6. Les grottes de Gediminas Einikis
Le soleil tapait fort sur la tête du cavalier, le vent giflait sa peau et malgré son chèche, quelques grains de sable parvenaient à se loger dans ses cheveux. Le chat était dissimulé en boule contre le buste du jeune homme, essayant de se cacher de la poussière, sa monture baissait la tête afin de sortir de cette bulle atmosphérique plus vite et sans trop de gêne.
Malgré le vent, Onyx releva son visage pour observer les rares rochers sortant des dunes, qui commençaient à se multiplier, signe qu’il ne se trouvait plus très loin de sa destination. Au bout de la ligne d’horizon, il aperçut des groupements de blocs.
— Nous y sommes.
Quelques mètres de plus et il se retrouva face aux massifs rocheux qui cachaient les secrets des grottes qu’il recherchait.
— Il faut trouver l’entrée maintenant.
Sa monture parvint à s’accroupir le plus proche du sol afin de permettre à son cavalier de mettre pied à terre sans chuter. À l’inverse du jeune homme, le félin préférait rester sur l’équidé, ne semblant pas vouloir se mêler au sable.
Onyx examina les parois rocheuses, cherchant une faille, une cavité qui lui permettrait de rentrer dans les grottes. Ses mains effleuraient l’éponte, qui laissa une trainée poussiéreuse sur ses paumes, d’un ocre havane.
— C’est du calcaire. Il doit bien y avoir une entrée avec le temps qui s’écoule.
Un miaulement attira son attention, il tourna la tête en direction du chat qui avait décidé de son plein gré de descendre de l’étalon, assis proche d’une brèche dans la roche. Il s’agissait d’un passage percé dans la cloison, assez grand pour tenir debout.
L’homme sourit et vint reprendre son compagnon de route dans ses bras, qui vint naturellement se tenir sur son épaule. Prudemment, il s’aventura dans cette cavité en escortant l’équidé.
Il marcha lentement dans ce long couloir étroit et humide, ou des stalagmites s’étaient formées au sol. Il espérait qu’avec le temps et l’érosion du calcaire, un labyrinthe ne se soit pas formé, car il ne saurait en ressortir.
— Étrange…
Ses yeux se levèrent au plafond, avant de se tourner vers l’entrée par laquelle ils étaient passés, puis de regarder la direction dans laquelle il se dirigeait.
— Les rayons du jour se sont estompés, mais nous y voyons toujours clair… Il doit y avoir de la lumière devant.
Il continua d’avancer, le cheval baissait légèrement la tête vers le sol. Ses paroles semblaient incohérentes, mais plus il marchait, plus il trouvait ça logique.
Après tout, lorsque l’on avance dans les profondeurs, la luminosité ne nous suit plus que si nous ne l’avons pas pris avec nous. Mais si la lumière n’est plus derrière nous et que le passage reste clair, une lueur doit alors se trouver devant.
— Elle est plus forte.
Il s’arrêta. Face à lui se dessinaient contre les cloisons, un long escalier de pierre, dont les marches montaient en suivant la ligne du couloir. Il passa ses rênes par-dessus l’encolure de sa monture, puis autour d’une stalagmite, et vint lui caresser le museau pour le rassurer.
— Je n’ai pas le choix. Je reviens, reste ici.
Il entreprit de monter ces étranges marches taillées dans le roc. Un courant d’air vint siffler proche de ses oreilles, ce qui l’étonna. Un sourire vint germer sur son visage, comprenant la raison de ce soudain souffle.
Au bout de l’escalier, la lumière l’aveugla, mais il parvint à s’y habituer et ouvrit grand les yeux face à ce magnifique spectacle qui s’offrit à lui. Une immense grotte aux parois sculptées qui abritait les ruines d’un village troglodyte. Des plateaux de végétations avaient réussi à trouver leurs places, une grande brèche se trouvait en hauteur, qui donnait naissance à une longue chute d’eau provenant d’une source souterraine. La lumière du jour éclairait les lieux, et la fraicheur des parois laissait place au courant d’air agréable. L’escalier continua sa route entre les grandes tours, jusqu’à une ouverture étroite dans la roche, encadrée par deux statues de pierre.
