soleil se trouvait au centre de l’étendue bleuté. Onyx se releva, sachant qu’il était déjà en retard. Il rangea le livre dans sa sacoche et vint prendre Sarshall sur son épaule avant de descendre du dôme. Courant dans les ruelles, il essayait d’éviter la foule encombrante qui le ralentissait.
Il entra chez lui rapidement, Sarshall sauta de son épaule pour se réceptionner sur un muret. Il se déchaussa et s’élança dans la cour intérieure sous les yeux ébahis des anciens, et ceux colérique de ses parents.
— Je suis désolé pour mon retard.
— Si tu persistes à ne jamais respecter les heures convenues, tu ne sortiras plus. Malgré ton âge, je ne peux m’empêcher d’être inquiète lorsque tu sors. Surtout en ce moment.
— Je suis vraiment désolé, je ferais plus attention. Promis.
Il monta à l’étage et rejoignit sa chambre avant d’y déposer ses achats. Sarshall vint se frotter contre ses jambes, quémandant de l’attention, qu’elle obtint rapidement. Des voix s’élevèrent du rez-de-chaussée, certains membres de sa famille demandaient son aide pour la préparation du grand festin.
Il redescendit avec le chat dans ses bras, puis le lâcha dans le but de décorer les murs de dessins traditionnels, de rubans colorés et de fleurs séchées. La table était installée convenablement au centre de la cour, couverte d’une grande nappe colorée et de bourgeons placés dans des vases en terre. Les enfants s’amusaient à crayonner de grands dessins sur le sol à l’aide de craie ; des soleils et des rosaces, des lumières et des mosaïques, représentant les festivités d’été.
Durant une grande partie de l’après-midi, les femmes préparaient le grand festin, tandis que les hommes installaient les coussins autour de la table. Les plus âgés restaient dans l’Haram afin de prier aux festivités, et les plus jeunes jouaient dehors en compagnie de leurs amis.
Lorsque le soir tomba, le grand bazar se vida de sa foule, laissant place au calme avant les grandes réjouissances nocturnes. Les maisons s’éclairèrent de feu et se remplir d’éclats de joyeux ; les familles dînaient avec allégresse.
À l’approche de la fin du repas, les plus grands demandèrent aux enfants de quitter la table, afin de pouvoir profiter entre adultes de l’arak, une eau-de-vie traditionnelle. Onyx en profita pour monter dans sa chambre. Il prit sa sacoche et quitta la maison, parcourant calmement les rues de la cité.
Il n’eut pas besoin de cacher sa visite comme auparavant, car l’accès au couvent était autorisé à tous pour cette fête si particulière. Il n’eut aucun mal à trouver Ama, elle se trouvait toujours au même endroit, assise sur le banc de pierre à l’écart du bâtiment, les yeux levés vers le ciel étoilé.
— Ama, souffla-t-il pour la ramener à la réalité, en s’asseyant à ses côtés.
— Je suis heureuse de te voir ce soir.
— Tout va bien ?
Onyx adopta un ton inquiet face au calme de sa grand-mère et à son visage terne.
— Je… Je sens mes forces s’envoler au fil du temps. Cette nuit sera sans doute ma dernière… murmura-t-elle en regardant de nouveau le ciel de ses yeux vitreux.
Le jeune homme afficha un regard triste, avant de fouiller dans sa bandoulière d’en ressortir le sac de graine de Marula, le tendant à sa grand-mère qui sembla surprise.
— Je t’en ai ramené, elles viennent du marché, s’exclama-t-il en déposant le sac dans les mains desséchées d’Ama.
— Tu es adorable.
Son regard se porta vers Onyx, dont le visage observait les alentours en serrant contre lui sa sacoche.
— Que caches-tu donc ? demanda-t-elle avec un petit sourire en coin face au sursaut de son petit-fils.
— C’est un livre que j’ai acheté au souk. Mais je n’arrive pas à le lire entièrement.
Il le sortit de sa besace pour le tendre à sa grand-mère. Elle le saisissait puis prit le temps d’observer avec attention les gravures en question. Elle caressa la couverture sombre durant quelques minutes, avant de lui expliquer :
— C’est une langue perdue depuis quelques années déjà.
Elle posa son regard sur l’hexagone pour y lire les inscriptions qui s’y trouvaient.
— Ce sont des noms de ville et de pierres, mais ce sont des pierres introuvables. Où a-t-il eu ce livre ?
— Il m’a expliqué l’avoir eu d’un voleur, qui l’aura dérobé dans la bibliothèque fermée de Thalios.
— Il s’agit d’un ouvrage scellé par les quatre royaumes, donnant la position de chaque pierre magique. C’est ce livre qui a déclenché la guerre d’il y a cent ans.
Son regard était inquiet, car elle connaissait la signification et le pouvoir que détenait ce bouquin.
— Les pierres magiques ? Qu’est-ce que c’est ?
— Notre monde a connu une période d’apocalypse il y a de cela environ mille ans. Les déesses se sont sacrifiées pour nous protéger, et leurs pouvoirs ont été enfermés dans des fragments rocheux, dispersés dans notre monde. Il est dit que l’assemblement de ces pierres donnera à celui qui les possède le pouvoir des déesses.
— On peut vraiment trouver les sept pierres grâce à ce livre ?
— Oui, il a été utilisé par de nombreuses personnes afin que les pierres soient retrouvées avant la force maléfique qui détruisait notre monde. Mais aucun, jamais, n’en a trouvé, soupire la vieille femme en redonnant le livre à Onyx.
— Mais je peux toujours essayer, non ?
— Je te l’interdis formellement, tranche d’une voix dure la vieille femme. C’est bien trop dangereux pour un jeune homme de ton âge, et puis il faut être capable de lire chaque inscription gravée sur ces pages et tu n’en es pas capable.
Sa respiration se faisait plus difficile, ses forces l’abandonnaient subitement. Mais son petit-fils était du genre curieux et têtu, elle le savait pertinemment. C’est pour cette raison qu’elle souhaitait le protéger.
— Mais si la force maléfique revient, elle pourrait trouver les pierres, imaginait son petit-fils avec foi.
— Elle ne les trouvera pas tant que ce livre reste cacher. Mais ne te lance pas dans cette aventure seul, s’il te plait... souffla-t-elle en se penchant en avant, les yeux fermés.
— Ama ? Tout va bien ?
— Je vous quitte lentement Onyx…
Elle releva la tête avec le peu de force qu’il lui restait, et regarda le ciel se couvrir de lanterne céleste allumée par les habitants de Tenerice.
— Je suis heureuse d’avoir vécu si longtemps, et d’avoir pu vous apprendre de nombreuses choses…
— Ama !
Il ne sentait plus le souffle de sa grand-mère contre sa peau.
— Ama !
Les larmes perlaient sur le coin de ses yeux.
— À l’aide ! S’il vous plaît !
Son regard chassa les alentours à la recherche d’aide, le visage des mystiques était tourné vers lui, mais aucun ne réagissait à ses appels.
— Kadir ! Au secours !
Quelques habitants des lieux étaient attirés par ces cris de détresse, et Kadir accourut parmi eux. Mais il était trop tard, le prêtre était impuissant. Cette nuit marqua le commencement d’une nouvelle histoire qui restera gravé dans l’histoire d’Angorra.
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