— Les déesses…
Les deux figures qui encadraient la suite de l’escalier étaient faites de granite rose. Taillées dans la pierre, elles étaient hautes d’une dizaine de mètres, grands et puissants, représentés portant deux jarres en terre cuite, montrant leurs appartenances à la terre malgré leurs rôles divins.
— Tout est si vieux, mais paraît pourtant récent. Je me demande si Sona est déjà venu ici...
Des colonnes de granite et de calcaire soutenaient les toitures en pierre et les arceaux des fenêtres qui donnaient sur le centre de la grotte. La cascade tombait sur deux promontoires à des niveaux différents, puis filait comme une flèche vers le fond d’un gouffre, rejoignant une rivière souterraine qui se faufilait pour disparaître entre les pierres.
— Que font des visiteurs dans ces lieux ?
Onyx sursauta à cette voix. Il regarda avec attention autour de lui, cherchant la provenance de ce timbre lugubre.
— Qui est là ?
Le timbre du jeune homme s’enroua.
— Qui êtes-vous ?
Hésitant aux premiers abords, il finit par se résigner à répondre.
— Je suis un habitant de Tenerice, je cherche un dénommé Xeno.
Il pivota sur lui-même, mais il n’aperçut personne.
— Que lui voulez-vous ?
— J’ai eu vent de son savoir sur les langues désertiques, j’ai besoin de son aide.
La personne semblait se rapprocher de lui, ce qui ne rassura pas le garçon. Sarshall bondit jusqu’à son buste, venant se réfugier dans ses bras, son courage lui faisait défaut.
— Quel type d’aide ?
— Montrez-vous, et je vous le dirai.
Des cliquetis se firent entendre autour de lui, tandis que, sortants de l’ombre, se montrait un certain nombre de rongeurs du désert. Debout sur leurs pattes arrière ou sur leurs quatre pattes, ils les fixaient avec intrigue, remuant le bout de leurs museaux.
— Des gerboises ?
Il était étonné de voir ces rongeurs, semblables à de petites souris aux longues pattes arrière et à la queue tout aussi longue, qui possédait un bout blanc et noir.
Les grattements s’estompèrent et furent remplacés par des pas, lourds et lents, comme quelqu’un de blessé. Puis, dans l’ombre, se dessinait une silhouette courbée vers l’avant, un long bâton à la main, et avançait lentement vers lui, avant de se montrer à la lumière du jour.
— Xeno…
— Comment me connaissez-vous ? Qui vous a donné mon nom ?
L’homme s’arrêta face à lui, s’appuyant complètement sur son bâton.
— J’ai eu vent de vos connaissances par des marchands de Tenerice, en l’occurrence d’Haya.
— Haya… C’est un nom qui m’est familier, mais je ne saurais dire à qui il appartient aujourd’hui…
— Ama doit être un nom qui vous parler davantage.
L’énonciation du nom de son ancêtre fit réagir l’homme, qui releva la tête.
— Il s’agit de ma grand-mère, elle savait lire les langues désertiques, tous comme vous.
— Ama, comment va-t-elle, est-elle en sécurité ?
Son attention était plus vive que pour Haya, ce qui n’étonna pas l’aventurier. Il comprit le lien étroit que pouvait avoir sa eut grand-mère avec les anciens du royaume.
— Elle est en sécurité désormais, elle a rejoint mon grand-père.
Une boule se forma dans sa gorge, mais il se reprit.
— Je vois… Vous êtes ici pour recevoir mon aide, n’est-ce pas ? Que puis-je faire ?
— J’aimerais que vous m’aidiez à traduire certaines pages provenant d’un vieil ouvrage.
— Un ouvrage ? Quel est-il ?
Le cavalier saisit les bordures de son sac afin d’en extraire le livre, et ne montra que la couverture de ce dernier à l’inconnu. Le chat resta sur son épaule, le regard posé sur les rongeurs les entourant.
— Vous êtes à la recherche des pierres ?
— Non, je ne cherche qu’à obtenir des informations sur ce qui est inscrit dans ce livre.
— Vous ne pouvez pas être simplement curieux pour apporter cette arme à un inconnu.
Onyx ne répondit rien. Xéno avait raison. Il était curieux de savoir ce qu’il s’était passé.
— Vous êtes un garçon bien imprudent.
Le concerné souffla bruyamment. Mais il ne pouvait pas démentir sur les dires de l’ancien. Il était impulsif, et cela le menait souvent à avoir des ennuis. L’homme le regardait étrangement, de haut en bas, comme s’il le jugeait.
— Suivez-moi.
Intrigué, il se questionna sur ses intentions, mais il se résigna à le suivre. Il n’avait pas le choix. Xéno était le seul proche de sa cité pour l’aider. Il monter les escaliers qui se prolongeaient à travers la brèche. L’homme devant lui était vieux, courbé vers l’avant, il portait un vieux khalat grisâtre, rongé par le temps. Un turban terne couvrait ses cheveux.
Ce n’était pas le cas de sa longue barbe blanche qui lui arrivait au bassin, tordu et séché. Ses pieds nus étaient abîmés par le temps et la sécheresse des lieux, et son bâton en bois semblait tout droit sorti d’un conte pour enfants, tordu sur lui-même. Une bulle d’eau se trouvait en son bout, comme si elle avait été sortie d’une rivière sans éclater depuis tout ce temps.
— Vous vivez ici depuis longtemps ?
— Depuis de nombreuses années. Je me souviens seulement que lorsque je suis arrivé ici, le chaos était terminé, mais la terre était pauvre sans les pouvoirs des déesses.
Il monta difficilement les dernières marches de l’escalier, s’aidant énormément de son bâton.
— Mon peuple a commencé à construire les deux statues à l’entrée de la crevasse, et personne n’avait le droit d’aller plus loin. Puis ils ont commencé à construire les grandes tours et à y vivre.
— Où sont-ils maintenant ?
Sarshall se débattit dans les bras du garçon, accrochant son épaule pour y grimper, son regard était vivement attiré par les petits rongeurs qui leur couraient après, suivant le gardien des lieux.
— Ils ne sont plus. Je suis le dernier à vivre encore ici. À vivre tout simplement.
Le vieillard s’arrêta devant un mur, avant de plaquer le bout de son bâton contre le mur. La bulle d’eau éclata, laissant de longs filaments bleutés glisser le long de la paroi. Elles se dispersaient dans tous les sens, jusqu’à atteindre les extrémités, déclenchant un mécanisme qui fit basculer le mur sur le côté, et laissa le chemin continué droit devant eux.
— De la magie… Votre peuple… a hérité de certains pouvoirs venant des déesses ?
— Nous ne sommes pas les seuls, mais nous n’avons pas su survivre aussi longtemps au désert.
Il passa sous une arche de pierre où se trouvaient gravés d’étranges symboles semblables à ceux inscrits sur la couverture du livre.
— Aujourd’hui, les seules tribus à avoir subsisté à travers le temps sont les Malana et Stash, qui vivent recluses cachés dans les forêts et les montagnes, loin des hommes.
— J’ai déjà entendu parler des Malana, ils vivent dans les forêts de Behance. Mais les Stash m’étaient inconnus jusqu’à présent. Comment sont-ils ?
— Forts et méfiants. Si vous les croisez, restez à votre place, car ils vous tueront en quelques minutes et sans remords.
Ils entraient dans une cavité aussi grande que la précédente. Onyx s’arrêta, écarquillant les yeux de surprise et d’émerveillement face à ce trésor légendaire dont les récits contaient ses richesses.
— C’est la Maktaba…
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